Le choix a beau receler une part de subjectivité, trouver un homme, une femme ou même une institution pour en faire la personne de l’année n’est jamais chose aisée. Surtout quand les « aspirants » à une telle distinction sont nombreux.
Alors que 2015 tire à sa fin, au Burkina Faso, qui éliminer et qui retenir comme celui ou celle qui dont l’action aura marqué le cours de l’histoire ces douze derniers mois ? Notre homme de l’année aurait pu simplement être le désormais ex-président du Faso, Michel Kafando. Même si la Transition, dont il était le capitaine, a failli tomber de Charybde en Scylla, M’Ba Michel, comme on l’appelle affectueusement, aura malgré tout conduit le navire à bon port.
Ça aurait aussi pu être notre intrépide confrère Chériff Sy, dont on connaît le caractère bien trempé, pour avoir organisé la résistance pendant que les deux têtes de l’exécutif (Michel Kafando et Isaac Yacouba Zida) étaient détenues par les putschistes du 17 septembre.
La liste des potentiels hommes de l’année est encore longue puisqu’on aurait pu penser à une personnalité comme Zéphirin Diabré dont l’élégance républicaine, après sa défaite à la présidentielle du 29 novembre 2015, a fini par convaincre qu’il a l’étoffe des grands hommes.
Quittons la faune politique pour voir du côté de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) où le président Me Barthélémy Kéré a tenu sa promesse concernant l’organisation remarquable des élections couplées en donnant les résultats à jour-1 et, cerise sur le gâteau, sans la moindre contestation. Une première dans l’histoire politique de la Quatrième République et qui a valeur d’école dans une Afrique où les lendemains de scrutin riment généralement avec crise postélectorale. Et pourquoi pas la jeunesse burkinabè dans son ensemble, elle qui après l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 est de nouveau sortie pour faire pièce à la forfaiture du 17 septembre 2015 ?
Il y a inévitablement aussi toutes ces personnes physiques ou morales qui auront frappé l’esprit de leurs contemporains par des actions méritoires.
Plutôt que ces héros positifs, nous avons choisi un autre héros si on peut l’appeler ainsi. Car pour le titre d’homme de l’année 2015, nous avons jeté notre dévolu sur une personnalité pourtant sur laquelle nous avons jeté l’anathème pour précisément le fait qui lui vaut notre choix : il s’agit d’un officier supérieur deux étoiles à la silhouette interminable qui a forcé le destin à sa manière pour entrer dans l’histoire. Vous l’avez deviné aisément, notre homme de l’année est le général Gilbert Diendéré.
On entend déjà des cris de désapprobation, des grincements de dents et cette interrogation : « Comment L’Obs. a-t-il osé décerner un tel titre à un tel félon ? ». La réponse : parce qu’il le mérite bien.
Pour bien nous faire comprendre, un peu d’histoire sur la notion de « l’homme de l’année ».
L’Homme de l’année ou la Personnalité de l’année (Person of the Year) est un titre décerné chaque année en décembre depuis 1927 par la rédaction de l’hebdomadaire américain Time Magazine à la personne qui a « marqué le plus l’année écoulée, pour le meilleur ou pour le pire ».
Le titre de personnalité de l'année est souvent considéré, à tort, comme étant un honneur. De nombreuses personnes, y compris certains acteurs des médias américains, continuent de relayer l'idée que le titre d’Homme de l'année est une récompense ou un prix bien que le magazine fasse régulièrement des démentis sur ce point. La confusion vient en partie du fait que des gens admirables ont reçu ce titre, peut-être même la majorité.
Adolf Hitler a pourtant reçu le titre en 1938 ; ont aussi été désignés Staline en 1942, Pierre Laval en 1931 et l'ayatollah Khomeiny en 1979 (1).
Cela dit, revenons donc à notre homme de l’année. Au cœur du système depuis une quarantaine d’années, Gilbert Diendéré, 55 ans, a aidé Blaise en 1987 à prendre le pouvoir et bien avant ce dernier, Thomas Sankara en 1983. C’est l’un des hommes les plus renseignés du pays, sinon de toute la sous-région d’autant plus craint qu’il est du genre peu loquace. C’est donc ce ’’sécurocrate’’ qui après avoir longuement et loyalement servi son mentor Blaise qu’il a d’ailleurs accompagné dans son exil ivoirien, est revenu, croyait-t-on, pour se mettre au service de son peuple. Il forçait quelque part l’admiration d’autant plus qu’il restait stoïque dans sa bulle de mystère. Très au fait des secrets d’Etat et de la République, doté d’un impressionnant carnet d’adresses, il était au cœur d’un réseau d’informateurs dont les ramifications s’étendaient à la nébuleuse djihadiste qui écume le Sahel. Avec un tel background, il n’aurait pas eu à pointer à Pôle emploi tant de nombreux pays se seraient arraché cette ’’boîte noire’’ du régime Compaoré.
Après l’insurrection, on pensait donc qu’il s’était fait une raison en faisant le deuil du régime défunt puisqu’il était parvenu à conquérir le cœur de Michel Kafando. Mais à la surprise générale, voilà le général qui sort du bois le mercredi 16 septembre 2015 en faisant prendre le président de la Transition et tous les membres de son gouvernement en otage. Une séquestration en masse qui va se solder le lendemain par un pronunciamiento qualifié de coup d’État le plus bête du monde. Nous étions, rappelons-le, à quatre jours de la présidentielle et des législatives couplées du 11 octobre 2015.
Qui l’eut crût ? La suite, on ne la connaît que trop :
- Résistance citoyenne ;
- débarquement dans la capitale des forces loyalistes positionnées à l’intérieur du pays ;
- désapprobation de la communauté internationale ;
- remise en selle de la transition.
La généralissime forfaiture ayant fait long feu, celui qui fut pendant longtemps le tout-puissant patron du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) prit la direction de la Maison d’arrêt et de correction de l’armée (MACA), croulant sous mille et un chefs d’accusation et rattrapé bientôt par le fantôme de Thomas Sankara.
S’il y a quelque chose qu’il convient aussi de relever, c’est bien ceci : les Burkinabè n’imaginent pas tout le bien que Diendéré leur a fait, car pour être insensé, son putsch a permis au peuple insurgé de « terminer le boulot », comme on le dit ; c’est-à-dire de tailler en pièces le fameux RSP tant redouté dans ce pays. On se rappelle la terreur que les « Diendéré boys » ont semée en seulement quelque une semaine de prise du pouvoir. Plongeant de nouveau de nombreuses familles dans le deuil.
En permettant de régler une bonne fois pour toutes l’équation du RSP dont on ne savait pas par quel bout la prendre, Diendéré et ses hommes ont précipité la disparition de ce corps d’élite créé, suréquipé et choyé pour être au service d’un seul homme.
Depuis quelque trois mois, le putschiste infortuné médite sur son sort à la MACA en compagnie d’une poignée d’hommes de main et de complices.
Avec tout ce qui précède, on se rend compte que Gilbert Diendéré n’a pas usurpé le titre d’homme de l’année, comme il a tenté d’usurper le pouvoir d’Etat.
(Sources : Wikipédia).
Justin Daboné