Le décret du président de la Transition, ordonnant aux ministres démissionnaires d’expédier les affaires courantes suscite la polémique dans des médias et sur les réseaux sociaux. Dans cette interview, le porte-parole du Balai citoyen, Me Guy Hervé Kam, donne une lecture juridique de la question. Il se prononce également sur le « retard » dans la formation du gouvernement, le rôle de son organisation dans la nouvelle dynamique démocratique, le discours du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, et le sort des deux députés poursuivis par la justice.
Sidwaya (S.) : La mesure autorisant les ministres d’expédier les affaires courantes est-elle légale ?
Guy Hervé Kam (G.H.K.) : Cette mesure entre dans le cadre général de la continuité de l’Etat. Elle est réglée par la Constitution qui prévoit notamment à l’article 69 que lorsque le Premier ministre démissionne et que son poste est vacant, l’ensemble du gouvernement démissionne en même temps. Donc la démission du Premier ministre entraîne celle de l’ensemble des ministres. Et, les ministres démissionnaires expédient les affaires courantes jusqu’à la formation du nouveau gouvernement. Constitutionnellement donc, ce sont les ministres démissionnaires qui expédient les affaires courantes jusqu’à la nomination du nouveau gouvernement.
S. : Habituellement, ce sont les secrétaires généraux des ministères qui expédiaient les affaires courantes. Pourquoi cette fois ce sont les ministres ?
G.H.K. : Dans les situations d’exception, ce sont les secrétaires généraux qui expédient les affaires courantes. Les cas qu’on a connus sous le régime de Blaise Compaoré étaient très souvent des remaniements. Ce sont les ministres sortants qui doivent passer la main aux ministres entrant. Cette règle existe dans la Constitution depuis 1991. S’il s’est trouvé des fois où sans qu’on ne soit dans l’Etat d’exception, les secrétaires généraux expédient les affaires courantes en cas de démission du gouvernement, ce sont des situations irrégulières. L’article 69 de la Constitution n’a jamais été modifié et prévoit dans les cas de démission que ce soit les ministres sortants qui expédient les affaires courantes jusqu’à la formation du nouveau gouvernement.
S. : Pourquoi avec les précédents gouvernements de la IVe République, les juristes n’avaient pas remarqué cette faille ?
G.H.K. : C’est aussi l’un des avantages de la Transition ou de l’insurrection. Tout est désormais scruté à la loupe par tout le monde, y compris par les juristes. C’est une très bonne chose. Le texte existe depuis 1991. Au temps de Blaise Compaoré, beaucoup de personnes pensaient que de toute façon, tout est dans l’illégalité et ça ne servait pas à grand-chose de faire ces remarques. Aujourd’hui, si beaucoup de gens veulent que les choses se passent dans la légalité, c’est tout à fait normal. Il faut surtout éviter de penser que les illégalités sous Blaise Compaoré constituent la légalité.
S. : L’ex-chef du gouvernement, Yacouba Isaac Zida, a souhaité un audit sur la gestion de son équipe. N’y a-t-il pas de crainte que des ministres qui auraient mal géré leur département ne profitent de cette période d’intérim pour dissimuler des dossiers ?
G.H.K. : Je ne crois pas que ça soit possible. En fait, l’expédition des affaires courantes a un sens en droit. Ça veut dire tout simplement que le ministre assure la continuité de l’Etat mais ne peut prendre de nouveaux engagements pour l’Etat. De ce point de vue, il n’y a aucun risque. Ensuite, tous les ministres de la Transition savaient qu’ils allaient partir après les élections. Donc cette crainte n’est pas évidente dans la mesure où ils n’avaient même pas besoin d’attendre la démission du Premier ministre pour commencer à dissimuler, si tant est qu’ils veulent le faire. Ce n’est pas en deux jours ou en une semaine qu’un ministre va dissimuler toutes les charges contre lui. L’audit demandé est une bonne chose et la crainte de dissimulation ne doit pas non plus nous faire violer la loi. En général, les écrits restent.
S. : Le Burkina Faso est dans l’attente d’un nouveau gouvernement. Selon la Constitution, un délai est-il fixé aux nouvelles autorités pour constituer une équipe ?
G.H.K. : Il n’y a pas de délai constitutionnel. Le seul élément de retard si l’on peut dire est que, dans la Constitution, depuis la modification de 2012, le Premier ministre doit être nommé parmi la majorité à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, on est certain que le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) a la majorité. Mais au sein de l’Assemblée, les groupes parlementaires ne sont pas encore constitués. C’est lorsque la majorité à l’Assemblée aura été constituée que le Premier ministre doit être nommé. Aujourd’hui la majorité dont on parle est théorique. Personnellement, je ne vois pas un retard, même si tout le monde aurait souhaité que le Premier ministre soit nommé au plus tôt.
S. : Pourtant, il y a un groupe parlementaire « Burkindlim » composé notamment de l’UNIR/PS, du PAREN et du NTD qui ont affiché leur soutien au MPP.
G.H.K. : C’est un groupe parlementaire de fait, parce que la création d’un groupe parlementaire répond au règlement intérieur de l’Assemblée nationale. On a élu un président, il faut qu’on élise le bureau de l’Assemblée où on aura des groupes parlementaires qui vont s’affilier. A partir de ce moment, on aura une majorité claire et une opposition. Aujourd’hui, ce qu’on sait, c’est qu’on a un groupe parlementaire qui dit soutenir le MPP. Mais c’est une majorité théorique, pas encore une majorité de droit. Elle sera de droit le jour où tous ces groupes se constitueront au sein de l’Assemblée nationale.
S. : Il a été évoqué une possible participation d’Organisations de la société civile (OSC) au nouveau gouvernement. Est-ce opportun ?
G.H.K. : Nous pensons que la participation d’OSC dans le gouvernement n’est pas opportune. Ceci étant, le Premier ministre est libre de former son gouvernement avec qui il veut. Mais il ne doit pas y avoir de personne dans le gouvernement qui représente telle ou telle OSC. Dans une bonne démocratie, il faut avoir une majorité claire, confortable qui gouverne, une opposition forte qui s’oppose et une société civile crédible et dynamique qui surveille. Si la société civile quitte son rôle de sentinelle pour aller au gouvernement, la démocratie va perdre un pied et à deux pieds, c’est facile de tomber à tout moment.
S. : Si des militants du Balai citoyen étaient par exemple appelés au gouvernement, quelle serait l’attitude de l’organisation ?
G.H.K. : Le Balai citoyen a été très clair depuis longtemps qu’il ne participera pas au gouvernement. Maintenant, si un militant veut aller au gouvernement, il ira à titre purement personnel et sera obligé de démissionner avant. Nous pensons à l’étape actuelle qu’aucun de nos responsables n’ira au gouvernement.
S. : Quel sera le rôle du Balai citoyen dans la nouvelle dynamique démocratique ?
G.H.K. : Le rôle du Balai citoyen sera de continuer à travailler à ce que nous ayons une implication consciente et responsable des citoyens dans la gestion de la chose publique à tous les niveaux. Il faut qu’au niveau local déjà, les citoyens s’impliquent dans la gestion de leur commune et qu’au niveau national, ils s’impliquent dans la gestion de l’Etat. Il faut que nous travaillons aussi à rendre réelle la rédévabilité des gouvernants. Que tous ceux qui ont un poste de responsabilité au sein de l’Etat, à quelque niveau que ce soit, rendent compte de leur gestion ! Et à tout moment, ils ne doivent pas forcément attendre la sortie pour faire des audits. C’est comme cela que la démocratie va fonctionner et c’est le rôle fondamental du Balai citoyen. Maintenant que la question de l’alternance est derrière nous. C’est deux éléments, à savoir l’implication des citoyens et la recevabilité des gouvernants sont les éléments forts qui vont nous occuper les années à venir.
S. : Dans le premier gouvernement de la Transition, des ministres ont été décriés par les OSC. Avec les autorités élues, serait-ce le rôle d’une OSC ou de quiconque de contester un ministre pour son passé ?
G.H.K. : Les contestations ne doivent pas être fondées sur les questions de compétences. Mais sur des questions éthiques, par exemple un ministre impliqué dans des affaires de corruption, cela va poser problème et c’est tout à fait normal dans ce cas que des OSC ou des citoyens se plaignent. En effet, on nous a promis une gouvernance vertueuse et une telle gouvernance ne peut se mener qu’avec des hommes de vertu. Le Premier ministre est libre de nommer qui il veut, mais s’il y a des soucis sur les questions de valeurs morales ou éthiques, ça sera notre rôle et celui de la population burkinabè en général de désapprouver ce genre de personnes dans la conduite des affaires de l’Etat.
S. : Quelle lecture faites-vous du premier discours du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré ?
G.H.K. : C’est un discours qui s’inscrit dans l’esprit de l’insurrection parce que le président a mis en avant la nécessaire réconciliation des Burkinabè, la nécessaire revalorisation du dialogue social, la question de la Justice, de la réduction des inégalités. Tout cela entre dans l’esprit de l’insurrection. Maintenant nous attendons de voir la matérialisation de ce discours dans les faits.
S. : Les députés ont validé leur mandat et élu Salifou Diallo du MPP au perchoir. Peut-on s’attendre au maintien de l’orientation donnée par le CNT en termes de travail législatif ?
G.H.K. : Le discours de Salifou Diallo a été également un discours conforme à l’esprit de l’insurrection. Aussi la configuration du parlement fait qu’on est en droit de s’attendre à une Assemblée dynamique qui ose, qui fonce. Nous voulons que tout se fasse dans le sens de l’intérêt des populations comme l’a dit le président entrant de l’Assemblée nationale et c’est une autre dimension, parce qu’en ce moment les discours ne vont plus suffire. On verra le maçon au pied du mur.
S. : Deux députés n’ont pas pu valider leur mandat parce qu’ils seraient sous le coup de poursuites judiciaires. Que dit la loi quant à leur sort de député ?
G.H.K. : Ce qui est sûr, le simple fait que ces députés ne soient pas présents à la validation ne met pas fin à leur mandat. S’ils sont condamnés à des peines qui empêchent de faire valider leur mandat, ils seront remplacés. Il y a sans doute un délai qui leur sera donné pour valider leur mandat et s’ils ne le font pas, ils seront remplacés par leurs suppléants. Ce délai sera déterminé par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Interview réalisée par Bachirou NANA