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Sidwaya N° 7432 du 6/6/2013

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Marchés publics : Attention, la corruption gagne du terrain !
Publié le jeudi 6 juin 2013   |  Sidwaya


Moïse
© Sidwaya par DR
Moïse Lagwaré chef de service, marché de fournitures et services, président de séance de la Commission d’attribution des marchés (CAM)


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Les marchés publics sont des contrats conclus, à titre onéreux, entre des pouvoirs adjudicateurs (Etat, collectivités territoriales, institutions…) et des personnes publiques ou privées pour la livraison de fournitures, de prestations de services et bien d’autres travaux. Ces marchés sont soumis à une réglementation nationale à laquelle s’ajoute celle de l’Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA). Mais malgré ces contrôles, le circuit du cycle de passation des marchés n’est pas à l’abri de fraudes et de corruption.

Ce lundi 6 mai 2013, à 9 heures 15 minutes, dans l’enceinte de la direction générale de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) a lieu l’ouverture des plis relatifs à l’appel d’offres concernant la fourniture de mobilier au profit de l’ONEA, en présence des soumissionnaires. Pour cet appel d’offres, seulement, deux soumissionnaires. Il s’agit de : « Leader informatique, bureaux, produits assistance et outillage » (LIPAO, sarl) et « les Etablissements Kabré Lassané » (EKL). Le chef de service, marché de fournitures et services, président de séance de la Commission d’attribution des marchés (CAM), Moïse Lagwaré vérifie pour chaque enveloppe, la date et l’heure de sa réception pour se rassurer de leur conformité. Ensuite, il procède à l’ouverture des plis. Après le dépouillement des offres (techniques et financières) et les pièces administratives. Il annonce à haute voix, le montant de l’offre de chacun des soumissionnaires. Le premier soumissionnaire propose 33 612 300F CFA, Toutes taxes confondues (TTC). Quant au second, il propose 38 173 000F CFA. Puis, il informe l’assistance que les résultats seront publiés dans la revue des marchés publics après examen de la CAM.
En effet, les marchés publics sont un domaine où beaucoup d’intérêts se rencontrent. D’un côté, il y a l’Etat qui veut réaliser des activités au bénéfice de toute la nation et de l’autre côté, il y a des citoyens à travers des entreprises qui cherchent leurs intérêts personnels. Pour une entreprise ou une société qui ne vit que d’appels d’offres, rater un marché peut constituer pour elle un grand manque à gagner. Vu l’importance des intérêts en jeu, certains soumissionnaires sont prêts à passer par tous les moyens pour avoir les marchés.
Ainsi, il n’est pas exclu que ce secteur soit logé dans le « carcan » de la corruption. Des preuves empiriques sur la vulnérabilité des marchés publics sont régulièrement apportées par différents indices élaborés par des Organisations de la société civile (OSC) en l’occurrence le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC). D’ailleurs, le dernier rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les marchés publics fait une part belle à des situations de corruption dans le milieu (lire encadré).
Et pourtant, vu de « l’extérieur », le processus d’attribution des marchés publics passe pour être le plus transparent : accès en ligne du plan de passation des marchés, publication du communiqué des appels d’offres dans les journaux et sur le site avec les conditions de soumission bien étayées, dépôt des offres sous pli fermé et ouverture des offres en séance publique.
Mais pour la plupart des soumissionnaires (ils ont suggéré de cacher une partie de leur identité, de peur d’être identifiés et de ne plus pouvoir soumissionner pour la commande publique), il y a beaucoup de failles dans les attributions de marchés bien qu’ils aient la possibilité de contester auprès de la Commission de règlement des différends (CRD). Tout porte à croire que malgré l’arsenal des textes qui existent en matière d’attribution de marchés publics, beaucoup reste à faire pour le respect scrupuleux des règles d’attribution des marchés publics.

La corruption, une réalité

Le magistrat René Bagoro ne va pas du dos de la cuillère pour l’affirmer : « La corruption dans les marchés publics est une réalité ».

Dans la pratique, tout part de la préparation du dossier d’appel à concurrence collecté par les agents et qui va déterminer les besoins de l’Etat et les caractéristiques. A ce niveau, la pratique de la corruption peut consister en une modification des caractéristiques techniques afin de favoriser un soumissionnaire. A titre d’illustration, on lance un appel d’offres de fourniture de véhicules automobiles. En principe, les conditions doivent être de telle sorte qu’il n’y ait pas de caractéristiques très précises qui avantagent une personne, une entreprise ou un fournisseur qui pourrait être l’attributaire. Or, il peut arriver que les caractéristiques ou le montant du bien soit fait à dessein pour favoriser un soumissionnaire indiqué, d’où le délit de favoritisme. « Dans un appel d’offres pour la construction de bâtiments, si ce n’est pas le ministère qui veut donner expressément le marché à son soumissionnaire, ce sont les agents du département, membres de la commission d’attribution du marché qui contactent à l’avance leurs amis pour communiquer le montant de l’enveloppe afin que ceux-ci proposent un prix qui soit dans la fourchette du montant prévu. Ou pendant le dépouillement, ils défendent leurs soumissionnaires. Ils ne le font pas publiquement, mais à travers leur prise de position, on peut le sentir », explique A.N, patron d’une Petite et moyenne entreprise (PME).
Pour Mme C.N, entrepreneure en bâtiment et travaux publics, un grand nombre d’appels d’offres sont scellés si bien que les petites entreprises en font les frais. « Sinon, je ne peux pas comprendre que pour la construction d’une clôture, qu’on demande à une entreprise d’avoir un chiffre d’affaires de 500 millions de F CFA par an », s’offusque-t-elle. Une autre manière de procéder à l’élimination des soumissionnaires de façon sournoise est d’exiger d’autres pièces à l’ouverture des plis. « Dans l’appel d’offre concernant la réfection des palais de justice, il y a eu des cas où on a éliminé certaines entreprises pour n’avoir pas fourni de liste notariée de matériels exigés dans le dossier d’appel d’offres. Pourtant, on n’avait pas exigé cette liste. On a plutôt demandé des listes de matériels à fournir », relève S.Y, responsable d’une Société à responsabilité limitée (SARL).
Dans cette concurrence quelque peu illégale, il arrive que des entreprises de catégories supérieures (B2, B3 ou B4) qui souscrivent aux appels d’offres de 300 millions de F CFA sinon plus, choisissent sciemment de se rabattre sur ceux de moins de 75 millions de F CFA réservés aux entreprises de B1.
En pareille situation, ces petites entreprises n’ont aucune chance d’être attributaires d’un appel offres qui répond à leur catégorie. Car, à partir de leur dossier technique (équipements, documents, marchés similaires, personnes déclarées à la caisse…) moyennement fourni, elles sont d’office perdantes. « On n’a pas le choix parce que tous les mois, il faut faire des déclarations à la Direction générale des impôts. Pour mon cas, je n’ai eu qu’un seul marché l’année dernière, pourtant j’ai au moins 12 personnes que je prends en charge à la caisse », reconnaît A.S, responsable d’une entreprise de catégorie B3.
Ce qui pousse certaines PME à joindre de fausses pièces à leurs dossiers techniques afin d’augmenter leur chance d’obtenir un marché.
Selon les textes, un marché de moins de 5 millions de FCFA peut être attribué sans appel d’offres. Egalement, lorsque l’urgence de l’exécution de ce marché s’impose, l’on peut le passer de gré à gré. Pour ce qui est du second cas, l’on peut procéder à la fragmentation de l’appel d’offres. Dans ce méli-mélo (souvent fait intentionnellement pour avantager une entreprise), une « grosse boîte » attributaire de plusieurs marchés sous-traitent souvent avec de petites entreprises. Dans une anecdote, A.N confie avoir vécu cette expérience avec une entreprise de catégorie supérieure. « Lorsque les grands (NDLR : les grandes entreprises) obtiennent beaucoup de marchés, et qu’ils ne sont pas sûrs de respecter le délai d’exécution, ils vous revendent le marché mais, tous les papiers d’exécution du marché sont au nom de leurs entreprises », dévoile-t-il.

Le mieux-disant !

Et que dire de l’offre financière : « le moins-disant » ? Cette caractéristique permet de départager les soumissionnaires après examen des différentes pièces du dossier technique d’appel d’offres. Si le choix de cette offre est fondé parce qu’il permet au pouvoir adjudicateur d’économiser par rapport à l’enveloppe prévue, il peut compromettre la bonne exécution du marché conclu sur sa base. « On voit souvent dans les revues des marchés publics, des appels d’offres d’achèvement de travaux. C’est parce que l’entrepreneur qui a eu le marché a proposé un montant bas et dans l’exécution des travaux, il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas. Au lieu d’attribuer le marché au moins-disant, il faut plutôt choisir le mieux-disant », plaide H.Z, un entrepreneur.
Une fois le marché décroché par le soumissionnaire, l’exécution des travaux est subordonnée à l’obtention d’un ordre de service à partir duquel le délai d’exécution du marché est précisé. Pour des raisons de connivence, la remise de ce document peut être retardée à dessein. « Par exemple, si l’entrepreneur a déjà un chantier en cours, on peut volontairement attendre qu’il avance dans son travail avant qu’on ne lui délivre l’ordre de service, pour éviter les pénalités de retard dans le second chantier », fait remarquer T.O, un entrepreneur. Les retards dans l’exécution des chantiers, l’on en dénombre à flopée dans les marchés publics. C’est le cas du marché n°2009/202/MHU/SG/PRM relatif à la construction de la salle de spectacle à Ouahigouya, à l’occasion des festivités du 11-Décembre 2009 pour un montant de 355 911 470F CFA TTC, attribué à l’entreprise AZIMMO, dont le délai d’exécution était de cinq mois. C’est finalement en 2011 que les clés de la salle de spectacle ont été remises officiellement. Si dame C.N admet que des problèmes techniques peuvent retarder un chantier, pour ce cas précis, elle émet des réserves qui, selon elle, éveillent des soupçons de corruption. "On pouvait retirer le marché et le réattribuer à un autre soumissionnaire", propose-t-elle.
La réception de l’ouvrage n’est pas aussi en reste dans l’univers de la corruption. En effet, avant la réception, des analyses sont faites par des techniciens pour s’assurer de la qualité des matériaux utilisés pour réaliser l’infrastructure. « Le fait que les techniciens soient souvent pris en charge par les entrepreneurs, ils ferment les yeux sur les anomalies constatées et ne font pas de réserves pour leur demander de corriger ces anomalies », souffle K.P, un technicien en génie civil. T.O explique cet état de fait par la faible rémunération des techniciens chargés de l’analyse de l’ouvrage. Et le magistrat René Bagoro d’enfoncer le clou : « On a vu des cas où des bâtiments qui n’ont jamais été construits ont des procès verbaux de réception définitifs. On a beau expliquer au juge qu’il n’y a rien sur le terrain, lui, il ne voit qu’un papier qui a été délivré en bonne et due forme par l’administration ».
Quoique cela soit réel, dans tout appel d’offre relatif à l’acquisition d’équipements, de fournitures, de prestations de services et même de travaux, les textes prévoient des recours et des sanctions. En ce qui concerne les sanctions, les textes régissant les marchés publics au Burkina Faso stipulent que : « Les inexactitudes délibérées constatées dans les attestations ou justifications contenues dans les offres peuvent entraîner l’exclusion temporaire d’un à cinq ans de leurs auteurs de toute participation à la commande publique ». De même, des résiliations de marché sont aussi prévues en cas de non-respect du contrat. A ce sujet, des entreprises sont régulièrement suspendues et même radiées de la commande publique. Ainsi, à la date du 30 avril 2013, 33 entreprises font l’objet de suspension de la commande publique pour avoir violé les textes. Mais N.D, fournisseur de matériels bureautiques, souligne que la procédure de condamnation est longue et que l’entreprise ne sera sanctionnée que lorsque tous les moyens de recours auront été épuisés. « Ce qui peut prendre une année sinon plus, au cours de laquelle, elle aura eu tout le loisir de continuer à verser au décideur, la compensation qu’il exige de toutes les entreprises qui obtiennent un contrat dans l’organisme dont il est responsable », dit-il. Sans oublier, poursuit-il, que certains entrepreneurs ont des appuis politiques qui constituent des parapluies contre les sanctions.

Au-delà du fait qu’il faille réellement appliquer les sanctions à l’endroit des entreprises qui violent les textes, René Bagoro suggère que l’on donne suffisamment les moyens à l’ARMP qui est limitée techniquement dans la prise des sanctions. « Il faut aussi former les intervenants dans les marchés publics. Moi, j’ai été au tribunal administratif, mais je n’ai jamais reçu de formation. On s’est formé dans le tas. Or, c’est un domaine très complexe qui allie le droit, l’économie, les finances et souvent le social », avoue-t-il.

Pour Gilbert Koala, architecte, il faut repenser les textes des marchés publics. Car, la réglementation au Burkina Faso est claire, mais son application pose problème ; ce qui éveille des soupçons de corruption lors des passations de marchés. « Nous préférons des concours d’architecture. Pas parce que cela nous arrange, mais le processus ne demande pas le même effort comme dans l’attribution des marchés. On dresse un jury qui examine les différents projets, il les classe et l’autorité publique choisit le projet qu’elle veut », suggère-t-il.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO

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La sonnette d’alarme des députés

Même s’il n’existe pas actuellement de statistiques qui permettent de mesurer le degré de corruption dans les marchés publics, il ne fait aucun doute que le phénomène tend à gangrener le secteur. Ce qui a conduit à la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire (composée de dix membres issus de quatre groupes parlementaires : CDP : cinq députés ; ADF/RDA : deux députés ; ADJ : deux députés ; CFR : un député), le 10 janvier 2012. En 60 jours, elle a passé à la loupe, une dizaine de cas, sur les pratiques dans la passation et l’exécution des marchés de travaux publics et de fournitures d’équipements et de produits de santé. La commission a relevé un certain nombre d’irrégularités et d’insuffisances au nombre desquelles : l’absence de plans de passation des marchés ; le non respect de la réglementation en matière de passation des marchés publics, notamment en ce qui concerne le mode de passation et le non respect des dispositions relatives aux pénalités de retard. En guise de recommandation, les parlementaires ont souhaité la prise d’une loi sur la réglementation des marchés publics, qui viendrait remplacer le décret actuel, tout en donnant plus de rigueur à certaines dispositions.

P.O.O

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