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L’Observateur N° 8388 du 5/6/2013

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Théâtre au Burkina Faso : Entre exigence artistique et dictature du public
Publié le jeudi 6 juin 2013   |  L’Observateur




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Il n’y a de théâtre que pour un public. Faut-il pour autant que le théâtre sacrifie au mauvais goût du public en renonçant à la qualité parce que le public n’est pas demandeur de qualité ?

Cette dernière décennie, dans le développement des arts au Burkina Faso, la palme revient au théâtre qui a su innover et se créer un véritable public. Le Carrefour international de théâtre de Ouagadougou (CITO) est la structure qui a pu ancrer le théâtre dans les habitudes des Ouagalais et cela, à travers la création régulière de spectacles de qualité et leur mise à l’affiche pendant un ou deux mois. Ce fut un long combat et un pari osé que de faire payer les spectacles de théâtre à un public habitué à la gratuité du théâtre de sensibilisation. Pari gagné parce que le public est devenu fidèle. Bien que le prix du ticket soit passé du simple au double, les spectacles sont bien connus, et le Cito fait souvent salle comble avec de grandes mises qui ont ébloui les amateurs des planches et imposé un label de qualité.

Pourtant à suivre les dernières représentations, même en acceptant que les hommes sont nostalgiques et ont naturellement tendance à enjoliver le passé et à ne pas se satisfaire du présent, un constat s’impose : la qualité n’est plus un impératif catégorique dans les récentes mises en scène. Bien que le public continue de courir aux représentations, la fièvre créatrice est retombée comme un soufflé.

On pourra toujours brandir l’argument de la présence massive du public à chaque nouvelle création contre notre constat ; pourtant, en matière de création, quoique l’adhésion populaire soit importante, elle ne dit rien de la qualité artistique. Car si faire accourir la foule est un critère d’artisticité, l’accident de circulation serait le premier art dans notre capitale, tant il mobilise les badauds. Le spectacle de deux motos cabossées, un homme gisant sur la chaussée, un gyrophare de pompiers et subitement des centaines de spectateurs s’agglutinent autour.

Les derniers spectacles que nous avons vus au Cito pêchent par la faiblesse de la mise en scène et la direction d’acteurs ; on y décèle par ailleurs une tentation de faire rire à tous les coups comme si le théâtre ne pouvait être que comique. Ce qui donne des représentations avec un chapelet de gags et un comique forcé qui nuit à la cohérence de l’ensemble du texte. Tout se passe comme si les metteurs en scène se sentaient dans l’obligation d’offrir des moments d’hilarité au public pour le contenter, vaille que vaille.

Entendons-nous ! Il ne s’agit pas pour nous de dire que la comédie est un genre facile mais de refuser que sous le prétexte d’ameuter un public qui assimile théâtre et comique, on veuille faire rire à tous les coups. Si la première des règles est de plaire, il s’agit de plaire sans dévaluer son art. Succomber à un théâtre facile, ranger la qualité aux rayons des accessoires désuets, c’est trahir son art et mépriser le public. Si le public aime la comédie, il faut lui offrir ce genre tout en lui donnant le meilleur comique. L’Os de Mor Lam d’Issiaka Sawadogo et l’Eléphant du Roi d’Ildévert Meda ont été des comédies ayant connu un succès durable parce que la mise en scène et la direction d’acteurs étaient des plus exigeantes.

Dans le dernier spectacle, si l’on ne retient que la prestation d’Hyppolite Kanga, c’est parce qu’il a construit un personnage d’homme politique d’une grande cohérence, risible et crédible. Beaucoup de comédiens n’endossaient pas un personnage construit mais semblaient obnubilés par le besoin de déclencher le rire dans le public à grand recours de caricature, de gags, d’un jeu forçant le trait. Ce qui donne une prestation aussi incohérente que l’encéphalogramme d’un fou !

Nous pensons que le Cito, dont le slogan de «maillon fort du théâtre au Burkina Faso» est amplement justifié, a réussi à fabriquer, à force de travail et de persévérance un public de théâtre et à offrir aux comédiens et aux metteurs en scène du pays des défis artistiques qu’ils ont relevés et qui les a hissés au rang d’artistes talentueux et exigeants. Il serait par conséquent dommage que ces acquis soient dilapidés dans les desiderata d’un public amateur d’un théâtre au rabais. Ce public-là pourra migrer à la maison du Peuple et trouver son content dans les one’s man show des comiques comme Gombo Com, Oyou et Souké.

Ce serait regrettable qu’après avoir posé le socle d’un théâtre de qualité, le Cito revienne à un théâtre au rabais qui se jugerait à l’applaudimètre. C’est manquer de respect au public que de penser comme Lope de Vega qui écrivait dans l’Art nouveau de faire les comédies (1609): «Après tout, comme c’est le peuple qui paie ses sottises, il est juste qu’on le serve à ses goûts».

Alcény Saïdou Barry

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