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Procès de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé : lâcheté, rhétorique et mauvaise foi comme armes de défense
Publié le jeudi 4 fevrier 2016  |  Le Pays
CPI
© AFP par DR
CPI : l’ex Président ivoirien Laurent Gbagbo devant les juges
Mardi 19 février 2013. La Haye. L’ancien président ivoirien comparait à la Cour pénale internationale (CPI), pour crime contre l’humanité.




Après la défense du maître, Laurent Gbagbo, c’était au tour de celle de l’élève, Charles Blé Goudé, le 2 février dernier, de procéder à sa déclaration d’entrée en scène. A cette occasion, le principal concerné a pris la parole. Et l’on peut d’ores et déjà faire les 3 constats suivants.
Le premier est que l’on est toujours rattrapé par son passé. Ce grand enseignement s’adresse en particulier aux princes qui nous gouvernent. Ceux d’entre eux qui, dans leur pays, se sont arrogé le droit de vie et de mort sur leurs compatriotes, à la manière du Roi Soleil, Louis XIV, doivent profiter du procès de Laurent Gbagbo pour se livrer ici et maintenant à une véritable introspection, au lieu de fermer les yeux pour ne pas voir leur ancien collègue ivoirien dans le box des accusés de La Haye.

La honte du vautour est celle de tous les oiseaux

Est de ceux là, le maître absolu de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema. En effet, ce dernier, visiblement agacé de voir un ancien président « humilié » par la Cour pénale internationale (CPI) et inquiet que cela ne participe à déconstruire l’image de demi-dieu des têtes couronnées de nos tropiques au sein des populations, a purement et simplement interdit la retransmission du procès sur les médias publics dans « son royaume ». Et dans sa logique, il a raison. Car, ne dit-on pas que la honte du vautour est celle de tous les oiseaux ? Et dans le cas d’espèce, le vautour n’est pas n’importe qui. Il a porté pendant une décennie une couronne d’ivoire.

Le deuxième constat est que la Côte d’Ivoire est entrée dans un cycle de procès. En effet, pendant que Gbagbo et Blé Goudé font face aux juges de la CPI pour répondre de leurs actes, leurs sicaires sont priés de s’expliquer sur les bords de la lagune Ebrié dans le cadre de l’assassinat du « balayeur balayé », Robert Gueï.

Le troisième constat est que tous plaident non coupables face aux charges retenues contre eux. Et cela, peut-on dire, est l’aspect le plus déroutant de ces procès. Cela dit, et pour revenir au type d’armes dont ont fait usage les défenses de Laurent Gbagbo et de Blé Goudé, l’on peut dire ceci. Les deux donnent l’impression d’avoir bu à satiété à la source de Corax, du nom du fondateur de la première école de Rhétorique. C’était au VIe siècle avant Jésus-Christ. Corax disait à ses premiers élèves, Tisias et Gorgias ceci : « celui qui s’inscrit dans mon école ne doit pas avoir peur d’affronter les tribunaux ». De manière générale, la défense de Gbagbo et celle de Blé Goudé sont dignes de Corax. Mais en particulier, celui qui donne le plus l’impression de maîtriser le plus la rhétorique, c’est-à-dire, l’art de convaincre par la magie du verbe sans avoir forcément raison est, de toute évidence, celui qui, pendant 10 ans, haranguait les foules pour le compte de la chapelle de Laurent Gbagbo, en l’occurrence, Charles Blé Goudé. Le moins que l’on puisse dire est que sa déclaration d’ouverture a tenu toutes ses promesses en termes d’éloquence et de proverbes appropriés au contexte. Pour sûr, Blé Goudé est un grand maître de la rhétorique et un magicien du verbe. Cela, en d’autres circonstances, aurait été perçu comme une qualité et salué à sa juste valeur. Mais dans le cas d’espèce, la rhétorique utilisée par Blé Goudé est digne des pharisiens. En effet, elle s’est mise, peut-on dire, au service de la lâcheté et de la mauvaise foi. Blé Goudé n’est certainement pas coupable de tous les pêchés d’Israël. Mais il doit avoir le courage d’assumer tout son passé. Il n’a peut-être pas égorgé de ses mains ou allumé des bûchers ardents pour rôtir des Ivoiriens, mais c’est tout comme. Pour avoir employé certains mots et phrases assassins, il n’a pas manqué d’endurcir le cœur des auteurs de ces actes. Et Jean-Paul Sartre avait bien raison de considérer les mots comme des « pistolets chargés ». Ils peuvent faire mal. D’ailleurs, ceux qui utilisent les mots qui conditionnent les esprits fragiles à violer et à massacrer, sont de notre point de vue, plus criminels que ceux qui s’en sont inspirés pour laisser libre cours à leur instinct de tueur sans état d’âme.

Blé Goudé et Laurent Gbagbo semblent frappés d’amnésie

Charles Blé Goudé, ce sophiste hors pair, devrait au moins avoir le courage et la décence de reconnaître sa part de responsabilité dans les massacres liés à la crise post-électorale. Au lieu d’avoir cette posture face aux juges de La Haye, il a choisi d’utiliser ses talents de tribun pour faire systématiquement dans la dénégation et dans la mauvaise foi. Et ces bouts de vidéo qu’il a minutieusement sélectionnés pour apparaître sous les dehors d’un ange et d’un homme pacifique montrent qu’il a choisi de réécrire l’histoire en la tronquant. Heureusement qu’il en faut plus pour déstabiliser et induire les juges en erreur ; eux qui, au bout du compte, doivent fonder leur décision sur la base des faits et aussi et surtout, sur la base de leur conviction intime. Toutefois, l’on peut reconnaître que Charles Blé Goudé a déjà gagné la guerre de l’opinion et a contribué à mettre à nu certaines failles de la CPI. La faille la plus béante est que pour le moment, la CPI fait fi de l’équilibre dans le traitement de la crise ivoirienne. A cela, il faut ajouter que le grand oral de Charles Blé Goudé a été suffisamment révélateur des accointances extérieures évidentes dont a bénéficié ADO dans sa marche vers le pouvoir. Mais cela n’enlève rien au fait que sa stratégie de défense est une insulte à la mémoire de tous ceux dont la mort, pendant la crise électorale, peut être imputée au camp Gbagbo au service duquel il a mis la puissance de sa rhétorique. C’est pourquoi l’on peut plaindre davantage les victimes dont certaines ont commencé à égrener les supplices dont elles ont été l’objet, justement du fait de Blé Goudé et de son mentor Laurent Gbagbo, qui, aujourd’hui, semblent frappés d’amnésie au point de donner l’impression que pendant que l’on tuait et égorgeait à tour de bras, ils étaient sur une autre planète alors que c’est eux qui détenaient bel et bien le pouvoir.
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