La composition du nouveau gouvernement est désormais connue et la bonne nouvelle pour tous les militants de la cause de l’eau est indéniablement la création du Ministère de l’Eau et de l’Assainissement. Les félicitations fusent à juste titre de toutes parts : bailleurs, ONG, secteur privé, administration, simples citoyens. Tout le monde manifeste une grande satisfaction et beaucoup d’optimisme.
Certes, dédier un ministère pour l’eau et l’assainissement n’est pas une fin en soi, mais tout de même un moyen très conséquent pour d’une part confirmer l’importance accordée par les plus hautes autorités nationales à ce secteur, et d’autre part, pour la conduite efficace de l’action publique. Cette décision politique donne toutes les chances de succès à la Politique Nationale de l’Eau et l’ensemble des programmes sectoriels élaborés pour atteindre l’objectif mondial de développement durable n°6 qui porte exclusivement sur l’eau et l’assainissement.
Dédier pleinement un ministère pour l’eau et l’assainissement crédibilise l’État burkinabè, non seulement vis-à-vis des partenaires techniques et financiers déjà mobilisés en faveur du secteur, mais également vis-à-vis de nouveaux partenaires potentiels. Il reste maintenant aux professionnels du secteur à saisir cette opportunité pour faire la preuve que cette reconnaissance politique portera les fruits escomptés en termes de performances et d’efficacité.
Avant ce signal politique fort, il faut saluer les efforts du secteur de l’eau avec la définition des grands chantiers notamment pour les zones rurales dans les années à venir. Un audit institutionnel du secteur est prévu dans les mois à venir pour documenter les défaillances, incohérences et inadéquations institutionnelles et organisationnelles qui minent les performances de l’État aux niveaux central, déconcentré et décentralisé notamment dans les zones rurales.
Des réformes institutionnelles fondamentales sont attendues à l’issue de cet audit pour permettre à l’administration de se mettre à la hauteur des besoins et ambitions définis à l’horizon 2030. Il est déjà établi que ces réformes devront s’accompagner d’investissements significatifs dans le développement quantitatif et qualitatif des ressources humaines de l’administration. Ainsi se présentent les bases structurelles que l’État burkinabè devra poser au cours des prochaines années pour mettre résolument le Burkina Faso sur les rails de l’accès universel et pérenne à l’eau et à l’assainissement.
Évidemment, bien de gens pourraient s’étonner de ne pas voir figurer de forages, de barrages ou de latrines dans cette liste des priorités. C’est le principal enseignement tiré des 30 dernières années d’expérience en matière de politiques et stratégies publiques d’approvisionnement en eau potable, d’hygiène et d’assainissement dans la plupart des pays en voie de développement.
Combien de centaines ou de milliers de milliards de Francs CFA ont-ils été dépensés dans les forages et les latrines ? Et quelle a été l’incidence de ces gros investissements sur la qualité des services pour les usagers ? Pour présenter le taux d’accès officiel à l’eau potable qui est actuellement de 64% en zones rurales au Burkina Faso, il a fallu considérer que tous les forages dont la durée de la panne ne dépasse pas 12 mois sont fonctionnels et donc ont fourni 20L d’eau par personne chaque jour à 300 personnes.
Il est aussi établi qu’on ne consomme effectivement de l’eau potable qu’avec un robinet à la maison. Tous les travaux de recherche depuis dix ans nous informent que les moyens actuels de stockage et de transport de l’eau des points d’eau potable distants aux domiciles dégradent systématiquement et significativement la qualité de l’eau. La réalité est donc que l’accès à l’eau potable en milieu rural est largement surestimé car il repose essentiellement sur une logique d’installation d’équipements sans capacités et organisations adéquates pour la fourniture des services satisfaisant les besoins des usagers.
À propos de l’assainissement au niveau des ménages, le taux d’accès en fin 2014 était de 9% contre une prévision de 49% en suivant le chemin tracé vers les objectifs du millénaire. Et ce résultat a coûté 47% du budget prévisionnel pour atteindre les objectifs du millénaire. On a donc utilisé environ la moitié du budget pour réaliser 20% du travail. Ainsi se présente la réalité des performances nationales en matière d’eau potable et d’assainissement dans les zones rurales du Burkina Faso.
Il va falloir nécessairement consentir de gros investissements encore dans les équipements et infrastructures au cours des prochaines décennies, mais en s’inscrivant maintenant et résolument dans une logique de service public, dans une approche fondée sur les droits humains, en s’imposant plus d’équité, plus de rigueur et plus d’efficacité, conformément aux nouvelles orientations sectorielles. Réformer le secteur et renforcer les capacités sont des conditions incontournables et urgentes de succès.
Les appréhensions des spécialistes étaient très fortes quant à la faisabilité de tels changements structurels au sein d’un ministère ou l’eau doit cohabiter avec un autre secteur lourd de l’agenda politique comme l’agriculture. Dédier pleinement un ministère aux chantiers de l’eau et de l’assainissement est donc un choix politique judicieux et responsable.
En plus des professionnels du secteur qui doivent saisir cette opportunité pour engager sereinement les réformes fondamentales, il est aussi important que les premières autorités nationales ainsi que la société civile assurent un suivi rigoureux des performances de ce ministère. Le Président du Faso s’est engagé à éradiquer la corvée de l’eau et assurer un cadre de vie sain pour ses concitoyens. Sur la base des éléments objectifs dont nous disposons, le démarrage du mandat est plutôt bien réussi.