78 voix pour, 43 contre et 4 abstentions, ce sont les résultats de l’élection du président de l’Assemblée nationale post transition, le 30 décembre dernier. Ainsi, ce poste échoit à Salif Diallo à l’endroit duquel l’auteur de l’écrit ci-après ne tarie pas d’éloges. Lisez plutôt !
On l’aime ou on ne l’aime pas. Mais quand on ne l’aime pas, on est obligé de lui appliquer le dicton : «même quand on n’aime pas le lièvre, il faut reconnaître qu’il court vite». Salif Diallo, pour ne pas le nommer, est un lièvre qui court vite et bien en politique. Pour autant parler du nouveau président de l’Assemblée nationale, confortablement élu par ses pairs députés le 30 décembre 2015, n’est pas aisé. Car l’on ne sait pas trop lequel des «Salif Diallo» mettre en évidence. Le Salif Diallo, ancien compagnon fidèle de Blaise Compaoré, ou le Salif Diallo, l’opposant et tombeur de ce même Blaise Compaoré ? Qui évoquer du Salif Diallo, un des fondateurs du CDP, et du Salif Diallo inspirateur de la création du MPP ? Lequel privilégier de l’homme premier vice-président du CDP et de celui premier vice-président du MPP ? Faut-il mettre en exergue l’animal politique qui aurait causé du tort aux opposants de tout acabit ou le brave à trois poils qui a subi le tort du régime déchu ? A quel directeur de campagne donner l’avantage : le directeur de campagne de Blaise Compaoré en 2005 ou celui de Roch Marc Christian Kaboré en 2015 avec son désormais historique «quart de tour» ? Difficile de dissocier cet homme-ci de cet homme-là, car Salif Diallo est tout cela à la fois. Avec ses hauts et ses bas, avec ses prouesses et ses misères. A la fois l’on peut pourfendre l’homme et le défendre, jeter l’anathème sur lui et le magnifier.
Parce que nombre de plumes, quand elles évoquent Salif Diallo, ne traitent que de son passé, c’est-à-dire de sa relation avec l’ancien président, essayant de l’attacher à son pied comme un boulet qu’il doit traîner partout à l’instar d’un forçat, parce que nombre d’analystes occultent par ignorance ou intentionnellement la partition jouée par l’homme pour l’avènement d’un nouvel ordre au Burkina. J’ai choisi pour ma part de commenter ici les aspects et les actions qui ont conduit, d’une traversée du désert au Perchoir, celui que d’aucuns appellent affectueusement « Gorba ». Faisant partie en effet de ceux qui habituellement écrivent, analysent et critiquent si facilement, blâmant souvent et détruisant parfois, j’ai opté pour l’une des rares fois de ne pas m’inscrire dans ce registre pour reconnaître exceptionnellement le mérite d’un homme politique. Je le fais parce que la politique est implacable. Une erreur, une seule erreur peut détruire brutalement toute une carrière politique et assombrir mille belles actions. Un mot, un seul mot peut briser subitement une fulgurance politique et effacer un solde positif d’initiatives gagnantes. C’est pourquoi quand la réussite-si rare-survient en politique, l’on doit aussi avoir l’honnêteté et le courage de la saluer. Si Salif Diallo n’avait pas pris certaines initiatives et entrepris certaines actions, s’il n’avait pas eu un courage politique digne de sa stature à un moment donné de sa vie, la place qui est aujourd’hui la sienne ne lui reviendrait point.
Sa dissension avec François Compaoré. Il s’est susurré en 1999, alors que le pays vacillait consécutivement à l’autodafé de Norbert Zongo et de ses compagnons, que Salif Diallo aurait suggéré au président Compaoré de livrer son frère François parce que pour lui la vie et la paix du pays sont supérieures à l’intérêt d’un homme soit-il de la fratrie présidentielle.
Si cet épisode est demeuré dans le répertoire des rumeurs, l’hostilité de l’actuel premier vice-président du MPP à l’égard de la FEDAP/BC était par contre bien réelle depuis 2009. A preuve, le 9 septembre 2011 au CENASA, à l’occasion d’une session du bureau politique national du CDP, Salif Diallo est direct : «Je n’ai pas peur de vous dire la vérité (…) C’est un putsch que la FEDAP/BC a perpétré pour prendre la tête du CDP. Une association apolitique qui s’empare des instances dirigeantes d’un parti politique, par la cooptation (…) d’inconnus…». Une prise de position qui a jeté un froid entre lui et François Compaoré, le géniteur de cette Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré. L’histoire donne aujourd’hui raison au nouveau président de l’Assemblée nationale qui n’avait pas manqué de dénoncer une tricherie politique qui ne dit pas son nom.
Sa suspension du CDP. François Compaoré qui est de plus en plus agacé voire courroucé par l’attitude et les prises de positions de Salif Diallo parvient apparemment à embarquer son frère de président. Salif Diallo, ministre de l’Agriculture et des Ressources halieutiques, est débarqué du gouvernement alors que l’on célébrait une nuit pascale en mars 2008.
Nommé en Autriche en qualité d’ambassadeur, Salif Diallo dans sa nouvelle camisole de diplomate n’aura pourtant pas d’habileté diplomatique. Il déclare dans une interview : «Pour moi, le meilleur moyen de créer une alternance dans notre pays, dans la paix et la stabilité, c’est de réformer profondément les institutions actuelles pour approfondir la démocratie en donnant des chances égales à tous les partis politiques. C’est pourquoi ma suggestion est d’aller aujourd’hui vers un régime parlementaire qui nous éviterait une patrimonialisation de l’Etat». L’idée est lancée ; le mot aussi : «patrimonialisation». Il n’en fallut pas plus pour s’attirer les foudres de son parti qui le suspend tout en exigeant son autocritique. Il se pliera à cette exigence pour voir sa sanction levée. Plus tard Simon Compaoré reconnaîtra publiquement à Ouahigouya en mars 2014 que lui et Roch s’étaient trompés et que le tort de Salif c’est d’avoir eu raison trop tôt. «Il y a eu un temps où Salif Diallo a eu des problèmes au CDP, Roch et moi nous étions en désaccord avec lui. Mais aujourd’hui je dis qu’il avait raison ainsi que nous. C’est qu’il a devancé l’histoire. Et je vous demande pardon ce soir.»
Un excellent ministre de l’Agriculture. Salif Diallo excelle dans la palabre politique mais aussi dans le travail. Il a marqué de son empreinte les différents portefeuilles ministériels qu’il a occupés. Toutefois c’est son passage à la tête du ministère de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques qui le révèlera comme un véritable bourreau du travail. Tant il a secoué ce gros département en son temps, initié et entamé la mise en œuvre de plusieurs projets colossaux tels le barrage de Samandéni, le projet de la gomme arabique, etc. C’est à la tête de ce ministère que le surnom de «bosseur» lui est né.
La création du MPP. Quand certains parlent d’opposants de la 25e heure (l’expression juste étant opposants de la 11e heure) pour qualifier les leaders du MPP, cela n’est pas tout à fait juste si l’on considère la fronde qu’ils ont commencé à mener de l’intérieur depuis 2011 pour Roch et Simon et depuis 2009 pour Salif Diallo. On le sait, ce ne sont pas des hommes à se faire jeter dehors sans combattre. Après avoir tenté vainement de dissuader Blaise Compaoré de modifier l’article 37, ils prennent leurs responsabilités en démissionnant du CDP le 4 janvier 2014 et en créant trois semaines plus tard le MPP. L’opinion tend d’ailleurs à attribuer la paternité de cette initiative à Salif Diallo.
L’animosité du régime déchu. Le régime déchu de Blaise Compaoré, on le sait, en veut profondément à Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré. A preuve durant le coup d’Etat des 16-17 septembre, chacun d’eux a failli perdre la vie. Blaise Compaoré, les siens et le CDP, qui avaient pourtant qualifié la démission des trois ténors et de leurs camarades du CDP de non-événement, en sont aujourd’hui à nourrir une grosse animosité à leur égard. Et quand on les écoute en privé, le pire ennemi est Salif Diallo qu’ils estiment à tort ou à raison être à la base de toute la stratégie ayant conduit à la création du MPP et subséquemment à leur chute.
Le perchoir. Occuper aujourd’hui le perchoir de l’Assemblée nationale n’est pas le fruit du hasard pour Salif Diallo ni un accident de parcours. Son évolution politique, ses actions et faits, son expérience et sa personnalité, ses initiatives et sa vision lui font mériter amplement la place qui est aujourd’hui la sienne dans le landerneau politique, c’est-à-dire celle de dauphin constitutionnel du Président du Faso. Il avait dit : « Je ne suis pas un yes man ». Il l’a montré et démontré.
L’exposé que j’ai fait n’a pas pour but d’encenser un homme -loin s’en faut - mais de montrer au-delà de son passé et des avantages dont il a pu bénéficier sous l’ex-régime le parcours d’un combattant politique exceptionnel qui s’est aussi courageusement opposé à son ancien mentor, au frère et à la famille de celui-ci en dénonçant une tentative de patrimonialisation de l’Etat de leur part. Pour cela il a connu une traversée du désert avec d’autres. Mais sa ténacité est aujourd’hui fructueuse. Somme toute son élection à la présidence de l’Assemblée nationale lui rend la monnaie de sa pièce.
Roch Marc Christian Kaboré à la Présidence du Faso, Salif Diallo à la Présidence de l’Assemblée nationale et Simon Compaoré à leurs côtés, ça devrait donner le meilleur au Burkina. Parce qu’ils sont comptables du passé, ils devraient mieux faire pour l’avenir de ce pays ; ils devraient éviter qu’au terme de leurs mandats respectifs on ne dise : Blaise Compaoré c’était le bonnet blanc et eux le blanc bonnet. Croisons donc les doigts et prions qu’avec eux, les fruits tiennent la promesse des fleurs.
Isaac Lucien Koudbi