C’est une mauvaise saison qui s’annonce en RD Congo avec la « journée ville morte » du 16 février dernier, lancée par le Front citoyen 2016 pour appeler au respect de la Constitution, et notamment les délais constitutionnels pour l’élection présidentielle. La Commission électorale, accusée de connivence avec le pouvoir, est suspectée par ce collectif de partis politiques et d’organisations de la société civile de vouloir opérer un glissement du calendrier électoral pour permettre à Joseph Kabila en fin de mandat, de rester au pouvoir. C’est donc un bras de fer que l’opposition congolaise et les OSC engagent avec le régime ; toute chose qui dénote de leur détermination à barrer la voie à toute modification constitutionnelle. Et les viatiques pour la lutte ne font pas défaut. En effet, il semble s’être scellée une alliance sacrée entre les détracteurs du régime qui ont compris que « l’union fait la force » et qu’elle est la seule bouée de sauvetage de l’alternance au Congo. Car même l’UDPS d’Etienne Tshisekedi, contre toute attente, s’est ralliée à la dernière minute au mot d’ordre, ce qui constitue un soutien de poids pour le mouvement.
Kabila aurait tort de faire la politique de l’autruche face à la tempête qui s’annonce
Mieux, cette coalition peut s’inspirer des exemples de luttes réussies au Sénégal et au Burkina Faso, en y puisant non seulement d’efficaces stratégies mais
aussi l’optimisme nécessaire pour se convaincre que seule la lutte paie. En face, on lit très clairement la frilosité du pouvoir qui use de tous les subterfuges pour casser la mobilisation des combattants de l’alternance. En témoignent les sorties du ministre de la Fonction publique et des forces de l’ordre qui appelaient, tout en bandant les muscles, les citoyens à aller au travail. Cette frilosité du pouvoir cache mal la volonté de Kabila de passer au forceps à la présidentielle même si contrairement à son homologue de l’autre rive du Congo, il peine à trouver la potion magique pour endormir son opposition.
Sans préjuger de l’issue de ce combat, Kabila aurait tort de minimiser cette première ville morte et faire dans la langue de bois en se réfugiant derrière le discours de ses courtisans qui ne manqueront pas de discréditer le mouvement en manipulant les chiffres. Ce serait faire la politique de l’autruche face à la tempête qui s’annonce, quand on sait que le Congo revient de loin. Le douloureux et prégnant souvenir des guerres civiles a fait naître une nouvelle conscience citoyenne et l’alliance entre partis politiques et OSC est le témoin de cette mue. Le recours même à la grève comme arme de lutte dans ce pays où les armes ont plus parlé que les hommes, traduit cette maturité. En faisant dans la répression, le régime ne fait que rendre sympathique l’opposition. Kabila devrait donc, contre lui et ses partisans, prêter une oreille attentive à l’opposition et avoir le souci de l’histoire. D’abord, parce qu’il faut savoir quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent. Ensuite, parce que s’il engage le combat avec son peuple et que celui-ci vienne à prendre le dessus par la force, il se montrera sans pitié. L’histoire regorge d’exemples en la matière. Enfin, parce que s’il cède au vent de l’alternance, il entrera par la grande porte dans l’histoire
de son pays qui l’inscrira dans son Panthéon.
L’opposition, quant à elle, en réussissant son premier test, doit savoir garder le cap. Les Congolais ont là l’opportunité de réécrire leur histoire, en lettres de sang s’il le faut et la voie semble toute indiquée : donner une suite, dans l’union, à la journée ville morte pour faire infléchir le dictateur. Seule note dissonante, la rétraction de l’Eglise catholique, alors que le symbolisme de la journée puisait aux sources de l’histoire catholique au Congo. En effet, le 16 février 1992, les Chrétiens avaient marché pour réclamer l’ouverture de la conférence nationale et avaient été massacrés par le régime de Mobutu. Peut-être les autorités ecclésiastiques n’ont-elles pas voulu pousser la répétition de l’horreur mais on imagine quelle ampleur le mouvement aurait pris si elles avaient appelé leurs ouailles à se rallier au mouvement. A défaut, elles auraient pu garder le silence car le silence est parfois plus parlant que les mots.
Alpha Condé est rattrapé par l’histoire
Ailleurs sur le continent, en Guinée, l’heure est aussi à la grève. A l’appel des deux principaux syndicats du pays, les Guinéens observent un arrêt général illimité du travail, pour exiger du régime d’Alpha Condé une revalorisation des indemnités, des retraites et des pensions, la hausse des salaires et la baisse des prix du carburant à la pompe. Ce mouvement d’humeur des Guinéens a de quoi surprendre dans un contexte où le président Condé a fait « un coup K.-O. » à la dernière présidentielle. En réalité, le Pr Alpha Condé est rattrapé par l’histoire. Il a passé son premier mandat à se battre contre son opposition, oubliant certaines préoccupations sociales. Le porte-parole du gouvernement le reconnaît implicitement en affirmant ceci : «les investissements se sont arrêtés, nous avons perdu plus de 1000 milliards de recettes». A la décharge du gouvernement, il y a eu l’épidémie d’Ebola, mais on comprend difficilement comment un gouvernement qui se disait capable de financer sur fonds propres l’élection présidentielle, ne soit pas en mesure de faire face aux attentes sociales de ses populations et se réfugie derrière l’argument du non- versement de l’aide extérieure.
Sans remettre en cause la sincérité de son «un coup K.-O.» à la présidentielle, les Guinéens rappellent à Condé ses promesses non tenues. Après son succès politique, le président Condé est vivement interpellé pour montrer qu’il s’y connaît en économique, en trouvant les moyens de secouer les secteurs de production afin qu’ils déteignent sur les réalités sociales des Guinéens. Et il a tout intérêt à le faire, car la récupération de cette contestation sociale par l’opposition politique pourrait lui créer, à coup sûr, un mandat difficile. Mieux, étant dans son dernier mandat, il doit impérativement se soucier de son legs aux générations futures. Et c’est maintenant qu’il faut agir. Même si pour l’heure, il est plus que sérieusement coincé.
« Le Pays »