Après une escale de 36h au Mali, le Premier ministre français, Manuel Valls, accompagné notamment de son ministre de la Défense et de plusieurs députés, s’est arrêté quelques heures au Pays des hommes intègres pour y rencontrer ses plus hautes autorités, ce samedi 20 février 2016. Une visite express qui lui a néanmoins permis d’acquérir, en matière de lutte anti-terrorisme dans le Sahel, « un certain nombre de convictions sur ce qu’il faut faire ». Récit de ce premier voyage d’un chef de gouvernement français au Burkina Faso depuis plusieurs années.
Avant l’heure, ce n’est pas l’heure. Et pourtant, c’est avec une demi-douzaine de minutes d’avance sur l’horaire annoncé que la porte de l’habitacle pressurisé du Falcon de la République française s’ouvre, se transformant dans le même temps en marche-pied pour permettre à la délégation tricolore de descendre. Comme l’exige le protocole, Manuel Valls est le premier à mettre le pied sur le sol des hommes intègres, chaleureusement accueilli par son homologue burkinabè. Paul Kaba Thiéba lui présente les personnalités et membres de son gouvernement venus le saluer à sa descente d’avion, avant de rapidement l’inviter à rejoindre le salon d’honneur de l’aéroport pour la première photographie-souvenir.
A peine quelques minutes plus tard, les moteurs des grosses voitures noires aux vitres teintées stationnées sous le porche rugissent déjà, avant que le convoi ne s’ébranle et file à toute vitesse dans les grandes artères du sud de la capitale, totalement bloquées à la circulation pour la circonstance. Le dispositif sécuritaire est impressionnant, avec des hommes en armes et des gros 4x4 banalisés postés tout le long du parcours. Dans ces conditions, une dizaine de minutes suffisent pour rallier le palais présidentiel de Kosyam. Les visiteurs regagnent le premier étage et la salle du Conseil des ministres, rejoints bien vite par le Président du Faso. Nouvelle photographie-souvenir, puis c’est le huis clos qui débute.
Selon les différents protagonistes, le premier camp, composé notamment du chef du gouvernement français et de son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, exprime « sa satisfaction et son plaisir d’être là », réitérant par la même occasion l’invitation de François Hollande à son collègue président de lui rendre visite à Paris. De l’autre côté, le chef de l’Etat burkinabè et son Premier ministre exposent les priorités de leur gouvernement pour lutter contre la pauvreté et s’acheminer vers le développement. Après que les deux parties ont renouvelé leur engagement commun à lutter contre les groupes terroristes au Sahel, Roch Marc Christian Kaboré aurait demandé à la France son aide pour s’équiper en avions et en hélicoptères, « afin de mieux surveiller la frontière nord du Burkina et empêcher les infiltrations de djihadistes en provenance du Mali ».
« La lutte contre la pauvreté ne peut pas être la seule réponse au terrorisme »
Après une bonne heure de discussion, tous les officiels, à l’exception du locataire de Kosyam, redescendent dans le grand hall pour la signature d’une convention entre l’Agence française de développement (AFD) et le Burkina Faso, prévoyant une aide de neuf millions d’euros (environ 6 milliards de FCFA) destinée à l’éducation de base -s’ajoutant aux 60 millions d’euros (40 milliards de FCFA) que la France a déjà consacrés, en 2015, au développement durable, à l’agriculture et à la sécurité alimentaire du Burkina. D’un pas décidé, l’hôte du jour s’avance ensuite sur le tapis rouge déployé sur le perron du palais, s’arrêtant juste derrière le pupitre qui fait face à la cinquantaine de journalistes présents, reporters nationaux et internationaux confondus.
Manuel Valls félicite d’abord les nouvelles autorités pour la bonne tenue des élections couplées du 29 novembre dernier, « un modèle démocratique pour l’Afrique de l’Ouest, et au-delà pour l’Afrique en général ». « Nous sommes conscients que l’Afrique est le continent de demain et que s’y joue l’avenir de la France et de l’Europe. Par les matières premières dont il regorge, mais aussi parce que c’est ici que nous pouvons à terme endiguer et maîtriser les flux migratoires », estime l’émissaire de l’Etat français, avant d’évoquer l’impératif sécuritaire, préalable indispensable au développement économique.
« Je veux rappeler que les groupes terroristes agissent peut-être en utilisant les conséquences de la pauvreté. Mais c’est bien la France qui connaît un nombre croissant de jeunes partant combattre dans des filières djihadistes en Syrie et en Irak, et non le Burkina Faso. Si les groupes terroristes veulent s’en prendre à ce pays, c’est précisément parce qu’il est une réussite en matière de transition démocratique. Comme au Mali, comme en Tunisie, on s’attaque toujours à ces symboles. Il faut bien sûr comprendre les causes, mais la lutte contre la pauvreté ne peut pas être la seule réponse. La solution doit aussi passer par une meilleure coopération dans le domaine de la sécurité », développe le locataire de Matignon -rappelant l’engagement, dès le début du conflit malien en 2013, d’un, puis de deux bataillons de l’armée burkinabè, ainsi que le succès du G5-Sahel et l’implication de la force onusienne de la MINUSMA aux côtés des 3 500 soldats français de l’opération Barkhane.
« La lutte contre le terrorisme sera une affaire d’années, voire de génération »
Troisième photographie-souvenir des deux délégations sur les marches de Kosyam, puis c’est le ballet des véhicules diplomatiques qui reprend. Dans l’attente, un ministre burkinabè se laisse aller à la confidence. « Non, avant les attentats, ce voyage n’était pas prévu ». « Nous ne pouvions pas venir pendant la Transition, mais une visite de haut niveau était prévue depuis l’investiture du 29 décembre. L’organisation s’est juste accélérée avec les attaques terroristes qui ont frappé Ouagadougou », nuancera plus tard le député François Loncle, président du groupe d’amitié parlementaire France-Burkina.
Au pas de course, le programme suit son cours avec la rencontre, à la résidence de l’ambassadeur de France, entre le chef du gouvernement français, son ministre de la Défense et les principaux responsables de la gestion de crise lors des attentats du 15 janvier dernier. « Nos visiteurs se sont montrés très à l’écoute », confie l’un des participants à ce comité restreint, au cours duquel le chef de mission des forces spéciales a notamment livré le détail de leur intervention -en mission dans le désert, ils auraient d’abord dû être ramenés par hélicoptère à leur camp de base de Gao, avant d’être acheminés par avion jusqu’à Ouagadougou.
Dans les jardins de la Résidence, Manuel Valls s’est ensuite exprimé devant plusieurs centaines des 3 500 Français qui vivent actuellement au Burkina Faso, ainsi que quelques présidents d’institutions et représentants du corps diplomatique. Dans un discours aux accents très patriotiques, conclu par une reprise a capella de la Marseillaise et une exhortation à être « fier d’être français », il a rappelé que le chiffre d’affaires des entrepreneurs gaulois au Pays des hommes intègres s’est élevé en 2015 à près de 320 millions d’euros. « Je suis Ouaga », s’est-il par ailleurs exclamé, sous les applaudissements nourris de l’assistance, en solidarité aux victimes des attentats de mi-janvier 2016 -ajoutant que la lutte contre le terrorisme serait une « affaire d’années, voire de génération ». Enfin, après s’être excusé de ne pouvoir rester plus longtemps sur la terre du Faso qu’il foulait pour la première fois*, il a repris la route de l’aéroport, déposant au passage une gerbe de fleurs devant le restaurant « Le Cappuccino », sur l’avenue Kwame Nkrumah. Avec une demi-douzaine de minutes d’avance, la porte du Falcon s’est rouverte. Avant l’heure…
Thibault Bluy
*François Hollande s’étant envolé samedi soir pour un long voyage présidentiel dans le Pacifique et en Amérique Latine, le Premier ministre a dû rentrer pour assurer une présence au plus haut sommet de l’Etat.