Abidjan - Menacée par les jihadistes au Sahel et le groupe islamiste nigérian Boko Haram, l’Afrique doit mener une lutte complexe sur internet pour contrer les radicaux qui se servent de la toile comme d’un outil de propagande et de recrutement, estiment des experts.
Les jihadistes comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) à qui s’est rallié le groupe Al-Mourabitoune ayant notamment revendiqué les attentats au Burkina, sont très actifs dans la bande sahélienne. Boko Haram, responsable d’attentats ayant fait plusieurs milliers de morts au Nigeria depuis 2009, frappe désormais au Cameroun, au Tchad et au Niger.
Et les groupes jihadistes sont "ultra-connectés", comme le soulignent les experts présents à Abidjan cette semaine pour une conférence sur la cybersécurité et la cyberdéfense dans l’espace francophone.
"Ce sont des questions extrêmement importantes pour le présent mais aussi pour les décennies à venir", analyse le député Pierre Oulatta, colonel à la retraite et président de la Commission sécurité et défense de l’Assemblée nationale ivoirienne.
"L’Afrique est menacée, martèle-t-il. Bamako (20 morts en novembre), Ouagadougou (30 morts le 15 janvier) sont là pour le démontrer".
- Téléphonie et 3G -
"Internet est un fabuleux outil et les terroristes comme tout un chacun peuvent l’utiliser pour diffuser leurs idées, recruter, informer voire désinformer. Ils peuvent préparer des actes, s’organiser, les revendiquer (...) Ils peuvent utiliser internet en complémentarité avec le monde criminel" pour acheter des armes ou blanchir de l’argent, rappelle Solange Ghernaouti, de l’université de Lausanne et spécialiste en cybersécurité, soulignant que les jihadistes "ont montré qu’ils maîtrisaient les technologies".
"L’Afrique se numérise. Il y a une ultra-connectivité, avec notamment la téléphonie et la 3G dans les grandes villes mais aussi dans les campagnes. La surface d’attaque augmente", estime le lieutenant de vaisseau Julien Dechanet, "officier cyber" français pour l’Afrique de l’Ouest.
"Les groupes type Boko Haram et Aqmi sont très présents sur les réseaux
sociaux, ils utilisent ces médias plutôt en phase de recrutement", précise-t-il. Les recruteurs préfèrent ces canaux pour échanger des vidéos, souvent par téléphone, et les disséminer en Afrique, aux magazines comme ceux de l’Etat Islamique.
Et le recrutement des jeunes est assez simple, selon le militaire: "Quelques centaines de dollars, un téléphone. Pas plus de 150.000 CFA (220 euros) et ils deviennent des combattants".
Pour communiquer entre eux et échapper à la surveillance, les jihadistes "utilisent le +Darknet+ (la face cachée de l’internet), le facebook russe qui est beaucoup plus permissif (Vkontakte), les forums de discussion de jeux vidéos et d’autres moyens encore", explique-t-il.
- Afrique pas outillée -
Contrer les jihadistes "nécessite de surveiller les réseaux, les serveurs. On peut alors savoir qui est potentiellement visé, qui est sur les réseaux et on pourra les +fliquer+", dit-il. La mise en place de ces structures de surveillance en Afrique est toutefois difficile car il faut des moyens.
"Il manque parfois des ressources humaines. Mais cela a tendance à changer dans le bon sens", analyse l’officier français.
"L’Afrique n’est pas outillée, elle a besoin de renforcer sa coopération avec les pays qui ont la technologie", regrette Pierre Oulatta. Le groupe Etat islamique "a des ramifications en Afrique. Ils profitent du fait que nos pays ne peuvent contrôler de manière efficace les réseaux informatiques", souligne le député ivoirien.
Le colonel Guelpetchin Ouattara, spécialiste cyber du ministère ivoirien de l’Intérieur, se veut rassurant. "On n’est pas au niveau de la police américaine, mais on a des outils qui correspondent à cette menace. Les dispositions sont prises depuis bien longtemps, bien avant" les récents attentats.
"Les services de police partout dans le monde se disent démunis.... Nos obligations c’est de faire des mutations pour s’adapter aux nouvelles menaces. Notre niveau de réponse est à la hauteur de la menace", conclut-il.
Selon plusieurs experts, un des axes de travail doit être l’assèchement des flux financiers vers les groupes jihadistes. Ceci "n’est pas un mirage. Al Capone s’est fait avoir sur le plan fiscal", rappelle Mme Ghernaouti. "Mais, ce n’est pas l’une ou l’autre (méthode pour contrer les jihadistes), ce sont des +et+, des conjonctions de plusieurs actions. Il faut aussi de la sensibilisation des jeunes, l’éducation, offrir des perspectives économiques", explique-t-elle.
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