Le Secrétaire permanant de l’ARMP, Mamadou Guira, s’exprime sur les missions qui sont assignées à son institution, les difficultés auxquelles elle fait face et les grands chantiers en vue pour contrer la corruption.
Sidwaya (S.) : Pouvez-vous nous présenter l’ARMP ?
Mamadou Guira (M.G.). : L’ARMP est une autorité administrative indépendante qui a essentiellement quatre missions que sont : la définition des politiques en matière de marchés publics (élaboration des textes en cohérence avec les directives de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la formation, l’information et la sensibilisation des acteurs du domaine, le suivi-évaluation et la conduite des audits, le règlement non juridictionnel des différends qui doit intervenir dans un délai relativement court et compatible avec le calendrier d’exécution budgétaire. Cela prend en compte les préoccupations des usagers afin qu’ils puissent exercer leurs droits de contester, notamment les soumissionnaires, lorsqu’ils estiment qu’ils sont lésés dans une procédure de passation de marché. La prise de décision au niveau de l’ARMP est faite de manière égalitaire, c’est-à-dire que dans notre Conseil de régulation, il y a quatre représentants de l’administration, quatre du secteur privé et quatre de la société civile. Ce n’est donc pas l’administration qui dicte sa loi au niveau de l’ARMP.
S. : On constate que l’ARMP enregistre beaucoup de plaintes relatives à la passation des marchés. Qu’est-ce qui explique cela ?
M.G. : C’est vrai, il y a beaucoup de plaintes. On constate d’ailleurs qu’en matière de règlement de différends, l’ARMP du Burkina Faso enregistre le plus de dossiers de recours dans l’espace UEMOA. En 2012, par exemple, nous avons enregistré 1 168 dossiers (plaintes dans la phase de passations des marchés, demandes de conciliation, demandes d’avis de résiliation...). Aujourd’hui, les soumissionnaires n’ont plus peur de porter des contestations au risque de perdre des marchés. Sinon, le nombre élevé de recours pourrait traduire des insuffisances certes, mais cela est aussi moralisateur.
S. : N’est-ce pas la preuve que le phénomène de la corruption existe dans le secteur des marchés publics ?
M.G. : La fraude et la corruption constituent des phénomènes difficiles à cerner. Elles évoluent comme un serpent de mer qui tente toujours de trouver une porte de sortie à chaque fois qu’on arrive à le maîtriser. C’est pourquoi, une Stratégie nationale de lutte contre la corruption a été adoptée au Burkina Faso. Une stratégie spécifique au domaine des marchés publics en cohérence avec la stratégie nationale est en cours d’adoption et de nouvelles infractions ont été définies ainsi que leurs sanctions dans le projet de loi portant réglementation générale des marchés publics et des délégations de services publics soumis au gouvernement. La formation des acteurs se poursuit dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie de renforcement des capacités des acteurs adoptée par le gouvernement. Tous ces efforts de mécanismes de prévention et le dynamisme des structures de contrôle (ASCE, Cour des comptes, Inspection générale des finances) et de la société civile, ont valu à notre pays d’être classé comme pays le moins corrompu de la zone UEMOA.
S. : D’aucuns pointent un doigt accusateur les agents qui composent les commissions d’attribution des marchés. Que fait l’ARMP dans pareille situation ?
M.G. : Pour le cas dont vous évoquez, il y a plusieurs raisons liées à cela. Il y a l’insuffisance de formation au niveau des commissions d’attribution puisque nous sommes dans un processus de décentralisation. Dans chacune des collectivités territoriales, il faut une commission d’attribution des marchés. Donc on doit avoir des personnes compétentes qui connaissent bien les procédures de passation des marchés. C’est-à-dire comment élaborer un dossier d’appel d’offres ; comment procéder au dépouillement à l’ouverture des enveloppes dans les règles de l’art ; comment analyser et sélectionner la ou les meilleures offres ; faire publier les résultats et procéder à la signature des contrats. Il arrive parfois que la procédure soit entachée d’irrégularités à un niveau et cela peut entraîner des contestations devant l’ARMP. Il y a aussi des insuffisances au niveau des soumissionnaires. Ces derniers ne savent pas des fois comment monter un dossier de soumission ou répondre à une demande d’appel d’offres. Ainsi, la formation doit concerner les deux parties.
S. : Et lorsque c’est le soumissionnaire qui est le fautif ?
M.G. : Il y a régulièrement des sessions où nous prononçons des suspensions d’entreprises pour toute participation à un appel d’offres en attendant qu’on puisse, à travers des textes, mettre en place un système de sanction plus efficace. En plus de la suspension, s’il y a des sanctions pécuniaires. Cela pourrait dissuader certains soumissionnaires parce qu’on a constaté qu’il y a beaucoup de cas de fraudes concernant les faux documents des Impôts ou du Trésor pour soumissionner un marché. Par exemple, avec l’informatisation, on pourrait vérifier si une entreprise est à jour ou non vis-à-vis de l’Administration et cela pourrait éviter que certaines entreprises fournissent de fausses cautions de soumission de leur banque. Parce que le principe veut qu’on ne sanctionne pas l’entreprise sans avoir démontré la preuve de la fraude. Il faut écrire à l’autorité signataire, c’est-à-dire celle qui a délivré le document en joignant une copie pour demander de certifier si ce document émane effectivement de sa structure ou pas. A partir de la réponse écrite de l’autorité concernée, on est fondé à écarter le soumissionnaire et le comité de règlement des différends se réunit pour statuer sur le cas.
S. : Quels sont les chantiers en vue pour juguler ce phénomène de corruption qui commence à prendre des proportions inquiétantes dans le secteur ?
M.G. : Nous avons élaboré une stratégie de renforcement des capacités. Elle comporte un volet formation continue des acteurs et c’est ce que nous faisons depuis que nous sommes créés en 2008. Il y a également un volet à partir de la rentrée prochaine, une formation initiale en partenariat avec l’Ecole nationale des régies financières (ENAREF) où il sera créé carrément un corps des administrateurs, des contrôleurs et des adjoints des marchés publics. Cette stratégie, il faut le dire, nécessite beaucoup de moyens. Elle est évaluée à près de 3 milliards de F CFA. Progressivement, cette stratégie sera mise en place. Je vais solliciter la compréhension et l’accompagnement des acteurs parce que c’est un travail qui n’est pas facile. Au moment où la réforme se mettait en place, on avait évalué autour de 5 000 acteurs formés pour pouvoir conduire à bien cette réforme. Mais dès les premières années de mise en œuvre de cette réforme, il y a eu beaucoup de plaintes relatives notamment à la compréhension et à l’application des textes. Il s’agissait principalement des communes. Mais je pense que la tendance est bonne au jour d’aujourd’hui.