Ouagadougou - La justice burkinabè a lancé vendredi un mandat d’arrêt contre Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne et ancien chef de la rébellion, une décision qui menace d’empoisonner les relations entre les deux pays voisins, fortement imbriqués à plusieurs niveaux.
Les présidents ivoirien Alassane Ouattara et burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, fraîchement élu, cherchaient récemment à normaliser les relations alors que l’ancien chef d’Etat burkinabé, Blaise Compaoré, chassé par la rue en 2014, avait été un des principaux alliés de M. Ouattara.
Selon une source judiciaire burkinabè, "un mandat d’arrêt international a été lancé contre M. Soro dans le cadre de l’enquête sur le putsch (raté du 17 septembre) et les écoutes téléphoniques". Ces écoutes concernent une conversation, diffusée dans la presse en novembre, attribuée à Guillaume Soro et Djibrill Bassolé, ex-ministre des Affaires étrangères burkinabè (sous le régime de Compaoré).
Guillaume Soro et Djibrill Bassolé - ce dernier, qui fut un homme clé du régime Compaoré tombé en 2014, est actuellement emprisonné - ont tous deux nié depuis avoir eu cette conversation, dénonçant une "manipulation".
Dans l’enregistrement d’une quinzaine de minutes, les deux interlocuteurs envisagent la possibilité de soutenir le putsch (alors en cours) mené par le général Gilbert Diendéré, ancien bras droit de Compaoré et chef de Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’unité putschiste.
Officiellement, la Côte d’Ivoire n’a rien reçu de la part de la justice du Burkina, mais Moussa Touré, un proche conseiller de M. Soro, a réagi avec vigueur: "Si ce mandat était avéré, ce serait un acte hostile contre la Côte d’Ivoire et il ne resterait pas sans réponse", a-t-il déclaré, qualifiant le mandat "d’improbable".
"Nous avons été informés via les réseaux sociaux qu’un mandat d’arrêt contre le président de l’Assemblée nationale ivoirienne aurait été envoyé. La notification par les réseaux sociaux n’a pas de valeur juridique", a-t-il ironisé.
- Compaoré, ancien soutien de Ouattara -
En décembre, le commissaire du gouvernement (procureur militaire) du Burkina, le lieutenant-colonel Norbert Koudougou, avait toutefois indiqué que les enregistrements avaient été versés au dossier, soulignant qu’"un expert" serait chargé d’authentifier ou de discréditer ces écoutes. Début décembre, le
Premier ministre en exercice Isaac Zida avait affirmé à la radio privée Savane FM, que les enregistrements étaient "authentiques".
Ce mandat survient alors que la justice militaire du Burkina Faso, qui a aussi en charge le dossier du pustch, a lancé un autre mandat en décembre contre l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré qui vit en exil en Côte d’Ivoire.
La justice burkinabè s’intéresse à son rôle dans la mort de l’ancien chef d’Etat Thomas Sankara, tué en 1987 lors du coup d’Etat qui le porta au pouvoir.
Pendant les fêtes de fin d’année, une photo prise dans l’est du pays du président ivoirien Ouattara aux côtés de Balaise Compaoré, qui a circulé dans la presse et les réseaux sociaux, a été interprétée par certains comme une marque de solidarité de M. Ouattara à M. Compaoré, un de ses principaux soutiens internationaux avant son élection et surtout lors de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire en 2010-2011.
Signe du rapprochement voulu par Abidjan avec les nouvelles autorités à Ouagadougou, M. Ouattara s’était déplacé en personne fin décembre à l’investiture de M. Kaboré, ancien baron du régime Compaoré qu’il a quitté un an avant sa chute.
Vendredi, certains observateurs avouaient ouvertement leur "surprise" devant ce mandat d’arrêt alors que les deux présidents paraissaient sur la même longueur d’ondes.
M. Soro, qui a également fait l’objet en décembre d’un mandat d’amener français dans le cadre de la plainte d’un fils de l’ancien président Gbagbo, s’était défendu mi-décembre devant l’Assemblée nationale affirmant que ces écoutes étaient des "chimères" et qu’il était "victime d’une des pires campagnes de dénigrement et de calomnie".
Le 16 septembre, des soldats du RSP avaient pris en otage le président Michel Kafando et le gouvernement avant de proclamer le coup d’État le lendemain. La mobilisation des citoyens et de l’armée loyaliste avait conduit à l’échec du putsch une semaine plus tard.
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