La Cour des comptes est un membre observateur du Cadre de concertation des organes de contrôle de l’ordre administratif de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC). A ce titre, elle a pris part à la 2e session de cette instance, du 5 au 8 janvier 2016 à Bobo-Dioulasso. A l’occasion, son premier président, Noumoutié Herbert Traoré, a donné son point de vue sur certaines recommandations, à savoir la mise en application effective de la loi portant prévention et répression de la corruption, et la motivation demandée par les inspecteurs de service.
Sidwaya (S.) : Au cours de la session des organes de l’ordre administratif, on est revenu sur la lutte contre la corruption. Que faut-il faire pour effectivement arriver à lutter contre la corruption au Burkina Faso, à travers la mise en application la loi 04 ?
Noumoutié Herbert Traoré (N.H.T.) : La Cour des comptes qui est une structure de contrôle externe vient en observateur tout comme les autres organes tels que l’ARCEP et l’ARCOP, pour harmoniser nos points de vue au Cadre de concertation des organes de contrôle de l’ordre administratif. Revenant à votre question principale qui est la lutte contre la corruption sinon la mise en œuvre de la loi 04, effectivement, ce n’est pas l’adoption de la loi qui va enrailler la corruption, mais la loi est là pour organiser la lutte et comment surmonter les difficultés. Pour cela, il faut que nous les acteurs, que les corps de contrôle chargés de l’application de la loi, nous l’approprions d’abord. Si nous nous approprions la loi, nous verrons quelles sont les tâches qui incombent à chacun des acteurs et ensuite, nous pourrons aller vers son application. J’ai toujours dit que c’est parce qu’il y a un corrupteur qu’il y a un corrompu, donc il faut non seulement sanctionner le corrompu, mais il faut aussi sanctionner le corrupteur. Il ne s’agit pas d’aller prendre l’individu et dire qu’il a corrompu parce que c’est quand ça ne marche pas entre le corrompu et le corrupteur que tout le monde est au courant, mais plutôt chercher la cause de la corruption. Et les causes elles sont profondes.
S. : Pendant la session, les participants ont évoqué le manque de motivation. Est-ce qu’au niveau des organes de contrôle, les acteurs ne seront pas un jour tentés, au regard de ce manque de motivation ?
N.H.T. : La motivation, ce n’est pas forcément l’aspect financier qu’il faut voir, mais elle est beaucoup matérielle et morale. Quand je parle de moral, ce sont les conditions de travail qui font que les gens mêmes viennent à un travail. Quand vous prenez le cas des inspections, j’ai été à l’inspection générale des finances et ça va un peu. Mais quand vous prenez les inspections techniques, on a l’impression que c’est quand on n’a pas besoin des gens qu’on les envoie à l’inspection technique. Les gens n’ont même pas le minimum pour travailler, ce sont les conditions morales et matérielles qui font le travail. Quant à l’aspect motivation financière, même si vous payez les gens à 1 million, 2 millions de F CFA par mois, c’est la conscience qui va d’abord faire le travail. S’il n’est pas consciencieux, de toutes les façons, on ne peut pas satisfaire le besoin du vérificateur ou de l’agent du jour au lendemain comme ça. Comme on l’a toujours dit, si vous augmentez les salaires automatiquement, forcément cela joue sur les coûts des produits sur le marché, car que ce soit le commerçant ou l’opérateur économique, chacun y voit l’occasion d’augmenter les coûts. Si vous prenez le cas du loyer, c’est un exemple palpable pour le Burkina Faso. A chaque fois qu’on augmente les salaires, automatiquement le loyer monte. Donc c’est pour dire qu’il ne faut pas voir seulement l’aspect pécuniaire maintenant. Il faut aller chercher la cause. Si le corrupteur peut bénéficier de son produit, c’est parce qu’il en a l’opportunité. Donc, il faut vraiment mettre en place un système, un dispositif qui limite. Par exemple dans le système des marchés publics et autres, c’est parce qu’on permet aux gens de payer en numéraires. S’il y a le contact entre le fournisseur et l’agent qui doit passer le marché, les accointances, les coalitions sont vite arrivées. Donc, il faut qu’au niveau de nos dispositifs, l’on essaye de mettre l’accent sur l’informatisation des services, l’automatisation des services, et éviter qu’un individu ne puisse pas manipuler 500 000 F CFA.
S. : On dit que le poisson pourrit par la tête. Est-ce qu’il ne faudrait pas que les autorités aussi donnent l’exemple parce que souvent, les gens parlent et pensent que c’est au niveau des autorités d’abord qu’il y a la corruption, et que les petits agents imitent ?
N.H.T. : La corruption, il ne faut pas seulement dire que le poisson pourrit par la tête, donc les plus hautes autorités. C’est tout un ensemble. On ne naît pas autorité, donc c’est à la base qu’il faut travailler. En prenant comme exemple les services publics, quand vous ne partez pas au travail et que vous touchez votre salaire à la fin du mois, (ils sont nombreux dans cette situation), c’est de la corruption. C’est ce que les gens oublient. Quand vous prenez par exemple des enseignants qui sont quatre, cinq dans une classe alors que dans d’autres villages, il y a des classes sans enseignant, le fait que ces enseignants qui sont quatre en train de faire le travail d’une seule personne, ne constitue-t-il pas de la corruption ? C’est vrai qu’on dit que le poisson pourrit par la tête. Il faut non seulement soigner la tête, mais aussi l’ensemble du corps. Il faut que le dispositif financier soit renforcé, c’est-à-dire qu’on évite que les gens puissent manipuler le numéraire, que les payements soient vraiment automatisés et que les services bancaires soient vraiment plus fluides. Le Cellule nationale de traitement de l’information financière (CNTIF) par exemple, est un outil qui devrait vraiment pouvoir aider à cela. C’est pourquoi il aurait fallu lui donner plus d’indépendance. Si on ne la met pas à l’ASCE, qu’on lui donne un niveau plus élevé pour qu’elle puisse rentrer partout où il y a de l’argent qui circule, s’assurer qu’entre X et Y, il n y a pas de blanchiment. Quand vous partez dans les quartiers, vous voyez les gens construire. Elle devait pouvoir aller regarder où est-ce qu’il y a eu de l’argent pour construire, surtout quand on sait que c’est un fonctionnaire. Ce n’est pas dire qu’un fonctionnaire ne peut pas construire, il peut avoir les moyens, mais il n’a qu’à dire où il a eu les moyens. Sinon, il n’est pas interdit qu’un fonctionnaire dispose d’un R+, mais qu’il puisse justifier l’origine de financement de son immeuble.
S. : Que pensez-vous des dernières passations de marché de gré à gré que le gouvernement de la Transition a faites avant de partir ?
N.H.T. : C’est une question de procédure, si la loi le permet. Maintenant si vous voulez, les structures de contrôle feront leur travail qui est de s’assurer que cela a respecté les procédures. Il y a des critères à remplir. C’est de s’assurer que ces critères ont été remplis, et je pense que ceux qui ont pris cette décision de passer le marché de gré à gré, c’est en tenant compte de ces différents critères. Il faut dépasser l’aspect de passation ou bien le volume financier, il faut voir l’impact, le résultat. A quoi ça sert de passer un marché proprement comme on le dit et au résultat, on construit un bâtiment et qui va s’écrouler ? C’est une réalité pour notre pays. On lance un appel d’offres, même les entrepreneurs qui ne sont pas qualifiés se mentionnent et après au résultat, on n’a même pas une bonne école pour y mettre les enfants. C’est la mieux-disance, c’est-à-dire qu’à compétence égale, c’est le prix qui vous départage.
Rabalyan Paul OUEDRAOGO
Ramata Rose Sylvestre CONGO
(Stagiaire)