Le président Roch Marc Christian Kaboré a accordé sa première interview d’après investiture à la chaîne de télévision Africa24. Avec nos confrères, il s’est agi de faire un tour d’horizon très complet de l’actualité burkinabè, mais aussi de la sous-région.
Quel est votre état d’esprit après ces diverses années, ces divers combats maintenant que vous êtes Président du Faso?
Je dirai que c’est un sentiment de détermination parce que non seulement nous voyons le combat que le peuple a mené pendant un certain temps. Une année, deux années durant avant d’aboutir justement à cette élection démocratique où le peuple m’a choisi pour conduire à sa destinée.
C’est également un sentiment d’humilité parce que je vois l’immense tâche qui nous attend pour satisfaire les besoins du peuple burkinabè, pour ramener la gouvernance politique et économique dans notre pays. Je crois que c’est très important pour nous et nous nous battrons pour l’avenir, pour arriver à de justes solutions pour le peuple burkinabè.
Vous avez gravi tous les échelons administratifs et politiques… On vous a vu accessible, nous vous avons côtoyé en tant que journaliste mais rarement on s’est imaginé que vous auriez un destin présidentiel. A quel moment avez-vous ressenti que vous pourrez avoir ce destin-là?
Disons qu’à partir du 4 janvier 2014, après la rupture avec le régime Blaise Compaoré et le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, ancien parti au pouvoir, Ndlr), puis la décision de créer le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès, Ndlr). Lors de notre congrès, le parti et les militants m’ont demandé de porter le drapeau du parti à la présidentielle. J’y suis allé parce que c’était un devoir. Tous les militants de toutes les régions m’ont porté. J’ai estimé qu’il était de mon devoir, au regard des défis et des engagements que nous avons pris avec notre peuple, de me présenter comme candidat. C’est pour dire que ce n’est pas une vocation ni une volonté que j’avais chaque matin en me levant. Mais ce sont les circonstances du moment qui ont imposé que je me présente à cette présidentielle.
Quand vous regardez les circonstances en question, le Burkina Faso connaît maintenant sa première véritable alternance politique civile au sommet de l’Etat à travers vous. Avez-vous mesuré la portée de ce qu’attend ce peuple?
Nous l’avons très bien mesuré. Et c’est pourquoi je disais qu’après l’insurrection populaire, les attentes du peuple sont très nombreuses.
Mais alors comment allez-vous gouverner puisque vous n’avez pas la majorité au Parlement. Quel est votre regard là-dessus?
L’analyse que je fais, c’est que les élections présidentielle et législatives de 2015 étaient ouvertes. Il y avait 80 partis en lice. Pour notre part, il est vrai que nous n’avons pas la majorité absolue mais nous avons quand même des partenaires politiques qui ont soutenu ma candidature. Au lendemain de cette élection, nous avons eu des discussions et je puis vous affirmer sans me tromper que nous aurons cette majorité absolue pour gouverner au niveau du Parlement.
Quel type de gouvernance face à une opposition qui, en réalité, était le creuset d’une majorité de la population au moment de la rupture? Aujourd’hui l’Union pour le progrès et le changement de Zéphirin Diabré a affirmé qu’elle ne prendra pas part à un gouvernement d’union nationale. Alors comment envisagez-vous cette collaboration avec l’opposition? Existera-t-il toujours ce statut de chef de file de l’opposition?
Il n’y a aucune raison que ce statut n’existe pas dans la Constitution. Il sera maintenu. Maintenant, je respecte le point de vue de Zéphirin Diabré et l’UPC. Mais je voudrais dire que les rapports que nous entretiendrons avec l’opposition seront des rapports de respect, de courtoisie et d’échanges pour trouver les meilleures solutions dans le but de conduire notre pays vers le développement et le progrès.
Vous êtes banquier de formation. Aujourd’hui avec du recul et de par votre expérience, quel profil choisirez-vous: technocrate ou politique?
Je pense qu’il faut être non seulement technique mais aussi politique parce que les deux vont de pair. Et c’est pourquoi on travaillera à trouver quelqu’un qui peut jouer ces deux rôles.
Au cours de votre campagne vous avez insisté sur deux axes: L’éducation et la santé. Qu’est-ce que vous jugez plus important?
Je pense que tout est important mais la première des choses c’est de mettre tous les Burkinabè au travail. La seconde c’est la bonne gouvernance économique, sociale et politique. Tout en travaillant sur ces facteurs, nous devons satisfaire les besoins fondamentaux de nos populations. Le budget de l’Etat a cette vocation de refléter les efforts que nous allons porter dans tous les secteurs.
Mais je voudrais dire que l’école et la santé seront nos priorités. Il faut construire plus d’écoles, recruter plus d’enseignants, mettre les plateaux techniques à niveau, améliorer la qualité de la santé sur l’ensemble du territoire. Et pour nous, un homme n’est libre que si nous arrivons à faire en sorte qu’il soit instruit, qu’il se soigne bien, qu’il ait droit à ses trois repas par jour et qu’à partir de ce moment, il arrive à contribuer au développement de son pays.
Monsieur le Président, dans l’une de vos promesses de campagne, vous avez promis d’offrir des emplois d’enseignants à tout chômeur titulaire d’au moins un Bac+2. Comment une telle ambition peut-elle se matérialiser?
C’est une offre. Une fois que le gouvernement sera mis en place, nous allons lancer un appel. Les étudiants qui souhaitent participer s’inscriront et y participeront après une formation de six mois. Pour nous, ce n’est pas du tout de l’utopie, ni de la démagogie, c’est du concret.
Un nombre limité de places a-t-il été déterminé?
Nous n’avons pas un nombre limité parce que les besoins en enseignement aujourd’hui sont énormes. Si nous voulons fournir cette offre, nous devons recruter chaque année 13% d’enseignants supplémentaires, soit au moins 3 000 enseignants par an. Donc, le nombre d’étudiants actuellement au chômage sera suffisant pour assurer ce travail.
Autre mesure phare, M. le Président, vous avez promis de créer une banque destinée au financement des PME/PMI et aux femmes. N’est-ce pas un peu démagogique ou est-ce un message subliminal?
Nous avons promis de créer une telle banque. Nous l’avons dit, non pas pour dire qu’il n’y a pas de secteur bancaire. Le secteur bancaire burkinabè est très fourni. Mais nous l’avons dit parce que les banques commerciales ne mettent pas trop de vocation à financer les PME et PMI. Les taux de financements de ces banques ne sont pas vraiment adaptés au financement de ces types d’entreprises. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut densifier notre secteur bancaire avec des banques spécifiques. Nous allons ainsi travailler à aller chercher des lignes de crédit qui permettent non seulement des prêts à des coûts modérés mais également à des durées plus importantes afin de pourvoir soutenir la transformation de nos produits locaux. Il n’y a rien de subliminal, c’est quelque chose qui se fera et on aura l’occasion d’en parler d’ici deux ou trois ans.
Mais n’est-il pas plus judicieux de renforcer les capacités de la multitude d’institutions qui vont dans le sens de ce que vous prônez plutôt que de créer de nouveaux établissements bancaires?
Nous allons réévaluer ces outils. Mais je voudrais préciser que les montants que ces institutions peuvent accorder n’ont rien à voir avec ce que la banque peut octroyer. Ce sont des fonds qui octroient des crédits de l’ordre de 1,5 millions, voire 10 millions de francs CFA. Cela ne s’adresse qu’à une catégorie de personnes. Nous allons faire une réévaluation de ces fonds.
Est-ce la peine de les disperser ou de les regrouper? La question de la banque aujourd’hui est une nécessité parce que, si nous voulons, selon nos régions, mettre nos PME et PMI dans des zones où il y a des productions fluctuantes qui peuvent nous permettre de faire des jus par exemple, ce ne sont pas 5 ou 10 millions de francs CFA qui vont nous aider…
Avant de finir cette première partie, M. le Président, reniez-vous vos origines professionnelles de banquier ou pas?
Je ne renie rien du tout!
Mais alors dites-nous, quand les banquiers pratiquent des taux d’intérêt compris entre 15% et 20% en Afrique, peut-on développer l’économie de nos pays?
Très difficilement. Mais je dirai que pour l’instant, le constat qu’on peut faire simplement c’est qu’il n’y a pas de vraies compétitions entre les banques africaines. De ce point de vue, on dira qu’il y a plus ou moins plutôt une entente sur les taux et ce sont les clients qui sont perdants finalement.
ECONOMIE ET DEVELOPPEMENT
Monsieur le Président, dans votre projet de société, vous vous engagez à porter la puissance de l’électricité produite au Burkina Faso de 300 à 1000 mégawatts et à assurer un taux d’électrification de 85%. Ces chiffres ont-ils une limite dans le temps? Est-ce un objectif fixé pour ce mandat de cinq ans ou quelque chose qui peut arriver dans un an ou deux? Quel est exactement le plan?
C’est sur la mandature parce que, déjà, dans notre vision, nous avons considéré que nous devons prendre une option radicale pour l’énergie solaire.
Une particularité de cette énergie solaire, c’est bien que la majeure partie des éléments ne sont pas fabriqués localement. Quelle stratégie adopterez-vous pour arriver à cette souveraineté énergétique avec l’énergie solaire?
Je voudrais dire justement que nous allons œuvrer à ce que nous puissions les fabriquer et les installer localement. Il y a des communes où le matériel pour l’installation de l’énergie solaire est fabriqué. C’est un secteur sur lequel il y a la possibilité de développer de l’emploi parce que c’est implanté sur l’ensemble du territoire et nous avons pris l’engagement de faire en sorte que les CSPS (Centres de santé et de promotion sociale, Ndlr) et les écoles soient éclairés via l’énergie solaire.
Autre point, l’agriculture qui est le premier secteur d’activité des Burkinabè et ne contribue qu’à environ 30% à la formation de votre PIB. Quels sont vos projets précis et votre programme pour la relance de l’agriculture burkinabè?
Vous savez, durant les tournées que nous avons effectuées à l’intérieur du Burkina, nous avons vu qu’il y a des zones où les conditions hydriques sont telles qu’elles sont favorables à l’agriculture. Nous devons renforcer les capacités de production dans ces zones-là plus que dans d’autres parce que les conditions sont réunies. Ces zones suffisent largement à assurer l’autosuffisance du Burkina Faso. C’est pourquoi nous avons pris l’engagement de doter nos agriculteurs de techniques modernes, pour leur permettre d’étendre leur capacité de production.
Ont-ils assez de terres?
Il y a de la terre, parce qu’aujourd’hui, beaucoup continuent de cultiver à la charrue etc. Nous pensons qu’il faut moderniser cela, il faut améliorer. Nous avons déjà dit également qu’il faut améliorer la qualité des sols. Déjà, il y a tout le travail qui est fait à travers les fibres organiques. Mais nous avons dit qu’il faut travailler à réduire également le coût de ces intrants agricoles quitte à faire installer au Burkina Faso une usine de fabrication justement parce que nous avons du calcaire également. Il y a la possibilité de faire des engrais pour permettre de contribuer à améliorer les sols.
Vous n’insistez pas dans votre projet de société sur la dimension humaine. C’est juste à la fin que vous parlez des jeunes qui sont pour vous des agriculteurs d’aujourd’hui et de demain…
Le profil de l’agriculteur, nous allons le décider dès maintenant parce que nous avons dit que nous allons créer des écoles professionnelles. Nous allons former au plan professionnel et technique les jeunes désormais à partir du lycée. Nous pensons qu’ils (les jeunes) sont au chômage parce que la formation n’a pas d’adéquation avec les besoins du marché, c’est évident!
Aujourd’hui, nous produisons des juristes, des économistes, nous produisons des philosophes, mais le marché ne demande pas autant d’économistes et de philosophes!
Ceci signifie que nous devons développer la formation technique et former de nouveaux types d’agriculteurs qui sauront comment manier le tracteur, qui sauront comment utiliser les engrais, qui sauront également comment travailler à partir du goutte-à-goutte pour pouvoir développer un certain nombre de secteurs etc. Parce que, sans ces changements stratégiques, il n’y a pas d’amélioration et nous devons accompagner justement ces agriculteurs.
De même, au plan financier, nous avons décidé dans le programme de société de mettre en place une banque qui sera destinée à l’agriculture. Nous pensons qu’il y a de l’épargne populaire qu’il faut mobiliser. Nous avons également de grands opérateurs du secteur agricole, qui peuvent participer au capital de cette banque et peuvent contribuer justement à ce qu’elles permettent aux agriculteurs non seulement d’acquérir des tracteurs mais également des intrants pour le travail quotidien.
Vous avez parlé des intrants agricoles qui sont généralement importés hors du continent. Le Burkina Faso est le seul pays de l’Afrique de l’Ouest à cultiver le coton OGM, dont le coût des intrants est assez cher. La culture du coton, deuxième produit exporté par pays, est un secteur confronté à de nombreuses difficultés dues à la baisse du prix sur le marché international. Comment comptez-vous accroître les performances de cette filière dont les coûts sont en baisse alors que les charges liées par exemple à l’acquisition des intrants OGM sont plus élevées?
Je pense qu’il faut certainement deux choses: d’abord regarder et réaménager la structure et la gouvernance de la structure Sofitex (Société burkinabè des fibres textiles, Ndlr); deuxièmement réorganiser la filière globale qui est celle du coton. A mon avis également, travailler à la transformation d’une partie de notre coton localement pour améliorer la valeur ajoutée à la vente. Parce que comme vous savez depuis toujours, nous avions Faso Fani, qui était la société textile. Elle est fermée depuis fort longtemps. Nous ne pouvons pas continuer à simplement produire et à vendre tout en sachant que nous sommes liés au cours du jour.
C’est pourquoi je pense que l’option d’aller à la transformation, l’option de voir justement comment nous allons travailler à réduire les charges de la Sofitex elle-même et la réorganisation de la filière avec les paysans est une bonne piste. Le cours du coton baisse et les paysans sont forcément impliqués puisqu’ils utilisent des intrants agricoles qui coûtent chers. Ils ont besoin que le prix d’achat soit élevé pour leur permettre de rentrer dans leurs fonds. Il y a toute une discussion à mener pour permettre justement de réorganiser le secteur coton.
Autre secteur où il y a des discussions à mener, ce sont les mines. L’or est depuis 2009 le premier produit d’exportation du Burkina Faso. En 2014, les recettes perçues par l’État s’élevaient à 169 milliards de francs CFA. Et en juin 2015, le Conseil national de transition a adopté un nouveau code minier. Allez-vous revoir ce nouveau code minier? Quelle est votre stratégie par rapport à cette approche de l’industrie minière dans votre pays?
Je voudrais dire simplement que nous ne pouvons pas remettre en cause un code minier qui a été adopté et qui n’a pas été mis en application. Je crois qu’il est important en premier lieu que les mesures d’application de ce code soient mises en œuvre.
Les recettes que nous percevons de l’or devraient nous permettre d’améliorer et de renforcer notre action dans les secteurs sociaux parce que, simplement, nous devons améliorer les conditions de vie des Burkinabè. Et je crois que cette manne que nous pouvons tirer du secteur de l’or devrait prioritairement servir à cela, et une partie serait destinée aux générations futures.
Mais l’État contribue déjà à hauteur de 20% des redevances collectées. Les sociétés minières versent 1% de leur chiffre d’affaires mensuel. Est-ce assez? N’est-ce pas trop symbolique comme approche?
Non, ce n’est pas symbolique. Un pour cent du chiffre d’affaires c’est beaucoup. Mais je pense que c’est la demande que nous avons faite aux sociétés minières pour que, dans les régions et dans les zones où elles sont implantées, elles puissent travailler à exploiter l’or tout en contribuant à améliorer les conditions de vie des populations: construire les écoles, des dispensaires, etc.
Il y a eu des grèves à répétition, des conflits avec les populations riveraines. Quelle sera votre méthode pour endiguer ces problèmes?
Avant qu’une compagnie minière ne s’installe dans une localité, il est important que le dialogue soit instauré avec les populations riveraines. A travers mon programme, je propose un dialogue permanent entre les sociétés et les populations. Dans le même moment, l’État fera son devoir afin de favoriser l’entente entre les investisseurs et les populations. Tant qu’il n’y a pas de dialogue, les conflits seront violents et difficiles à gérer.
LA TRANSITION, LA JUSTICE ET MOI…
Monsieur le Président vous êtes arrivé au terme d’une période de transition. Quel bilan faites-vous de celle-ci ?
Je voudrais dire que c’est élogieux! Il fallait féliciter quand même ces hommes et ces femmes qui, durant un an, ont pris le risque de gérer cette transition avec toutes les difficultés qu’on a connu. C’est une grosse charge et, même si je dois reconnaître qu’il est trop tôt pour moi de pouvoir faire un bilan de la transition, il y a eu des grandes avancées dans certains domaines, notamment sur les questions de justice; il y a également eu de grandes avancées en ce qui concerne la participation du citoyen aux grandes décisions.
Je crois que le temps viendra où on fera le bilan de la transition en tant que telle. Mais je dois la féliciter quand même pour avoir respecté les délais qui avaient été impartis.
L’opinion publique a tenu aussi à féliciter cette transition. Toutefois, on a noté que certains actes posés, notamment au niveau des nominations sont critiquées. Par exemple, au cours de cette fin de transition on a vu des membres de gouvernement être désignés à des postes diplomatiques. Allez-vous maintenir ces ambassadeurs? Ont-ils une certaine légitimité?
Je n’ai pas encore regardé l’ensemble de ces questions. En son temps, on avisera et on verra ce qu’il y a lieu de faire.
Le gouvernement de transition a ouvert de nombreux dossiers judiciaires qui ont défrayé la chronique et suscité d’intenses passions. On pense notamment au dossier Thomas Sankara, aux procédures liées à l’après-putsch. Dans le cadre du dossier Thomas Sankara, plusieurs personnes ont été inculpées le 22 décembre 2015 et la justice militaire a annoncé avoir émis un mandat d’arrêt contre l’ancien président Blaise Compaoré. Quelle est votre démarche face au calendrier judiciaire?
Vous savez, pour moi, je considère qu’on ne peut aller à la réconciliation que s’il y a la vérité et la justice. Vous savez que depuis 1960 le Burkina Faso a connu une superposition de crises, une superposition de difficultés, de morts… qui font qu’aujourd’hui nous continuons de réfléchir sur des questions de justice qui datent il y a 30 ans.
Comment les résoudre?
Je crois qu’il faut en finir. Pour en finir, je crois que les dossiers sont ouverts et comme je l’ai dit dès le départ, tous les dossiers vont être suivis jusqu’au bout. Non pas dans un souci de vengeance, mais parce qu’il faut que la justice soit rétablie pour qu’ensemble nous puissions tourner véritablement la page de l’histoire du Burkina Faso et regarder l’avenir dans le même sens. C’est pourquoi je réaffirme que la réconciliation au Burkina Faso passera nécessairement par la vérité et par la justice.
Nous allons poursuivre ce qui a été engagé par la transition. La justice est indépendante. De ce point de vue, pour nous, en tant que gouvernement, nous mettrons tous les moyens possibles à la disposition de la justice afin de lui permettre d’aller vite et de clore rapidement l’ensemble de ces dossiers. Mais c’est à la justice de mener ses investigations et l’ensemble de discussions concernant ce problème.
Les actes de la justice peuvent avoir une incidence politique. On a pu observer, lors de votre prestation de serment, qu’il y avait des spéculations sur la présence du Président de la République de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara. Notamment en raison du mandat d’arrêt émis et à l’extradition de l’ancien chef de l’État du Burkina Faso, Blaise Compaoré, qui réside en Côte d’Ivoire. Est ce qu’il y a un risque que ces actes judiciaires puissent déstabiliser la relation entre les deux pays?
Je pense que c’est le Burkina Faso qui a invité le Président Alassane Ouattara à l’investiture! Donc s’il y avait des problèmes aussi graves qui nous empêchaient de cohabiter nous ne l’aurions pas invité. C’est pour dire que les problèmes judiciaires existent. Je l’ai toujours dit. Les problèmes entre les nations peuvent exister, mais nous avons une obligation de relation entre la Côte d’ivoire et le Burkina Faso et entre les autres pays qui nous entourent, parce que, tout d’abord, comme je le souligne, nous avons quatre millions de Burkinabè qui vivent en Côte d’Ivoire! De ce point de vue-là, nous sommes dans des phases de discussions concernant si oui ou non il y a demande que le Président Blaise Compaoré vienne répondre devant la justice au Burkina Faso. En tout cas, je pense qu’il n’y a aucun problème qui se pose pour le moment. Il se posera peut-être plus tard…
Au regard des évènements qui ont amené cette transition, avez-vous le sentiment, en tant que citoyen, en tant que justiciable, que le regard posé dans le traitement du dossier Thomas Sankara ne suscitera pas un sentiment de vengeance individuelle vis-à-vis de Blaise Compaoré?
Ce n’est pas un esprit de vengeance du tout! Je crois que vous avez même entendu la veuve de Sankara s’exprimer à plusieurs occasions. Je crois que ce que chaque Burkinabè demande, et pas seulement sur l’affaire Thomas Sankara, c’est qu’il y ait la lumière sur ces crimes-là. Vous savez très bien qu’au-delà des dossiers essentiels, même sur ceux qui concernent l’insurrection populaire, notamment les 30 et 31 octobre dernier, la justice est également réclamée!
Et nous devons travailler à ce qu’il y ait de la transparence, parce qu’aujourd’hui le peuple burkinabè a eu marre de l’opacité dans le traitement de tous ces dossiers. C’est pour cela que nous n’avons pas d’autres choix. Nous l’avons promis: sur toutes ces questions, la lumière sera faite.
Autre point principal, un putsch avec deux hautes personnalités de l’État qui figurent aujourd’hui parmi les 52 personnes interpellées : Gilbert Diendéré, Djibril Bassolé. Il y a cinq mandats internationaux qui sont lancés. Au-delà du jugement qu’on peut porter sur l’implication de ces personnes, comment avez-vous vécu ce moment précis, en tant que ce citoyen?
Ce que je peux dire simplement, c’est qu’au moment où le peuple burkinabè a lutté pour s’affranchir de l’oppression et de l’injustice, alors que le peuple burkinabè est dans une démarche pour la restauration de la démocratie, les officiers supérieurs pensent à ce moment-là qu’ils doivent faire un coup d’État qui est, je dirais, contraire à toute attente!
Mais vous étiez dans l’opposition. Vous avez vécu l’insurrection populaire, vous discutiez avec tous… N’aviez-vous à votre niveau aucune capacité de dissuader le général Diendéré ou Djibril Bassolé de se lancer dans une telle aventure?
Écoutez, quand les gens vont séquestrer le chef de l’État et le Premier ministre dans leurs bureaux pour finalement nous dire après que c’était un coup d’État, je ne vois pas comment on peut être au courant! J’estime que c’est vraiment un non-sens et aucune organisation internationale ne pouvait valider une telle opération. C’est pourquoi, comme je l’ai souvent dit, que des généraux de l’armée burkinabè en soient arrivés là, c’est vraiment une situation qui est honteuse pour notre pays.
Alors, ce coup d’État contre-nature a généré d’autres révélations contre-nature. On n’imagine pas qu’une personnalité d’un pays voisin frère soit impliquée. On a parlé des fameuses écoutes téléphoniques non authentifiées à ce jour impliquant le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Mais le Premier ministre de la transition, Isaac Zida, a confirmé l’authenticité de ces enregistrements, qui ont défrayé la chronique et peuvent porter un coup dur aux relations entre les deux pays. D’abord, quelle est votre appréciation sur ces écoutes? Et estimez-vous qu’une suite judiciaire doit y être donnée?
Pour ma part, je considère que toutes ces questions, que ce soit celle du putsch, que ce soit celle des écoutes, toutes ces questions appartiennent à la justice militaire qui travaille sur ce dossier. Je l’ai déjà dit, nous attendons de voir la conclusion de la justice militaire. Je l’ai dit et répété que s’il s’avérait que véritablement ces écoutes étaient authentifiées, je crois que ce serait une attitude inamicale de la part du président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire.
Lui avez-vous parlé?
Depuis lors, nous ne nous sommes pas parlé du tout. Mais je dirais que ce serait une attitude inamicale vis-à-vis du Burkina Faso.
On a vu – et l’exemple du Burkina Faso est édifiant – que l’Afrique, à l’exemple du Burkina Faso, détient des peuples pacifiques qui ne demandent qu’à être gouvernés de manière paisible, de manière structurée. Et on a constaté qu’un certain nombre d’actes politiques, notamment les fameuses Constitutions, pouvaient entraîner divers problèmes. Pensez-vous aujourd’hui que nos institutions dans nos différents pays sont assez fortes? Existe-t-il une méthodologie précise pour avoir une gouvernance politique stable en Afrique, même s’il ne faut pas généraliser?
Je pense qu’en Afrique, on doit pouvoir arriver à trouver un mécanisme pour avoir une gestion stable. Que demandent les peuples de façon générale? C’est la bonne gouvernance aussi bien au plan économique qu’au plan social. Si nous travaillons au niveau des gouvernements à satisfaire les intérêts des populations, à éviter que le pouvoir ne soit pas aux mains d’une minorité et que les populations participent aux décisions, vous verrez qu’il n’y aura plus aucune raison qu’il y ait des batailles rangées dans les différents pays.
C’est ce à quoi nous devons aboutir. C’est ce à quoi nous devons travailler. Et notre engagement collectif doit être la satisfaction des intérêts de nos populations et non la satisfaction de nos propres intérêts. C’est cela qui va permettre à l’Afrique de faire un tournant décisif vers la vraie démocratie et vers la participation des peuples à leur propre développement.
LUTTE CONTRE BOKO HARAM, INTEGRATION, MONNAIE UNIQUE…
Quel sera, selon vous, la contribution du Burkina à l’élan panafricain de lutte contre la secte islamiste Boko Haram, contre toutes les autres formes de menaces?
En ce qui nous concerne déjà, nous avons pris l’engagement, avec l’ensemble des pays menacés, de mutualiser les moyens aussi bien militaires que de renseignement en liaison avec nos partenaires internationaux pour assurer véritablement une lutte ferme contre le terrorisme qui se développe dans notre sous-région.
Il est évident que le Burkina Faso, qui fait partie de la sous-région, ne peut pas dire qu’il est épargné de cette situation. C’est pourquoi nous devons véritablement développer la coopération, la vigilance dans nos différents pays pour mettre fin à ces fléaux-là qui, bien évidemment, visent la destruction des États. Nous sommes donc pleinement engagés dans ce combat.
On a également parlé de l’intégration politique, économique, du développement de la coopération régionale sur le plan politique. Le Burkina Faso n’a pas d’accès à la mer et a toujours eu en priorité ce développement économique avec ses voisins. Comment faut-il l’accentuer? Comment faut-il lui redonner un véritable souffle?
De toutes les façons, je crois que nous sommes dans les mêmes communautés notamment l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine, Ndlr) et la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Ndlr). Je pense qu’il faut que nous fassions en sorte de travailler afin que l’intégration ne soit pas seulement un débat théorique mais qu’elle s’exprime véritablement aussi bien en termes d’infrastructures, que de nos économies et de libre circulation et d’installation. Cela permet effectivement de faire en sorte que nos zones soient unifiées.
Nous devons aussi faire en sorte que dans le domaine de l’agriculture nous ayons des productions diverses qui surabondent dans d’autres pays. On doit avoir un marché commun pour pouvoir faire justement ce transfert de vivres entre nos différents États. Il faut que nous travaillions à ce que l’intégration entre nos peuples soit une réalité.
Je crois que le Burkina prend cet engagement de participer au niveau de ces instances-là avec ce point de vue: faire en sorte que l’intégration soit visible pour les peuples.
La Cedeao vient de décider d’avoir une monnaie unique à l’horizon 2020. Y croyez-vous?
Nous sommes effectivement sur le principe où il faut avoir une monnaie. Mais comme je l’ai dit, entre le principe et arriver à la réalité, il y a forcément des préalables.
Ces préalables sont-ils remplis? Requis?
Vous savez également qu’il faut que nous puissions mettre à niveau les critères de nos économies respectives. De ce point de vue-là, je pense que chaque pays doit travailler à cela. Et il n’est pas évident que cela soit possible dans un délai de cinq ans. Mais l’engagement est pris. Il faut que nous travaillions à améliorer et la croissance et la bonne gouvernance de nos économies avant de créer une monnaie unique sinon, dans ce désordre, je pense que cette monnaie n’aura pas grande chance de succès.
Mais une monnaie unique est-elle vitale?
Elle est vitale. Nous sommes une grande zone. (Hochement d’épaules… Silence) On aurait pu! Vous voyez qu’en Europe, malgré les critères qui sont donnés, il y a déjà des tensions sur l’euro et même sur la zone en tant que telle pour des questions diverses. C’est pour dire que nous sommes quand même un certain nombre de pays au sein de la Cedeao et c’est vital pour nous conforter, pour faire face aux autres. Mais il faut créer une monnaie qui tienne la route. Si c’est pour créer une monnaie qui sera dévaluée tous les jours, cela n’en vaut pas la peine !
On voit aujourd’hui qu’en Afrique, chaque pays s’adapte suivant son évolution. Dans certains pays, c’est le Premier ministre qui a le pouvoir, dans d’autres c’est le Président, ailleurs on préconise la limitation des mandats. Pourtant, en Allemagne par exemple, il n’y a pas de limitation de mandat. Existe-t-il une méthode pour que nous, Africains, puissions réfléchir à ce qui rendra notre gouvernance beaucoup plus stable et pérenne?
En ce qui concerne le Burkina Faso, pour la leçon que nous avons tiré en ce qui concerne la gestion, c’est que la durée au pouvoir – notamment 27 ans avec de pouvoir de Blaise Compaoré – a créé des situations nouvelles: à savoir, plus on dure, plus on se regroupe dans une minorité qui, finalement, fait la loi sur l’ensemble des autres. Et puis les risques d’explosion sont là! Et c’est cette explosion-là qui est arrivée comme je vous l’ai dit avec l’insurrection des 30 et 31 où, pour finir, le peuple a commencé à dire «y en a marre», «suffit», «il faut partir»…
Le Burkina Faso a toujours eu la particularité de ne pas céder à différents courants, notamment en maintenant une relation avec la République de Taïwan au détriment de la Chine. Avec du recul, pensez-vous que le Burkina Faso a eu raison de rester fidèle à ses engagements? Le Burkina Faso continuera-t-il de le faire sous votre magistère?
En tout cas, nous avons signé des accords avec Taïwan depuis 1994, et je dois dire que pour l’instant, ces accords sont respectés. Et pour nous qui arrivons au pouvoir en 2015, nous ne voyons pour l’instant aucune raison de revenir sur cette décision-là.
On a vu qu’un certain nombre de pays, plus particulièrement la France, poursuivaient des dirigeants du continent dans des actes individuels commis, notamment les biens mal acquis ou récemment le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, qui a fait l’objet d’un mandat d’un juge. Est ce qu’il paraît sain et possible à vos yeux qu’un pays puisse décider de poursuivre un dirigeant d’un autre pays jouissant d’une responsabilité publique?
Je pense que c’est un problème qui a été résolu puisque c’est du fait justement qu’il y avait cette immunité, que le président de l’Assemblée était en mission, qu’il a pu retourner tranquillement chez lui. S’il n’avait pas cette immunité, s’il était un citoyen lambda, il n’aurait pas eu le temps de quitter la France.
Ce que je voulais simplement dire, c’est que dans ces pays comme la France, vous pouvez être attaqué tout simplement par des organisations de la société civile qui posent plainte contre vous sur un certain nombre de secteurs, c’est leur domaine de la liberté de la justice. De ce point de vue-là, je ne peux pas vraiment donner une appréciation sur ces questions, parce que je considère qu’une ONG, un individu peut poser plainte contre Roch Kaboré, parce qu’il considère qu’il a commis tel ou tel acte. Et ça, ce n’est pas la France qui vous poursuit: c’est le principe de la justice.