Enfin, les volutes de la fumée blanche annonçant la nomination d’un Premier ministre sont sorties du palais de Kosyam vers lequel étaient tournés tous les regards des Burkinabè. « Habemus premium ministrum », pourrait-on s’exclamer, après 10 jours d’attente. Le premier constat est que certains pronostics ont été déjoués, induisant la presse en erreur quand ce n’est pas cette dernière qui induisait ses lecteurs en erreur. Quoi qu’il en soit, cette nomination vient mettre fin à toutes les conjectures et autres supputations, pour ouvrir une nouvelle page de la vie nationale. Mais ce dénouement ne doit pas occulter le difficile accouchement que le nouveau locataire de Kosyam, dans le rôle du maïeuticien, a dû avoir à faire.
Thiéba semble avoir le profil de l’emploi
« Et c’est Paul Kaba Thiéba ! » Ainsi en a décidé Roch Marc Christian Kaboré. Cette nomination, aussi difficile qu’elle fut, est à saluer d’autant qu’elle constitue une étape de franchie dans la normalisation de la vie nationale. On le sait, « la nature a horreur du vide », surtout dans le contexte délétère encore "frais" des récents soubresauts de la vie nationale et toujours marqué par le péril sécuritaire sous-régional. Au plan démocratique, cette nomination confirme la mise en place progressive des institutions républicaines pour permettre au Burkina de respirer à pleins poumons le vent de la liberté et de la normalisation. Le choix de Paul Kaba Thiéba par Roch Marc Christian Kaboré, traduit la recherche au triple plan national, stratégique et international, d’un certain équilibre. Au plan national, ce choix a voulu épouser le principe non écrit de l’équilibre régional : alors que le Président du Faso est lui-même issu du Plateau-Central, le président de l’Assemblée nationale natif du Nord, il devenait impératif, dans le souci de la cohésion et de l’unité nationale, d’attribuer la primature au Grand Ouest. Au plan stratégique, alors que l’occupant du perchoir est par nature une « bête politique » et le chef du gouvernement, un technicien pur sang issu des grandes écoles de la finance internationale, ce choix porté sur Thiéba offre au Président du Faso dont le tempérament calme est bien connu, de jouer le rôle d’arbitre. Politiquement, ce savant dosage devrait aussi permettre au parti au pouvoir de mieux arrondir les angles à l’Assemblée nationale qui doit valider le mandat. Cet homme neuf qui n’a appartenu à aucun sérail, devrait avoir pour lui, cet avantage. Enfin, au plan international, le choix de ce financier qui a fait ses preuves dans les institutions sous-régionales, fait figure de clin d’œil à la communauté sous-régionale et à la communauté internationale préoccupée par la relance économique et par une gouvernance économique vertueuse. On peut donc, sans risque de se tromper, dire que Roch Marc Christian Kaboré a bien appris de sa longue expérience politique. Le Premier ministre burkinabè semble avoir le profil de l’emploi. Serait-il l’homme providentiel ? En tout cas, son cursus universitaire qui l’a amené de Ouagadougou à Grenoble et ses occupations professionnelles au sein des institutions financières internationales et sous régionales, ne laissent planer aucun doute sur la qualité de son expertise sur les questions de développement. Mieux, son apparente virginité politique en fait un homme neuf, capable de mettre en œuvre « le plus rien ne sera comme avant » qu’attendent les Burkinabè. Il part donc avec les préjugés favorables des populations qui, convaincues comme Einstein, qu’ «il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre », se montrent allergiques à tout ce qui relève de l’ancien système. On ne peut donc que souhaiter bon vent au Premier ministre Paul Kaba Thiéba.
S’il n’est pas accompagné des populations, le PM reste un homme seul
Les défis, on s’en doute, sont nombreux. Car, au Burkina d’aujourd’hui, tout est prioritaire. Le premier obstacle à franchir est de réussir son casting dans la formation du gouvernement. Le long temps mis pour trouver un Premier ministre en dit long sur cette difficile tâche. Mais Paul Kaba Thiéba devra vite mettre sur pied son équipe et aller au charbon pour soulager les peines d’un pays économiquement mal en point. Le plus grand défi sera justement de relancer cette économie nationale fortement affectée par la crise consécutive à l’insurrection populaire et aux lourdes répercussions du coup d’Etat manqué du 16 septembre dernier. Il devra avoir à cœur de dessoucher cette économie sans la rendre exsangue. Au plan politique, il devra, tout en préservant l’esprit de l’insurrection, réconcilier les Burkinabè, les amener à solder leurs comptes avec l’histoire et les conduire vers un nouveau contrat social basé sur le désir de vivre ensemble. Car, comme le dit Pierre Calame, « le premier objectif de la gouvernance est d’apprendre à vivre ensemble et à gérer pacifiquement la maison commune, d’y assurer les conditions de la survie, de la paix, de l’épanouissement et de l’équilibre entre l’humanité et la biosphère ». Pour relever ces défis titanesques, Paul Kaba Thiéba devra juguler de nombreuses difficultés. Il devra parfois faire violence sur lui-même, en tant que financier trop attaché aux chiffres, pour que les Burkinabè ressentent la croissance dans le panier de la ménagère. Sa virginité politique peut être pour lui un inconvénient. Toutefois, quelle que soit la qualité de cet homme, et de ses ambitions pour le Burkina, s’il n’est pas soutenu dans sa tâche par les populations, il reste un homme seul. Et comme dit Hundertwasser « quand un seul homme rêve, ce n’est qu’un rêve, mais quand plusieurs hommes font le même rêve, c’est le début d’une nouvelle réalité. »
« Le Pays »