Grande affluence le dimanche 23 septembre 2012 au siège de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour le dépôt des candidatures pour les législatives 2012. Comme s’ils s’étaient donné le mot, plusieurs partis politiques ont choisi de sacrifier à cet impératif à la dernière minute. Si bien qu’à la fermeture de la porte à minuit, la cour de la CENI était pleine à craquer et d’une vingtaine de partis enregistrés aux environs de 18h, on est passé à 74 à l'heure de la clôture, rendant fastidieux le processus de réception et d’enregistrement des dossiers qui a duré toute la nuit. Si certains partis ont fait preuve de préparation, chez d’autres, par contre, ça frisait le bricolage comme le cas de ce représentant d’une formation politique qui, ayant fait des erreurs dans le remplissage sur place de ses fiches, interpellait les personnes présentes : «Vous n’auriez pas un effacil (1) svp ?».
- «Vous venez pour le dépôt des listes ?»
- «Oui !»
- «Vous êtes le président du parti ?»
- «Vous êtes nouveau au Burkina ? Il faut que vous regardiez la télé. Si vous ne connaissez même pas vos députés !»
Le moins que l’on puisse dire est que la conversation entre le président du FFS, Norbert Tiendrébéogo, et l'agent CRS en faction à la porte de la CENI aux environs de 18 h le dimanche 23 septembre 2012 a été tendue. Le ton monte, l’agent des Forces de l’ordre tente d’expliquer qu’il ne fait que son boulot en s’assurant que les «déposeurs» sont bien mandatés par des partis politiques. Fort heureusement, cela ne va pas plus loin car des commissaires de la CENI interviennent aussitôt et le président du FFS accède à la cour.
A dose homéopathique. C’est le mode choisi par l’Union pour le changement (UPC) pour déposer ses dossiers pour les législatives 2012 le dimanche 23 septembre 2012 à la CENI. Pour le président du Parti, Zéphirin Diabré, qui s’est lui même déplacé sur les lieux à 19h passées, cette approche progressive a consisté à venir par vagues pour bénéficier des remarques faites au fur et à mesure et ainsi améliorer leurs dossiers. Pour ce scrutin, l’UPC n’a pas d’ambition particulière sinon de rafler le maximum de sièges possibles.
Au nombre des mandants patientant sous la tente, une femme portant son bébé au dos. Un de ses voisins, Abdoulaye Karim Gakou, est l’une des têtes du Mouvement patriotique pour l’alternance (MOPA), parti qu’il a porté avec des camarades sur les fonts baptismaux il y a un an. Il est venu de la cité de Sya pour déposer une liste de douze (12) personnes dont six (6) titulaires et six (6) suppléants alors qu’il est 20 h et demie.
Chose étrange, c’est uniquement dans la province du Houet que cette formation politique compte présenter des candidats : «Comme c’est un jeune parti et son siège est à Bobo, c’est pour ça», explique Abdoulaye Karim Gakou. Problème, il commet des fautes dans le remplissage sur place de ses fiches. Panique. «Vous n’auriez pas d'effacil, s’il vous plaît ?», «Quelqu’un n’aurait-il pas d'effacil ?» répète-t-il, courant de groupe en groupe. Un bon samaritain, obligé de ressortir dans la nuit à la recherche du président de son parti pour cacheter certains dossiers, se propose de lui en acheter en ville. Ce dernier reviendra malheureusement sans le précieux correcteur, les boutiques étant fermées à cette heure-là. Le salut vient pour M. Gakou des représentants d’un autre parti qui venus eux aussi pour la même cause ont eu le bon sens d’amener avec eux un blanco, au cas où.
22h 15, «Le n°13», annonce l’agent. «On doit venir ?», lui rétorque, l’air surpris, Alphonse Bonou de l’Alliance nationale pour le développement/Parti de la justice sociale (AND/PJS), lorsque l’agent se rend compte qu’il a sauté le n°12 et tente de réparer son erreur ; c’est le soulagement du côté de ceux qui ont été enregistrés sous le n°13 : «Je vous en prie, prenez votre temps». C’est finalement une dizaine de minutes plus tard que M. Bonou et les siens seront appelés devant un bureau de réception et d’enregistrement de la CENI, le temps pour eux encore de trier, classer des documents afin de constituer des dossiers (NDLR : il ne ressortira du bureau qu’à 1h 06 mn).
Tous les moyens sont bons pour prendre son mal en patience. Pendant que certains remplissent leurs fiches en se faisant conseiller par de futurs «adversaires» sur les erreurs à éviter, d’autres, par contre, matent un film sur un ordinateur portable ou font un brin de causette. Plus le deadline approche, plus la cour de la CENI se remplit. Surgit le premier responsable du Parti indépendant du Burkina (PIB), Maxime Kaboré, en tenue de sport. «Ils ont coupé le courant toute la journée dans mon quartier pour que je ne puisse pas déposer mes dossiers. Plus de 5h de coupure ! Ils sont mauvais ! Nous allons batailler et l’Assemblée nationale aura le privilège de nous avoir», vocifère-t-il aux micros et enregistreurs des hommes de médias qui l’accostent. La conséquence pour lui est qu’il ne pourra finalement postuler que pour 19 provinces sur les 35 prévues.
Le délestage n’est pas non plus du goût d’Arba Diallo du Parti pour la démocratie et le socialisme (PDS)/Metba qui fait son entrée à la suite des délégations de l’ADF-RDA et du PAREN, peu après 23h. A l’en croire, c’est le signe que «les vieux briscards qui ont été au pouvoir pendant un quart de siècle ont été incapables de conduire notre pays au développement, encore moins à l’émergence. Regardez par exemple la CENI, située en pleine ville à quelques mètres de la primature, elle se voit obligée d’utiliser un groupe électrogène !».
Sa formation faisant partie de celles qui avaient demandé un report des élections, il explique qu’au regard des points de vue divergents sur le calendrier, ils attendaient qu’une confirmation de la tenue effective du scrutin soit faite avant de déposer leurs dossiers, et ce, en dépit des difficultés d’accès à certaines de leurs zones électorales. Néanmoins, foi d’Arba Diallo, «toutes les conditions sont réunies pour renvoyer le CDP chez lui cultiver pendant qu’il est encore temps». Il taquine ensuite les journalistes présents en leur donnant un «scoop» : «Vous ne m’avez pas demandé qui est notre candidat pour la mairie de Ouagadougou. C’est Simon Compaoré parce que ceux qui sont chassés de l’autre côté et qui sont bons, nous les prenons avec nous.»
23h30. On se bouscule à la porte. Pour éviter que certains ne soient encore dehors à minuit, les commissaires de la CENI décident de les faire entrer dans la cour après que chacun se soit vu attribuer un numéro en fonction de leur ordre d’arrivée. Parmi la dizaine de retardataires qui accèdent ainsi à la cour, les mandants du parti majoritaire, transportant un gros carton sur lequel on peut lire «Dossiers des candidats du CDP».
Minuit moins 5. Me Barthélémy Kéré, accompagné de plusieurs collaborateurs dont le commissaire chargé de la coordination de la réception et de la validation des candidatures, Maxime Bandaogo, prend position devant le portail. La montre de M. Bandaogo, qui sert de témoin, va afficher bientôt minuit. «Appelez un journalistes et un représentant de parti politique», crie le président de la CENI. «Vous avez quelle heure ?» demande-t-il à la journaliste de la RTB et au mandant du PUND qui s’avancent. Minuit passé de 2 minutes pour la première, 23h 59 pour le second.
Ce n’est que lorsque la montre de ce dernier affichera minuit que sur ordre des premiers responsables de la Commission, les CRS fermeront la porte. La cour est maintenant bondée de monde et chacun se trouve une place en attendant son tour pendant que le groupe électrogène démarre afin de faire face à la coupure. Certains en profitent pour se retrouver dans leurs dossiers qu’ils n’hésitent pas à éparpiller sur la terrasse pour les trier. Morphée ne manque pas d’attirer bon nombre dans ses bras. Le thé et le café servis vers 2 heures du matin sont les bienvenus.
Les passages devant les équipes de la CENI sont longs en fonction du nombre de candidatures des partis dont la réception des dossiers prennent parfois plus de trois heures. Une fois la formalité accomplie, les mandants ne demandent plus leur reste, s’empressant de signer le registre à la guérite et de s’en aller. Pour d’autres, par contre, il faut encore rechercher des pièces complémentaires.
Alors que les premiers rayons du soleil pointent au petit matin, la plupart des mandants des partis et les agents de la CENI sont très éprouvés, ils n’ont pas fermé l’œil de toute la nuit. Si bien que la nervosité se faisait sentir du côté des «déposeurs» qui rongent leur frein. Agacés, certains sont remontés contre ceux qui prennent, selon eux, beaucoup trop de temps pour déposer leurs dossiers, à l’image de Maxime Kaboré du PIB et de Mamadou Kabré du PRIT- Lanaya : «Que font-ils à l’intérieur ? Que négocient-ils ? Ou les dossiers sont bons ou ils ne le sont pas, nous avons passé la nuit ici et nous n’entendons pas y passer le reste de la journée encore».
Pourtant avant de parvenir à son tour à la salle, Maxime Kaboré a martelé à qui voulait l’entendre qu’il avait été «pris en otage» par la fermeture de la porte de la CENI et qu’il n’avait pas pu ainsi déposer ses listes pour les municipales. Il faut dire que la loi autorise les agents à recevoir les dossiers de tous ceux qui ont eu accès à la cour de la CENI avant minuit. Cependant pour éviter que de petits malins ne s’engouffrent dans la «brèche» soit pour compléter des dossiers soit pour les apporter, l’accès était très filtré par des éléments de la Compagnie républicaine de sécurité.
Ces derniers étaient très intransigeants et appliquaient les instructions à la lettre : fouille minutieuse des journalistes et de quelques rares personnes qui y avaient accès, puis autorisation expresse du coordonnateur ou d’un commissaire à pénétrer dans l’enceinte de l’institution. Reste maintenant, avant la publication des listes, le travail de validation des dossiers par la commission ad hoc qui, selon les premiers responsables de la CENI, ne devrait pas prendre plus d’une semaine.