La météo s’annonce mauvaise pour le président tchadien Idris Deby, avec les proportions insoupçonnées que prend l’affaire Zouhoura, du nom de cette jeune lycéenne violée collectivement par des fils de dignitaires du régime. Ces « fils à papa », après avoir assouvi leurs bas instincts, avaient eu l’outrecuidance de divulguer sur les réseaux sociaux leur ignominie, provoquant l’émoi d’une population tchadienne, jusque-là apathique, du fait de la violente histoire tchadienne. Depuis le 15 février dernier, le pays s’est donc installé dans un cycle de manifestations dont la répression par le régime sécuritaire de Deby a déjà laissé sur le carreau un mort, le jeune Hassan Ousmane âgé seulement de 17 ans. Dix-sept autres lycéens selon la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’Homme (CTDDH), croupissent dans les geôles de la police. Face à la contestation, tout en maniant le bâton, Deby, s’essaie aussi à la politique de la carotte pour desserrer l’étau.
L’affaire Zouhoura fait les choux gras de opposition politique
Ainsi, quatre présumés coupables ont été mis aux arrêts et le président donne des assurances que justice sera faite. En dépit de tout, rien n’y fit et le pays entre progressivement dans une période de contestation. En effet, la vague de protestation, d’abord scolaire, a pris une nouvelle ampleur avec l’entrée en scène de l’opposition. Après la marche interdite du 23 janvier, c’est à une journée ville morte qu’appellent les contestataires du régime Deby aujourd’hui.
Depuis les évènements de 2008 où son régime avait été sauvé de justesse par l’aviation française, Deby n’avait pas eu affaire à un mouvement d’humeur d’une telle ampleur au Tchad. Et l’affaire tombe bien mal et semble s’apparenter à un signe des temps nouveaux ! En effet, l’affaire Zouhoura intervient à quelques semaines de la présidentielle. Elle fait ainsi les choux gras d’une opposition politique jusque-là embastillée. La récupération politique des manifestations était donc plus que prévisible, ce d’autant plus que le milieu scolaire qui connaît de récurrentes répressions est souvent considéré en Afrique comme le bras armé de l’opposition. La verge est toute trouvée pour flageller un pouvoir gagné par l’usure et qui éclabousse la société par ses travers et sa déliquescence morale. Face à une opinion interne survoltée, les marges de manœuvre du pouvoir sont limitées, d’autant plus que la manne pétrolière qui avait servi à museler le mouvement social, a tari du fait de la chute du baril du pétrole. Au plan international, la sympathie que s’était faite Deby du fait de ses victoires contre les djihadistes, commence à faiblir. La communauté internationale, qui a sa part de responsabilité dans l’entrée du fantôme dans la maison Tchad, est elle-même indignée par le projet de l’homme de s’éterniser au pouvoir. A cela s’ajoutent les effets induits du procès Hissène Habré qui ont levé un pan du voile sur la face cachée du régime Deby.
Face à un tel tableau, Deby pourra-t-il une fois de plus hypnotiser son peuple et se tirer d’affaire ? Deux options s’offrent à lui. La 1ère est de faire dans la répression comme toujours, au risque de souder les contestataires du régime et rendre le mouvement sympathique aux yeux de l’opinion nationale et internationale.
Le Tchad n’a pas intérêt à ce que perdure la crise
Et à vrai dire, la probabilité de tendre vers cette option est plus qu’élevée, quand on sait que Deby est avant tout un militaire et que durant ses 26 ans de règne, il n’a usé que de l’art militaire et de la terreur pour diriger d’une main de fer son pays. La 2e option serait d’ouvrir le dialogue politique avec son opposition pour dégoupiller la grenade. Et pour attirer les opposants à la table des négociations, il doit faire preuve de bonne volonté en donnant un signal fort, celui de faire accélérer le processus judiciaire et faire condamner les coupables.
Mais l’homme aura-t-il la clairvoyance pour contenir cette lame de fond ? Rien n’est moins sûr car en Afrique, très souvent, on ne sait pas anticiper. On laisse le fantôme entrer dans la maison avant de refermer la porte pour ensuite tenter de l’en extirper. La sagesse africaine nous enseigne d’ailleurs que « quand l’âne veut vous terrasser, vous ne voyez pas ses oreilles ». Une chose est certaine, le Tchad, dans le contexte sécuritaire actuel, n’a pas intérêt à ce que perdure cette crise. Le pouvoir, tout comme l’opposition, y laisserait des plumes. Un kamikaze, dans un mouvement de foule, créerait l’apocalypse, et le péril sécuritaire peut servir a contrario à casser de l’opposant… Surtout que l’amalgame opposant-terroriste est des plus faciles.
« Le Pays »