Sur une place de la Nation sous très haute surveillance, les représentants religieux, les porte-parole des familles et le président du Faso ont rendu un vibrant hommage aux 30 victimes des sanglants attentats qui ont frappé Ouagadougou le vendredi 15 janvier. Une heure et quart d’une cérémonie aux discours très riches, dont nous vous proposons dans ce récit de larges extraits.
Un premier contrôle près du rond-point des cinéastes. Les hommes du commando spécial de la Police nationale palpent leurs homologues masculins, les femmes poursuivant impunément leur chemin. Un deuxième contrôle, à l’entrée de la place de la Nation. Cette fois-ci, personne n’échappe aux scanners et aux détecteurs de métaux asexués. Tous les accès sont barrés par des véhicules équipés de sulfateuses ou de soldats casqués, le gilet pare-balles sur le dos et la mitraillette en mains.
A l’intérieur de ce périmètre ultrasécurisé, des chaises et des chapiteaux ont été disposés à l’ouest et à l’est, côté Conseil constitutionnel et mess des officiers, de part et d’autre d’une tribune officielle positionnée pour une fois face au monument central et à l’entrée du Camp Guillaume Ouédraogo. Au centre, les portraits des 30 victimes des attentats de Ouaga (avec leurs noms parfois mal orthographiés) ont été déposés sur de hauts chevalets blancs. Le vent à plusieurs reprises les emporte, contraignant rapidement l’organisation à poster un militaire derrière chacun.
Les invités arrivent au compte-gouttes, quand soudain tout le monde se lève. Les deux-tons retentissent bruyamment. Une vive clameur monte. Il est 9h50 et la voiture présidentielle vient de pénétrer sur la place. Chaussures noires, pantalon et long boubou blancs, Roch Marc Christian Kaboré en descend. Il s’arrête un instant devant la fanfare pour écouter l’hymne national avant de passer les troupes en revue et de saluer les familles des disparus. Le chef de l’Etat prend place sur son grand fauteuil blanc, et tout le monde se rassoit. La cérémonie peut commencer.
« Avant notre identité ethnique, nationale ou religieuse, il y a notre humanité commune. C’est elle qui souffre toutes les fois qu’un acte barbare est commis. »
(représentant de la communauté musulmane)
Simon Compaoré est le premier à investir la tribune. Un à un, le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité intérieure égrène les noms des 22 hommes et des huit femmes sauvagement assassinés dix jours plus tôt sur la plus belle avenue de Ouagadougou. Les drapeaux des 11 pays dont ils étaient ressortissants flottent derrière lui. La sirène municipale retentit. Une minute de silence est observée dans la capitale ainsi que sur toute l’étendue du territoire national.
Tout de blanc vêtus, les chefs religieux descendent ensuite des gradins pour prononcer une prière œcuménique. Le représentant de la communauté islamique commence : « Nous, musulmans, avons une responsabilité particulière. Il nous incombe non seulement de joindre nos mains avec celles des autres pour sauver notre monde du fléau du terrorisme et de la violence extrémiste, mais aussi de restaurer l’image ternie de notre foi. (…)
Nous devons organiser nos efforts à l’échelle communautaire afin de lutter contre tous les facteurs qui favorisent le recrutement des terroristes. Nous avons besoin de mettre en place des cadres pour détecter au plus tôt les jeunes en déshérence. Il faut les empêcher d’emprunter les chemins qui les mèneront à leur perte, et accompagner les familles en leur prodiguant des conseils et en les soutenant de diverses manières.
Nous devons promouvoir l’engagement positif des citoyens musulmans, afin qu’ils puissent s’asseoir à la table où les mesures antiterroristes sont planifiées, et partager leurs idées. Nous devons apprendre à notre jeunesse la manière démocratique d’exprimer ses opinions. Du reste, avant notre identité ethnique, nationale ou religieuse, il y a notre humanité commune. C’est elle qui souffre toutes les fois qu’un acte barbare est commis. »
Son homologue catholique abonde dans le même sens : « Le vendredi 15 janvier, des mécréants se réclamant de Dieu, de surcroit un jour sacré et béni pour nos frères musulmans, ont commis un acte diabolique. Mais j’ai foi que, quoiqu’il se passe, la justice humaine et divine s’appliquera dans toute sa rigueur », professe-t-il.
« Les familles attendent impatiemment la justice sans haine ni rancune, pour montrer que l’humanité est différente de l’animalité. (…) Nous réaffirmons que la meilleure réponse à ces terroristes, c’est toujours de prendre un cappuccino dans un Burkina splendide! »
(Représentant des familles de victimes burkinabè)
Après quelques minutes de prière et de recueillement, c’est au tour des porte-parole des familles de s’exprimer. « Nos chers disparus étaient venus apporter des sourires », entame sans les formalités d’usage le chargé d’affaires de l’ambassade du Canada s’exprimant au nom des 17 morts étrangers.
« Nos compatriotes étaient venus apporter leur expertise pour le développement du Burkina Faso. Nos bien-aimés étaient venus partager leur passion et la mettre au service des plus faibles et des plus démunis. Ils étaient venus donner leur part pour la construction d’un Burkina où il fait bon vivre. Ils étaient venus pour tenter de réaliser leurs rêves, des rêves d’un monde de solidarité, de fraternité et d’amour. Alors que nos chers parents étaient chaleureusement accueillis sur la terre du Burkina, des monstres ont surgi des ténèbres pour leur arracher la vie. Dans cette folie meurtrière, ces monstres ont pris à la fois la vie de l’époux, de l’épouse, de la conjointe, du père, de la mère, de l’enfant, du frère, de la sœur, de la belle-sœur, de l’ami, du collègue, du compatriote, de l’hôte, de l’invité », se désole l’émissaire de la Belle-Province avant de remercier le Burkina pour son ouverture au monde extérieur, et de répéter « restons ensemble » dans une demie-douzaine de langues.
La déclaration du représentant des victimes burkinabè est plus concise. « Les familles attendent impatiemment la justice sans haine ni rancune, pour montrer que l’humanité est différente de l’animalité. (…) Nous réaffirmons que la meilleure réponse à ces terroristes, c’est toujours de prendre un cappuccino dans un Burkina splendide! », s’exclame Félix Kinda, déclenchant des salves d’applaudissements nourries.
« En ces moments particulièrement difficiles pour la sécurité, la paix et la tranquillité publique, tous nos ennemis extérieurs et intérieurs conjuguent leurs efforts pour plonger le pays dans les ténèbres. »
(Roch Marc Christian Kaboré)
Enfin, il revient au Président de conclure cette série d’allocutions. Selon lui, la multiplication des actes criminels depuis un an et demi, de l’enlèvement d’un travailleur roumain à Tambao aux attentats de Ouagadougou en passant par les attaques de Samorougouan et de Tin-Akoff, « traduit la volonté des terroristes d’imposer leur loi à notre peuple et de l’empêcher de construire son bonheur ». « C’est mal connaitre le peuple burkinabè », réplique le chef de l’Etat. « Ce peuple n’a jamais marchandé son honneur depuis la nuit des temps, et ne s’est jamais plié ni résigné devant ses ennemis. Face à ce nouveau défi, il se mobilisera comme un seul homme pour opposer une défaite cinglante aux entreprises terroristes sur notre sol », assure-t-il.
Après avoir salué les « acquis démocratiques » de l’insurrection d’octobre 2014, de la résistance populaire au coup d’Etat de septembre puis des élections de novembre 2015, le président du Faso est revenu sur la semaine perturbée que vient de connaître le pays. « Pendant que nous pleurons les morts des attaques terroristes, des soldats récalcitrants de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle, nostalgiques d’un passé à jamais révolu, ont attaqué le dépôt d’armes et de munitions de Yimdi, tandis que des individus non encore identifiés se livrent à des incendies dans les marchés et boutiques, montrant à souhait leur nature d’apatride et d’ennemi jurés du peuple burkinabè. (…) En ces moments particulièrement difficiles pour la sécurité, la paix et la tranquillité publique, tous nos ennemis extérieurs et intérieurs conjuguent leurs efforts pour plonger le pays dans les ténèbres », s’alarme le président Kaboré, affirmant que « c’est en restant debout, déterminé et vigilant face aux forces du Mal que nous rendrons le meilleur hommage à toutes celles et tous ceux qui ont été fauchés si atrocement ».
Le premier des Burkinabè regagne son siège, et c’est finalement aux deux maîtres de cérémonie qu’il revient de conclure, dans un canon bien ajusté, par ces vers du poète sénégalais Birago Diop :
« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire
Et dans l'ombre qui s'épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l'arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l'eau qui coule,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts. »
Thibault Bluy
Aboubacar Dermé (stagiaire)