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Le Quotidien N° 790 du 13/6/2013

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Luc Marius Ibriga a propos de la gestion du pouvoir : « Nous assistons au règne du despotisme légal »
Publié le jeudi 13 juin 2013   |  Le Quotidien


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© Autre presse par DR
Luc Marius Ibriga


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Le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) a animé, le 11 juin dernier, à Ouagadougou, un dialogue démocratique sur le thème, « les tabous constitutionnels de la 4e République burkinabè ». Animée par le professeur Luc Marius Ibriga et modérée par le directeur exécutif du CGD, le professeur Augustin Loada, la conférence publique a réuni des hommes politiques, des acteurs de la société civile et les hommes de médias. Le conférencier, avec sa verve habituelle, a dénoncé « un despotisme légal » vers lequel, dit-il, « s’achemine le pouvoir de la 4e République à cause de la stature envahissante du président du Faso ».
Citant Engels, le conférencier Luc Marius Ibriga commence par affirmer qu’ « il n’y a rien de définitif, d’absolu, de sacré ». Une telle référence, dit-il, « peut paraître anachronique par ces temps de libéralisme triomphant et de retour en force du sacré, mais elle a, pour elle, le mérite de mettre en exergue l’idée de processus attachée à la notion de démocratie ». En effet, fait-il constater,   depuis d’adoption de notre Constitution le 2 juin 1991 et sa promulgation le 11 juin de la même année, notre démocratie en construction souffre de beaucoup de non-dits, de beaucoup de tabous. 22 ans après, le conférencier estime qu’il est temps de lever le voile sur ces zones d’ombres qu’une conspiration du silence maintient hors du champ du débat public. D’où l’intérêt de la conférence publique organisée par le Centre pour la gouvernance démocratique, portant sur le thème, « les tabous constitutionnels de la 4e république ». Partant de la définition du Pr Jean du Bois de Gaudusson, le professeur Luc Marius Ibriga désigne par tabous constitutionnels, « des sujets constitutionnels qu’il est interdit d’évoquer ou qu’il est préférable de ne pas aborder ». Des sujets pour lesquels, le Le silence est imposé souvent parce qu’il s’agit de points obscurs, enfouis sous le convenu, le politiquement correct ou encore, plus fréquemment parce qu’ils sont sources de controverses, de conflits. Les tabous sont interdits de discours, interdits de recherches, interdits d’existence juridique , précise Luc Marius Ibriga. Ainsi, en faisant l’inventaire des tabous constitutionnels de la 4e République, le conférencier dégage deux types à savoir, les tabous constitutionnels relevant de l’innomé et les tabous relevant de l’indiscuté.

« Des marques d’un pouvoir personnel d’inspiration monarchique »

Dans la première catégorie, le professeur Luc Marius Ibriga note trois sujets qui sont tabous. Il s’agit de la santé du président du Faso, de la question ethnique et de celle du dualisme juridique. Sur la santé du président, le conférencier souligne qu’en la matière, la Constitution est muette. « Cette chape de plomb sur la santé du chef de l’Etat n’est pas propre au Burkina Faso », nuance-t-il avant de souligner : «  Les cas passés des présidents français Pompidou et Mitterrand ou le cas actuel du président algérien Bouteflika sont là pour montrer l’opacité qui entoure cette question de la santé des chefs d’Etat ». Cet état de fait est dû à la personnalisation du pouvoir. Foi du conférencier qui cite le professeur Sall, pour qui, « l’hydre du présidentialisme, semble avoir sérieusement discrédité le constitutionnalisme à telle enseigne qu’évoquer la santé du chef de l’Etat comporte un risque, celui de voir une santé présidentielle chancelante interférer sur le fonctionnement des institutions et laisser entrevoir la perspective d’une alternance ». Selon Luc Marius Ibriga,  cette explication est renforcée par « le contexte culturel burkinabè, notamment moaga, qui lie la santé de l’empire ou du royaume à la santé physique du Mogho Naaba dont la stature imposante traduit le rayonnement de l’empire ». Il s’agit là, fait savoir le constitutionnaliste le plus connu des Burkinabè, « des marques d’un pouvoir personnel d’inspiration monarchique ». Or, regrette-t-il, « la démocratie désigne non pas le  pouvoir politique  accordé à un homme qui l’aurait pris par la force, mais le gouvernement confié ‘’à demos’’ que nous traduisons couramment par le  peuple. Il importe donc de briser ce tabou par une organisation plus contraignante de l’empêchement physique du chef de l’Etat, tenu de se soumettre à un bilan de santé régulier, de nature à démystifier la fonction »
Sur la question ethnique, Luc Marius Ibriga soutient que « c’est un black out total sur l’incidence objective dans la gestion des affaires publiques ». Une non-évocation, à en croire le conférencier, qui tire sa source que de la Constitution qui n’a aborde la question de façon négative. « Ce déni de l’ethnie vient de l’absence de la Nation et des vicissitudes de sa construction ». Le refus d’évoquer la question identitaire masque mal la réalité qui resurgit de façon fracassante lors des compétitions électorales, estime le conférencier qui soutient : « Il suffit de voir comment les candidatures sont formées pour comprendre qu’aucun candidat n’a de chance de se faire élire qu’en retournant dans son terroir ou son village natal ». Implicitement donc, l’ethnie s’invite dans l’arène politique, mais on feint de l’ignorer. Plutôt que d’esquiver la question, celle-ci devrait s’inviter à la table du débat.
Le troisième tabou qui est le dualisme juridique n’est évoqué dans la Constitution que de manière sibylline. En la matière, explique le conférencier, « il y a assurément un problème d’emprise du droit sur la réalité sociale, parce que le droit produit n’est souvent pas en phase avec la réalité sociale. Bien plus, il se creuse une distance que rien ne semble pouvoir combler entre la règle de droit et le vécu juridique des populations ». « Cette réalité ne peut être occultée encore longtemps sous peine d’aboutir à une démocratie désincarnée, surtout dans le contexte multilinguistique du Burkina où les langues officielles, locales et régionales se côtoient. Le problème posé est de savoir si on peut parler de démocratie dans un contexte où la grande majorité des citoyens ne s’expriment pas dans la langue officielle servant de support principal à la revendication politique et démocratique », s’interroge le constitutionnaliste.

« Les civils sont les marionnettes des militaires qui tirent les ficelles dans l’ombre »

Dans la deuxième catégorie des tabous, notamment ceux relevant de l’indiscuté, Luc Marius Ibriga les définit d’abord comme étant des questions évoquées, mais immédiatement refermées parce qu’on hésite à pousser l’investigation au bout. Au nombre de ces types de tabous, les questions touchant à la stature envahissante du président du Faso, à sa succession et aux relations de l’armée avec le pouvoir politique. Selon Luc Marius Ibriga, « la stature envahissante du président du Faso pose la question de la monarchisation du régime ». « Seul maître à bord, il a fini par installer dans notre pays une gouvernance singulière à laquelle il a pris goût et qui se caractérise non seulement par son opposition aux valeurs républicaines, mais aussi par l’exercice d’un pouvoir personnel d’inspiration monarchique, l’influence familiale et clanique, la collusion avec les puissances d’argent, l’absence d’imputabilité du chef de l’Etat et par un hyper présidentialisme qui laisse peu de place au Premier ministre et au gouvernement », argumente le virevoltant professeur de droit constitutionnel. Dès lors, conclut-il, « nous assistons au règne de ce que le Pr Tshiyembe appelle le despotisme légal ». Car, dit-il à la lumière de l’analyse du professeur Tshiyembe, « après avoir plié sans jamais rompre, le despotisme obscur a profité du désenchantement démocratique pour reprendre sa marche en avant partout en Afrique noire, à quelques exceptions près, sous la forme de despotisme légal, à l’ombre du principe majoritaire ». « Cette personnalisation et hypertrophie de la fonction présidentielle ont pour conséquence que la question de la succession ne saurait être discutée sous peine d’être considérée comme un crime de lèse-majesté ». Là encore, la légitimité traditionnelle dont se nourrit le régime conduit à transposer sur le plan républicain la perception féodale du pouvoir. « On ne parle pas de succession tant que le chef est vivant : la succession ne s’ouvre que quand le roi est mort (le roi est mort, vive le roi). C’est cette conception que les caciques du CDP ont intériorisée à telle enseigne qu’ils s’interdisent toute ambition présidentielle », dénonce le conférencier.
Un autre tabou est la question des relations entre l’armée et le pouvoir. Selon le Luc Marius Ibriga, « des militaires, tout en étant en exercice, occupent des fonctions politiques et tiennent la réalité du pouvoir ». La raison d’un tel état de fait, selon Luc Marius Ibriga, « est à rechercher dans l’histoire politique du Burkina Faso qui a vu les militaires s’incruster au pouvoir depuis 1966. Une situation qui a conduit à une banalisation de la présence de militaires dans la sphère politique ». « L’emprise du civil sur le militaire reste une illusion, les civils étant au contraire les marionnettes des militaires qui tirent les ficelles dans l’ombre », fait remarquer le conférencier.
Et pour conclure, le conférencier donne les objectifs à poursuivre pour la construction d’une démocratie républicaine. Il s’agit, entre autres, de contribuer à instaurer une réelle pratique institutionnelle afin de conjurer les violations et les fraudes à la Constitution, de contribuer à l’avènement d’un ordre de juridiction indépendant à même d’œuvrer à l’éradication de la culture d’impunité et à la lutte contre la corruption, de contribuer à l’effectivité du droit de contestation et à l’avènement d’une opposition crédible, d’une véritable alternative, base de l’alternance, de contribuer à la construction d’une administration républicaine .

Par Yaya Issouf MIDJA

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