"Trente personnes ont été tuées et environ 70 blessées lors des attaques menées le 15 janvier contre le Splendid Hotel et le café Cappucino à Ouagadougou. Dans la mi-journée du 15 janvier unepremière attaque intervenue dans ma commune natale de Tin-Akoff (extrême nord de la province de l’Oudalan) à Inabao (et non Tin-Abao comme annoncé dans la presse), a visé un convoi officiel de gendarmerie faisant deux (2) morts et deux blessés.
Au lendemain des attentats de Ouaga, nous apprenons qu’un couple d'Australiens (je préfère dire Burkinabè pour quelqu’un qui est installé chez nous depuis 1972), le docteur Eliot et son épouse, ont été enlevés à Djibo, toujours dans la région du Sahel.
Au moment où la nation rend un hommage national aux victimes burkinabè
et étrangères lors des attentats terroristes, je condamne énergiquement les actes odieux de ces lâches, barbares, ignobles, infâmes, et sauvages vermines de terroristes. Je m’incline sur la mémoire des innocentes victimes.
Je souhaite prompt rétablissement à tous les blessés et beaucoup de courage à mes compatriotes dans la lutte contre l’hydre terroriste. J’ai une pensée affectueuse pour la famille Eliot, et je prie Dieu pour que le couple nous revienne en bonne santé. Il est tout à fait normal qu’après les attentats de Ouagadougou, les mesures de sécurité soient renforcées et les suspects dénoncés. Je félicite les forces de défense et de sécurité à l'œuvre pour leur professionnalisme. Mais j’attire l’attention des pouvoirs publics sur le risque de stigmatisation de certains groupes ethniques qui sont burkinabè ou qui vivent au Burkina.
Ne confondons pas par exemple terroristes et touareg comme on l’entend de la bouche de certaines
personnalités et journalistes, ceux-là mêmes qui ont une mission d’éducation du peuple. Le teint ne fait pas l’ethnie et l’ethnie ne fait pas le truand ! Je suis Touareg mais j’ai pas mal d’amis Mossi, Bissa, Bobo, Gourmantché, Dagari… qui sont plus clairs que moi ; sont-ils pour autant des Touaregs ?
Non, évitons l’amalgame ! L'attentat de uagadougou a des conséquences immédiates sur la cohabitation sociale au Burkina Faso. Heureusement que notre ministre en charge de la Sécurité, M. Simon Compaoré, a appelé les gens à la retenue! Chez les Sahéliens qui voyagent à l’intérieur du pays, c’est présentement le calvaire, c’est à peine si au cours des contrôles on ne les identifie pas à des assaillants. Nos parents rapportent tous les jours des propos choquants qui traduisent une méconnaissance profonde de l’histoire et de la géographie des peuples qui font le Burkina Faso. Ils entendent des affirmations contraires aux valeurs de notre Faso. Désigner une population de ‘’djihadiste’’ en tablant sur son origine ethnique est inacceptable et contraire aux principes de notre Constitution.
Je comprends et je partage la vive émotion, la profonde tristesse et la douleur de mes compatriotes, mais c’est dans ces moments terribles que nous devons prouver au monde entier que nous sommes une exception contre la tyrannie, une école de résistance, un symbole de démocratie, un modèle de diversité culturelle et d’intégration. Restons soudés et sereins contre les forces du Mal car le message est clair ‘’on ne s’attaque pas impunément au Pays des hommes intègres’’. J’ai aussi du mal à comprendre ce qui nous arrive ! J’ai l’intime conviction que ces monstres se trompent de cible ; notre stabilité, notre sécurité, notre souveraineté, notre démocratie, notre liberté ne pourront pas être prises en otage par une bande d’illuminés ! Laissons au baigneur son maillot de bain.
Dans un passé récent, la région du Sahel fut déjà une victime du terrorisme et les activités de tourisme en furent complètement affectées. L’artisanat local perdit de sa superbe, les campements fermèrent, les guides sombrèrent dans le désespoir… ; un coup dur pour un pan important de l’économie locale. Cette région est un carrefour ethnique où se côtoient des Dogon, des Arabes, des Fulcé, des Yoruba, des Mossi, des Sonrai, des Haoussa, des Peulh, des Touareg….) en majorité de confession musulmane.
Il faut rappeler que lors de la pacification de la boucle du Niger par la colonne Voulet et Chanoine, ces peuples restèrent insoumis en menant une résistance farouche à l’envahisseur colonial. La présence des Touaregs au Burkina Faso date du début du XIX siècle, après la chute de l’empire Songhay. Aujourd’hui, la province de l’Oudalan située à l’extrême nord du Burkina Faso porte un nom qui signifie en langue tamacheq (langue touareg) « tentes bleues ».
Je crois savoir que le nom touareg a été donné par des étrangers aux peuples du désert. Ce nom ne signifie rien dans notre langue. Ce nom se retrouve alors avec plusieurs significations : ‘’gens de l’au-delà, gens du désert, les oubliés, les abandonnés de Dieu à cause du refus qu’ils opposent à l’islam’’. Ceux qui portent ce nom, lui préfèrent «kel tamacheq» car la langue est l’identité culturelle de base.
Les peuples du Sahel portent le turban et des boubous comme tenue vestimentaire culturelle. Le Touareg porte le turban au quotidien à partir de l’âge adulte ; le voile est essentiel aussi chez la femme. Le turban n’est pas qu’un morceau de tissu adapté contre les vents de sable ou protégeant de l’ardeur du soleil, de la fraîcheur de la nuit… « Chez le Touareg, le turban garde contre les assauts maléfiques, aide à dissimuler une émotion (peur ou joie), à donner l’image d’une constante maîtrise de soi… ».
Dans la société touareg, enlever son turban devant des gens qu’on ne connaît pas équivaut, dans les villes du Burkina ou ailleurs, à enlever son pantalon ; laissons donc au baigneur son maillot de bain ! C’est le turban ‘’Alecho’’ (bande de cotonnade à l’indigo) qui contribue par les traces qu’il laisse sur le visage à donner aux Touaregs le nom exotique : «les hommes bleus».
En définitive, je suis d’avis que les passions populaires sont promptes à s’échauffer, en particulier dans les périodes sombres, comme celle que nous traversons. Mais il faut savoir raison garder, car «la passion conduit à l’abolition de la réflexion, au passage à l’acte, à la décharge immédiate des désirs les plus primitifs». Dieu bénisse le Burkina Faso éternel et inébranlable ! Merci et splendidement.
Mohamed Ag Ibrahim
Citoyen burkinabè