Dans la profession de médecin, certains sont des brebis galeuses. Ils portent préjudice à toute la profession. D’où l’intérêt de tirer sur la sonnette d’alarme afin que des dispositions sérieuses soient prises pour protéger les populations. Dans cet entretien, le président du conseil régional de l’Ordre des médecins de Ouagadougou, Pr Charlemagne Ouédraogo, agrégé de gynécologie obstétrique des universités, relate le combat que sa structure mène pour venir à bout de ses ‘’délinquants’’. C’était en marge de la 2e assemblée générale de l’Ordre, tenu le 9 janvier 2016.
Sidwaya (S) : A l’issue de votre assemblée générale, quelles sont les perspectives de l’Ordre en 2016 ?
Charlemagne Ouédraogo (C .O.) : En 2016, nous voulons mettre en œuvre un véritable plan de communication qui ira de janvier à décembre. Ce plan se fera à l’intérieur de la famille des médecins et entre les usagers des services de santé ; c’est-à-dire la population et les médecins. Cette campagne de communication va impliquer aussi les hommes de médias pour que la population puisse avoir un certain nombre d’informations en rapport avec l’offre de santé par le médecin. Nous comptons améliorer la participation des médecins à l’offre de santé ; travailler à inscrire tous les médecins au tableau de l’ordre. Nous allons nous attaquer à l’agrafe de spécialité car plusieurs personnes se disent spécialistes de quelque chose sans vraiment l’être. Nous ferons en sorte que lorsque vous dites que vous consultez chez un gastrologue, que vous ayez la certitude que c’est un médecin gastrologue.
S : L’on sait que tous ces projets nécessitent des fonds. Comment comptez-vous mobiliser l’argent quand on sait que l’Ordre ne fonctionne que sur la base de cotisation des membres ?
C.O. : Justement, nous allons entreprendre une démarche à l’assemblée nationale pour qu’on puisse revoir la loi portant création et organisation de l’ordre des médecins du Burkina Faso afin qu’on puisse le doter des moyens financiers conséquents pour la partie protection des populations. Lorsque nous faisons des enquêtes pour dénicher les faux médecins, cela nous amène souvent hors du Burkina Faso. Il n’appartient pas au médecin de prendre son salaire, pour faire ce travail. Il appartient à l’Etat de nous donner les moyens parce que c’est lui qui a créé cette loi. Le travail que nous avons déjà abattu mérite un soutien conséquent car les moyens dont nous disposons sont très modestes et ne nous permettent pas d’aller jusqu’au bout de nos ambitions.
S : A propos des faux médecins, où en êtes-vous avec la lutte ?
C.O. : Je saisis cette occasion pour dire à l’ensemble des faux médecins, qui m’entendent, qu’ils disparaissent du pays. Qu’ils ne contribuent pas à détériorer la santé des populations. A l’heure actuelle, nous avons pu arrêter 5 faux médecins. Les investigations se poursuivent pour mettre le grappin sur un 6e. Certains dossiers sont donc en cours et d’autres jugés. Le 1er, c’est le dossier Dabo Sheriff. C’est un dossier qui nous a causé beaucoup de problèmes. L’affaire a été jugée en première intention au tribunal de grande instance. Dabo Shériff a été condamné à payer 40 millions de F CFA d’amendes à l’ordre des médecins car il a vu plus de 3000 personnes au Burkina Faso, à Ouagadougou, certainement qu’il a endommagé leur santé. Donc il nous fallait des moyens pour rechercher ces personnes afin de corriger ces traitements. Nous n’avons pas eu ces 40 millions.
S : l’affaire est à quel niveau actuellement ?
C.O. : Il devait être condamné à 24 mois d’emprisonnement ferme et 10 ans d’exclusion du territoire. Il n’a pas purgé sa peine et il n’est plus à la MACO, il est hors du pays. Dabo Sheriff a bénéficié d’une liberté provisoire soi-disant qu’il est malade, mais avec un faux certificat médical. Nous l’avons appris dans un journal car celui qui a signé le certificat médical est un faux médecin qui est actuellement à la MACO. Ce faux médecin, nous l’avons fait interpeller le 31 Juillet 2015. Il était à la fonction publique depuis 15 ans avec un faux diplôme de médecin. Ce monsieur a même fait la chirurgie d’urgence. Il a évolué impunément à l’insu de tous jusqu’à ce que le conseil régional de l’ordre des médecins le mette hors d’état de nuire. Et c’est celui-là, parait-il, qui aurait signé le certificat médical pour Dabo Sheriff. A l’audience du 13 février, il est sorti à notre insu. Nous l’avions appris en ville et il n’y a personne qui va payer ce qu’il devait payer. C’est un dossier qui nous pose problème, mais nous ne décourageons pas. Nous continuerons le combat car nous avons également une mission de protection des populations. Et nous sommes sûrs que les autorités vont nous apporter un soutien pour que ceux qu’on met hors d’état de nuire puissent purger leur peine comme il se doit.
S : Est-ce qu’on peut connaître l’identité des autres faussaires ?
C.O .: La suite est que nous avons également intenté un procès contre un certain monsieur Adaré qui détenait près de 8 cabinets médicaux illégaux dans la ville de Ouagadougou depuis des années. Normalement il est à la MACO, je n’ai pas vérifié mais il doit y être. Nous avons constitué parti civil avec le conseil régional de l’ordre des pharmaciens et nous avons gagné le procès. Le 3e, c’est Mahamady Ouédraogo qui exerçait depuis 15 ans dans la fonction publique avec un faux diplôme de médecin. Le 4e est un infirmier qui avait fait des cartes de visite de médecin et qui a organisé une structure illégale pour exercer. Là également, nous avons demandé l’ouverture d’une information judiciaire et elle s’est transformée en inculpation. Le 5e, c’est Mahamadou Dicko qui est actuellement à la MACO. Il avait introduit une demande d’embauche à l’hôpital Blaise Compaoré comme médecin anesthésiste. Je saisis cette opportunité pour remercier le directeur de l’hôpital Blaise Compaoré qui nous a transmis son dossier pour vérification de routine. Comme la loi nous donne deux mois pour vérifier, au terme des deux mois, nous nous sommes rendus compte que son diplôme de doctorat en médecine était faux, son diplôme d’anesthésie réanimation était aussi faux. Le procureur l’a poursuivi, en attendant son jugement, il est à la MACO. Si je vous donne le nom du 6e, il disparaitra. C’est autant de boulot qui ne peut pas faire partie d’un plan d’action et qui prend beaucoup de temps. Pour faire ces grosses enquêtes, il faut des moyens et nous allons utiliser tous ces arguments pour convaincre l’assemblée nationale afin qu’on puisse revoir la loi et nous doter de moyens conséquents pour continuer à protéger les citoyens des actions des faux médecins. Imaginez-vous si vous êtes endormis par un faux médecin anesthésiste, même en enfer, vous n’allez pas vous réveiller.
S : A ce jour, quel est le nombre de médecins inscrits au tableau de l’Ordre ?
C.O. : Le conseil régional de l’ordre des médecins de Ouagadougou compte 1361 membres inscrits à ce jour. L’ordre national des médecins compte quatre régions ordinales. Je rappelle que tout médecin non inscrit au tableau, est interdit d’exercer sur toute l’étendue du territoire national et est passible de peine s’il le fait. Et ce, en rapport avec l’article 37 de la loi portant création de l’ordre des médecins. La loi précise que les étrangers qui ne sont pas de l’UEMOA, de la CEDEAO, d’une quelconque coopération en matière de santé avec le Burkina Faso, les étrangers dont leur pays n’a pas signé d’accords de réciprocité en matière de la médecine avec notre pays, sont interdits d’exercer au Burkina Faso. Ceux qui viennent sont dans le cadre humanitaire. Là aussi, nous essayons de canaliser pour leur permettre d’avoir des autorisations temporelles. Cependant, il faut que nous vérifiions que l’action humanitaire ne masque pas autre chose.
S : Procéder ainsi ne vous oppose-t-il pas à ces organisations internationales ?
C.O. : Nous avons des problèmes avec un certain nombre d’ONG religieuses qui veulent utiliser la médecine pour recruter des adeptes. Cela est interdit par le code de déontologie. On ne doit pas utiliser la vulnérabilité des personnes pour les transformer en adeptes. Certaines ONG avaient même fait venir des médecins américains, je leur ai dit d’arrêter. Ils ne peuvent pas exercer et s’ils insistent, ils encourent une peine d’emprisonnement parce qu’ils n’ont pas de convention avec le ministère de la santé. Un médecin américain ne peut pas exercer au Burkina Faso sans autorisation exceptionnelle au préalable parce que nous n’avons pas d’accords dans ce sens. Je profite dire à nos compatriotes qui accompagnent ces ONG, de respecter leur pays, sinon ne soyez pas étonnés qu’on vous envoie des médicaments périmés. C’est pourquoi, nous comptons rencontrer l’ensemble des ONG pour leur expliquer les textes en vigueur.
S : Un conseil ?
C.O. : Nous invitons la population à s’assurer que les médecins qui leur font les prescriptions sont réellement inscrits et reconnus. Puisque cette inscription vous oblige à déposer un dossier. Une fois ce dossier déposé, nous vérifions que vous êtes non seulement médecin, mais aussi que votre agrafe de spécialiste est juste. C’est en cela que les populations pourront bénéficier de soins adéquats.
Propos recueillis
par Gaspard BAYALA
gaspardbayala87@gmail.com