Ouagadougou - "On ne savait pas si on pourrait s'en sortir. On a essayé d'appeler nos familles pour leur dire qu'on n'était pas
sûr qu'on allait se revoir", raconte la voix tremblante Suzanne Songa-Ouédraogo, une des rescapées de l'attaque jihadiste qui a fait 29 morts à Ouagadougou dans la nuit de vendredi à samedi.
Opérée samedi après-midi à l'hôpital Yalgado-Ouédraogo, cette artiste peintre burkinabè a reçu une balle dans le bras et est restée enfermée dans le
noir, dans une des salles de réunion de l'hôtel Splendid, un des sites attaqués, de 19h45 à 3h du matin, baignant dans son sang et entendant les assaillants crier et tirer à quelques mètres d'elle.
Samedi après-midi, l'avenue Kwame N'Krumah au niveau de l'hôtel Splendid et du café restaurant Cappuccino avait des allures de zone de guerre. Des rubans
jaunes empêchaient des centaines de Burkinabè traumatisés d'accéder à la "scène de crime".
"On est venus pour partager avec ceux qui sont couchés (morts, ndlr). Je ne peux pas travailler parce que trop de gens sont morts", assure Hyacinthe Ouédraogo, ouvrier, qui clame sa colère en observant trois véhicules des pompes funèbres chercher les corps des victimes.
Des officiels transportaient avec respect les cadavres placés dans des sacs en plastique bleu.
Sur le sol, des dizaines de douilles, du verre cassé et des débris divers. Sur les murs, d'innombrables impacts de balles. La façade du Splendid est noire de suie en raison de l'incendie allumé par les jihadistes. Une quinzaine de voitures et de nombreuses motos gisent calcinées. Des échoppes de vendeurs de cigarettes ou de mouchoirs sont miraculeusement intactes, après la fuite de leurs propriétaires qui ont abandonné leurs biens.
- 'Je croyais que c'était fini' -
Lucien Trabi, manageur artistique originaire de Côte d'Ivoire, était attablé au maquis le Taxi-brousse pour boire un verre quand les "cinq jihadistes, dont deux femmes, sont passés". Si plusieurs témoins évoquent la présence de deux femmes, le ministre de la Sécurité intérieure a démenti samedi soir cette information, parlant de "trois hommes" uniquement.
"La patronne a dit: +c'est quoi cette manière de s'habiller+. Ils portaient des gants. On a vu une kalach dépassée. Ils nous sont passés devant et sont allés jusqu'au Cappuccino. Là, soudain, ils ont commencé à mitrailler tout le monde. Ils cherchaient surtout les expatriés", dit-il.
"Nous, on s'est réfugiés dans l'immeuble en hauteur. On voyait les jihadistes, ils tiraient. Dans la nuit, ils criaient +Allah Akbar+. Les policiers avaient des vieilleries, mais on aurait dit que leurs armes sortaient de la boite. Ca brillait. Ils avaient des doubles chargeurs", affirme-t-il. Au petit matin, alors que les tirs ont cessé, il commet l'imprudence de vouloir se soulager et tombe nez à nez avec un jihadiste. "C'était un jeune. 19 ans comme ça. Il m'a fait signe de venir. Je croyais que c'était fini... J'ai poussé un casier de bière sur lui et j'ai fui. Il a tiré +Tatatata+ j'ai plongé. Je me suis fait mal au genou et j'ai rampé. Ce n'est qu'après que j'ai senti que javais reçu une balle" dans le dos au niveau de l'épaule.
"J'avais du sang partout. Plus tard, la Croix-rouge (en fait les services de santé de l'armée, ndlr) nous a emmenés. Quand on est passés devant le Cappuccino, j'ai vu quatre cadavres dont deux femmes blanches. C'était pas joli. J'ai eu de la chance", raconte Lucien. "Maintenant quand je ferme les yeux, je vois ce +connard+ de jihadiste".
Le Cappuccino, endroit très fréquenté par la communauté expatriée, est sans doute le lieu où il y a eu le plus de victimes, selon plusieurs témoins.
Employé du Café, Yassia Salouka servait une table quand "il y a eu le coup de fusil". "Je me suis couché aussitôt et j'ai rampé derrière le bar. On a été aux vestiaires et on s'est enfermés. On était quatre. D'autres sont allés aux toilettes, derrière... Ca tirait de partout. Il y a eu des morts". Il a été exfiltré le matin par des gendarmes burkinabè et des "soldats français" des forces spéciales.
A l'hôtel Splendid, la situation n'était pas moins désespérée, comme le raconte Suzanne. "On a entendu des coups de feu, on a d'abord cru que c'était des pétards. Mais, ensuite on s'est enfermés dans la salle de réunion et on a éteint les lumières. Ils ont tiré, cassé la porte et ils ont rafalé dès qu'ils sont rentrés. Ils ont mitraillé tout le monde", se souvient-elle. Sur quatorze personnes présentes, cinq ont été touchées.
Avant d'être sauvé, le groupe a "vécu dans la frayeur", raconte-t-elle. "On les entendait parler dans leur langue. On ne comprenait pas, ça tirait partout. C'était un cauchemar".
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