Dans le cadre d’une excursion à Ziniaré le 7 janvier 2016, nous nous sommes rendu au parc animalier pour voir ce qui reste des bêtes sauvages qui y vivent. En marge de cela, nous avons rencontré le président de la Délégation spéciale de la commune de Ziniaré, Hamidou Dipama, administrateur civil, préfet du département de Ziniaré, par ailleurs président de l’Union nationale des administrateurs civils du Burkina. Il est aussi le Coordonnateur régional adjoint du réseau Konrad Adenauer Afrique de l’Ouest. Avec lui, nous avons abordé les questions portant sur la vie de la Délégation spéciale, les priorités urgentes du gouvernement dans les 100 premiers jours, les attentes de la commune de Ziniaré vis-à-vis du nouveau gouvernement, la perception que les populations ont de la gestion du parc animalier de Ziniaré.
« Le Pays » : Comment se porte la Délégation spéciale de Ziniaré ?
Nous travaillons avec tous les membres de la Délégation à relever les défis du développement de notre commune. Nous sommes à pied d’œuvre pour assurer non seulement la continuité du service public local, mais travailler aussi à apporter une plus-value à l’action communale. La Délégation spéciale se porte donc bien.
Après l’insurrection populaire de fin octobre 2014, la dissolution des conseils communaux a fait l’objet d’un recours devant les tribunaux. Comment avez-vous vécu cela au niveau de votre commune ?
Nous avons suivi, avec l’ensemble des citoyens, les débats lors de la dissolution des conseils des collectivités territoriales et la mise en place des délégations spéciales. Ce que nous pouvons dire, c’est que les conseils de collectivités n’ont pas été dissous de gaieté de cœur. Ayant été acteur au niveau du ministère en charge de l’Administration territoriale en son temps, je peux dire que la dissolution des conseils de collectivités territoriales n’était pas une mesure intéressée, mais imposée par les circonstances. Tous les acteurs n’étaient pas favorables à cette dissolution, ni l’autorité en place en son temps, ni les techniciens. Mais au regard de l’évolution de la situation, il fallait faire un choix, pour la survie de l’Etat. Il faut le dire, nous avons frôlé le pire. Il a fallu un ensemble de mesures dont cette dissolution pour conjurer la menace.
La mise en place des délégations spéciales visait donc à ramener la sérénité dans les collectivités territoriales et assurer la continuité du service public local en attendant le retour de nouveaux élus dans un climat serein et propice au développement. De manière globale, les délégations spéciales ont atteint leurs objectifs. En effet, elles ont réussi à ramener et préserver la paix sociale dans les collectivités territoriales, évitant ainsi à notre pays, un sort similaire à celui de la Centrafrique ; toute chose ayant permis à la Transition d’organiser des
élections qui ont été unanimement saluées. En plus, les délégations spéciales ont pu assurer la continuité du service public local et améliorer la gouvernance au niveau des collectivités territoriales. Ce qui va permettre aux nouveaux élus de venir trouver des administrations locales opérationnelles, qui se mettront sans acrimonie à leur service pour le développement local.
Je voudrais donc en profiter pour saluer l’action des préfets qui, dans des postures sacrificielles, ont tenu le pari de la permanence et de la continuité de l’Etat dans les départements. Ils ont réussi à maintenir la paix et la cohésion sociales avec l’appui des bonnes volontés, notamment les chefs coutumiers et religieux dont je salue aussi l’appui inestimable. Cette mission n’est pas toujours sans écueils, en témoigne le fait que certains ont failli être brûlés vifs, s’ils n’ont pas été littéralement battus ou séquestrés. Mais, c’est cela aussi le devoir républicain de l’autorité, dans un contexte de fragilité institutionnelle et de remise en cause de l’autorité de l’Etat.
Comment avez-vous vécu les élections du 29 novembre 2015 à Ziniaré ?
Il y avait des orages qui étaient redoutés mais le patriotisme de tout un chacun et les actions concertées de tous ont permis d’avoir des élections apaisées. Il n’y a pas eu d’insuffisances majeures dans l’organisation locale des élections. Je voudrais saluer et féliciter les populations de Ziniaré pour leur sens élevé de la responsabilité et leur esprit républicain qui ont prévalu lors de ces élections. Je les invite à garder ce cap, pour gagner le pari du développement local qui est inéluctable, en raison notamment du caractère stratégique de la ville. Pour notre part, nous ferons tout pour laisser à nos successeurs, un environnement propice au développement de la commune.
Quelle est la perception qu’ont les populations de la gestion du parc animalier de Ziniaré ?
Nous saluons avant tout l’apport du parc animalier à l’économie locale. En effet, c’est un pôle important qui attire des touristes et impacte positivement l’environnement économique. A priori, on peut croire que le parc est une propriété de la mairie, mais, ce n’est pas le cas à notre connaissance. Le parc a ses gestionnaires qui lui sont propres. Et les populations en sont informées. Il y a simplement un partenariat entre les deux ; le parc ayant institué une politique qui profite à notre commune, par l’obligation d’apposer les timbres communaux sur les demandes des visiteurs du parc.
La menace extérieure et intérieure est pressante
Quelles sont vos attentes vis-à-vis du gouvernement que conduit le tout nouveau Premier ministre Paul Kaba Thiéba ?
Nous adressons toutes nos félicitations au Premier ministre pour sa nomination et formulons à son endroit nos meilleurs vœux de succès dans sa mission. Les attentes sont fortes d’un point de vue général. Il faut d’abord stabiliser le pays, restaurer l’ordre et l’autorité de l’Etat car, il ne peut pas y avoir de développement économique dans un pays où l’on ne peut pas appliquer la loi et les décisions de justice, où la menace extérieure et intérieure est pressante et où des poudrières sociales peuvent exploser à tout moment et faire dégringoler tous les acquis. Il faut ensuite engager un processus de dialogue et de réconciliation nationale. A un moment donné, il faut savoir mettre fin à la belligérance et se mettre au travail pour le développement. Depuis 1960, tous les présidents ont été chassés ou tués. C’est à croire que la violence politique fait désormais partie de l’ADN de notre pays. Depuis l’indépendance, nous avons passé le temps à faire des coups d’Etat et à nous tirer dessus comme des lapins. Il faut que cela s’arrête ! Et pour cela, il faut que l’on s’asseye pour discuter et trouver des solutions permettant de raffermir notre vivre-ensemble, d’apurer le passif et de combler les trous béants de la fracture sociale. Il faudra également poursuivre et engager des réformes politiques, institutionnelles et administratives sans passion, à travers l’écoute et la concertation. Il s’agira, entre autres, de réformer l’administration pour une meilleure cohérence et efficacité de l’action administrative et des politiques publiques, une déconcentration effective et une administration territoriale forte et républicaine. Il faudra, enfin, rénover l’économie. Car notre économie actuelle n’est ni une économie libérale, ni une économie socialiste. C’est plutôt une économie sauvage, constituée d’hommes forts et d’oligopoles voraces violant les règles de saine concurrence ; une économie verrouillée par la politique et imbibée de clientélisme et de corruption. Il faut que cela s’arrête pour que tout le monde puisse avoir la chance de réussir, y compris les jeunes qui veulent entreprendre. On sait aussi que nous avons, pour l’instant, une économie de gestion qui consiste à gérer simplement ce que nous avons. Cela ne peut pas nous amener loin. Singapour n’a pas émergé dans la sclérose économique. Il faut savoir créer ce que nous n’avons pas à partir de la recherche, de l’innovation, de la production et de la planification depuis le territoire ouest-africain à partir duquel nous allons dégager nos avantages comparatifs qui sont, à mon sens, l’élevage, l’agroalimentaire ainsi que les fruits et légumes à côté des secteurs classiques tels que les services. Si nous refusons de rénover notre économie, nous ne pourrons pas résoudre la question du chômage, car les solutions conjoncturelles consistant en des emplois aidés ne pourront pas prospérer s’il n’y a pas un environnement économique favorable à l’entrepreneuriat.
Quelles doivent être, selon vous, les priorités du nouveau gouvernement dans les 100 premiers jours ?
Dans les 100 premiers jours, il faudra éviter les fuites en avant et se pencher sérieusement sur les questions de la stabilisation du pays, du maintien de la paix, de la restauration de l’ordre et de l’autorité de l’Etat. C’est un préalable à la mise en œuvre du programme du gouvernement. Et pour ce faire, il faudra renforcer les capacités opérationnelles des Forces de défense et de sécurité, renforcer la légitimité sociale des juges, les capacités organisationnelles et opérationnelles de l’administration territoriale y compris le renforcement de la légitimité juridique et sociale des représentants de l’Etat et de leurs personnels. Le Burkina Faso dispose de l’administration territoriale la plus faible d’Afrique de l’Ouest, selon les observateurs avertis. En témoignent les nombreux conflits communautaires avec leur cortège de morts et de dégâts économiques, l’incivisme galopant, les actes de défiance de l’autorité publique, la création de milices et groupes armés d’autodéfense appelés « koglwéogo » sur le territoire national, remettant en cause la souveraineté de l’Etat et pouvant évoluer à tout moment en organisations subversives.
Il faut donc renforcer l’administration territoriale en faisant en sorte que les représentants de l’Etat, qui sont les dépositaires de l’autorité de l’Etat dans les collectivités territoriales, soient mis dans les conditions juridiques, organisationnelles, opérationnelles et humaines de pouvoir accomplir leur mission. Il y a des réformes qui ont déjà été engagées à cet effet au niveau du ministère. Il faut accélérer le processus. Il y a une professionnalisation des nominations dans les fonctions de représentant de l’Etat entamée depuis 2012 suite à une prise de conscience après la crise de 2011 ; elle doit être poursuivie.
Mais attention, restaurer
l’autorité de l’Etat ne signifie pas usage exclusif de la force. Ce serait faire comme ce président d’un Etat africain arrivé au pouvoir suite à une situation insurrectionnelle qui, voulant restaurer l’ordre dans son pays, a déployé des chars dans les rues. Conséquence : plus de 1000 morts. Ainsi il n’a pas pu restaurer l’autorité de l’Etat, et n’a fait que retarder l’échéance de sa déchéance brutale. Restaurer l’ordre et l’autorité, c’est faire un savant dosage entre le droit, la force et la psychologie sociale. Cela passe par l’action des représentants de l’Etat commis à cette mission et qui disposent à cet effet des forces de police administrative.
Les autres actions à poser dans les 100 premiers jours pourraient être le lancement d’une opération massive de lutte contre le chômage des jeunes et le démarrage effectif du processus de réconciliation nationale.
Propos recueillis par Lonsani SANOGO