Le mois de janvier finissant, l’harmattan semble régner en maître et sortir du lit est parfois bien pénible. Comme un peu partout dans d’autres régions du pays, la ville de Tenkodogo s’est réveillée le vendredi 29 janvier 2016 avec son train-train habituel.
C’était jour de marché et la cité n’allait pas tarder à connaître une certaine animation. Cela tombe tous les 21 jours et au moment où l’astre du jour luit, les musulmans pratiquants s’apprêtent à se rendre à la mosquée. L’appel du muezzin se fait même de plus en plus pressant. Après la prière, dans une mosquée du secteur 6, des fidèles apprennent qu’un deuil frappe le palais royal.
Ceux qui sont dans le secret des dieux sont frappés de stupeur alors que certains s’interrogent sur ce qui se passe. C’est par petits groupes, que les gens retournent d’où ils sont venus, non sans passer devant le palais royal. On veut sans doute s’assurer de ce qui se susurre, surtout que la véracité d’une information consiste en sa réalité. Quelques heures après la prière, le marché commence petit à petit à se vider dans le silence.
Les nouvelles ne sont pas bonnes : Sa Majesté Naaba Saaga, roi de Tenkodogo et Dima de Zoungratenga est mort. Une triste nouvelle qui se répand comme une traînée de poudre. La plupart des commerçants, disséminés dans la ville, baissent le rideau. Les bars et autres buvettes ne sont pas en reste. La circulation, du coup, devient moins fluide.
Des Tenkodogolais convergent vers le palais royal où un dispositif est déjà mis en place. Aux alentours de ce lieu, il y a foule. Les visages sont graves. On parle bas. Le Daporé Naaba, Premier ministre de sa Majesté Naaba Saaga, est dans la cour, entouré de quelques notables. On se concerte et entre-temps, il y a un va-et-vient incessant.
Quand le jour décline, le palais ne désemplit pas. Tenkodogo est plongée dans l’affliction et pleure le Naaba Saaga, qui s’est éteint à Bangkok en Thaïlande où il s’était rendu pour des soins. Hier dimanche 31 janvier 2016, on venait des différents villages de la commune pour compatir à la douleur de la famille royale. L’axe Koupéla-Tenko sera désormais le point de mire puisqu’on n’attend plus que le fourgon mortuaire.
Justin Daboné
J’étais avec le roi le 2 janvier
’’C’est la tristesse à Tenkodogo, et on ne sait pas quoi dire ’’. C’est ce que m’a dit Fasnewendé Minoungou, dit Prince Akim, quand je l’ai joint au téléphone le samedi 30 janvier 2016 après avoir appris la mauvaise nouvelle qui m’a beaucoup affecté. C’est incroyable, me disais-je, puisque j’étais avec le Dima de Zoungratenga il y a quelque temps.
Je le revois encore, le jour de la célébration du 11 décembre 2015, à la place du Haut-commissariat, recevant les félicitations du gouverneur du Centre-Est, le colonel Ousmane Traoré, après avoir été fait officier de l’Ordre national. Son visage, ce jour-là, était empreint d’une grande majesté. Après la cérémonie, ce sont des fusiliers et des tambourinaires qui l’avaient accompagné en grande pompe jusqu’à son palais. Il était dans une Mercedes blanche des années 60 que son père, le Naaba Tigré, ne quittait pas à l’époque.
A la faveur des fêtes de fin d’année 2015, j’étais à Tenkodogo pour me reposer. Une façon pour moi de fuir le tintamarre de la capitale. Le samedi 2 janvier 2016, je lui avais rendu visite au palais et remis des journaux dont un portait sur sa décoration. Je savais le Naaba Saaga un grand lecteur de L’Observateur Paalga et il avait de quoi lire pendant quelques semaines.
Nous avions échangé sur divers sujets et en le quittant, je lui avais promis d’autres journaux en avril 2016 quand je viendrais pour mon congé annuel. Mais il était peut-être écrit quelque part que je ne le reverrais plus. Les arrêts du destin sont vraiment inexorables. Le funèbre cantique est donc arrivé et on ne peut s’empêcher de méditer cette phrase d’Alphonse Daudet : «Je pensais, plein d’amertume : pourquoi suis-je sur la terre ! »
Maintenant, on nous demandera de quoi est mort Sa Majesté. Au palais où nous avions multiplié les coups de fil, on garde le silence. Mais nous avons appris, par recoupement, qu’il avait quitté Tenkodogo il y a une dizaine de jours accompagné d’un membre de la famille royale pour Bangkok. Le roi était souffrant il y a quelque temps et s’y rendait pour des soins. Mais le sort en a décidé autrement le vendredi 29 janvier 2016. Le Dima avait succédé à son père, le Naaba Tigré, en 2001. Celui-ci avait accédé au trône en 1957 et ses funérailles durèrent quatre jours.
Les cérémonies avaient débuté par une procession autour de la demeure royale. Le premier fils du chef sur un cheval (position en l’envers comme le veut la tradition) suivait le cercueil du défunt porté par des notables de la région, lesquels avaient fait trois fois le tour de la concession accompagnés d’une foule nombreuse qui chantait et dansait. Quinze ans après, le Naaba Saaga, à l’état civil Lébendé Sorgho, qui est né le 5 septembre 1960, rejoint ses ancêtres. Ancien député élu sous la bannière du CDP lors de la législature 1997-2002, il était pharmacien de profession.
Il s’en va à 55 ans en laissant une cité qu’il aimait tant et continuera de veiller sur elle dans son éternité.
J.D.