Le nouveau président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, a été officiellement investi hier mardi 29 novembre 2015 au cours d’une émouvante cérémonie au palais des Sports de Ouaga 2 000. Pour la première fois de l’histoire de notre pays, un civil a remis le pouvoir à un civil. Comme s’il mesurait l’immense espoir ainsi placé en lui, le nouveau maître de Kosyam est apparu le visage tendu, avant de se montrer plus à l’aise pour recevoir les félicitations de ses illustres et innombrables invités.
Un morceau de tissu arraché, là, juste derrière le siège réservé au président du Conseil constitutionnel. Une imperceptible entaille dans le gigantesque drap vert et rouge tiré aux quatre étoiles jaunes du Faso, comme un trou grignoté par une souris un peu trop curieuse pour ne pas rater une miette de la cérémonie. C’est par cette fenêtre avec vue imprenable sur l’Histoire que nous vous invitons, cher lecteur, à vivre l’investiture du 9e président du Burkina Faso indépendant.
Le premier à s’approcher de notre cache est un jeune homme au costume gris et aux lunettes parfaitement ajustés. « Mesdames et messieurs, merci de laisser l’espace central libre pour que nos invités puissent circuler », exhorte l’un des nombreux responsables du protocole. L’office n’est pas encore prêt. Pendant de longues minutes, il faut meubler, au sens propre comme au figuré ; on installe les dernières chaises pour les convives supplémentaires, on alterne prestations artistiques en direct et diffusion des derniers tubes à la mode.
Petit à petit, le palais des Sports se remplit et se pare d’orange, la couleur du MPP et des gilets fluo des photographes accrédités. Les personnalités arrivent au compte-gouttes : ambassadeurs, chefs coutumiers et religieux, candidats malheureux à l’élection présidentielle, le Premier ministre Yacouba Isaac Zida, à peine reconnaissable dans son tout nouveau costume gris de général de division, le président du Conseil national de la Transition (CNT), boubou blanc plus immaculé que jamais… quand, soudain, les neuf chefs d’Etat « amis du Burkina Faso » sont annoncés et la salle se met à briller de mille flashs.
« Le triomphe de l’alternance »
Cinq minutes plus tard, le président Kafando fait son entrée dans l’assourdissante arène, les bras levés tel un gladiateur qui vient de vaincre un coup d’Etat et toutes les turpitudes d’une année de Transition. A peine le temps pour lui de s’asseoir sur le trône qui lui a été réservé devant la tribune présidentielle qu’il est invité à s’avancer sur le célèbre tapis rouge pour prononcer son allocution depuis notre perchoir.
« Pour la troisième fois, sur les neuf chefs d’Etat de son histoire, le Burkina Faso va avoir un président civil », s’enthousiasme l’ex-diplomate, qui a lui-même accédé à la magistrature suprême le 21 novembre 2014. « Pour la première fois, un président civil va remettre le pouvoir à un président civil. C’est le triomphe de l’alternance que nous avons tant attendue. C’est le triomphe de la démocratie et de la liberté! », s’exclame-t-il. Avant de réassurer le nouvel élu de son entière disponibilité à l’accompagner « s’il en exprime le besoin », et de regagner son siège sous les acclamations du public.
Après un léger intermède pour réarranger le décor, une vive clameur émerge des gradins situés derrière nous. « Le Conseil constitutionnel ! », signale un individu sur notre droite, vêtu de la longue toge noire rehaussée de la petite collerette blanche d’avocat. Les neuf sages et leur chef soulèvent alors un pan de notre devanture et prennent place à quelques mètres, derrière leur massif bureau tout de rouge drapé. Le président Kassoum Kambou déclare la séance solennellement ouverte, et demande à deux de ses assistants d’aller chercher le nouveau président du Faso.
« Vous cessez désormais d’être le chef d’un parti »
Les deux juges constitutionnels essaient de se frayer un passage parmi les journalistes indisciplinés et les invités qui ont investi les allées, avant de disparaître derrière les hommes de tenue qui gardent l’entrée. Où se cache l’élu que tout un peuple attend? Les murmures parcourent les rangs, quand enfin il apparaît, costume bleu nuit sur chemise et cravate claires, écharpe aux couleurs du Faso en bandoulière. « Prési, prési, prési ! », scande la foule, qui l’accompagne jusqu’à son nouveau fauteuil de blanc et d’or.
Le visage impassible, il écoute la lecture du décret officiel validant son élection. Pas même un petit rictus de triomphe lorsque le secrétaire général annonce son score. Roch fait bloc, tournant simplement la tête pour voir d’où proviennent les youyous les plus appuyés. « J’invite Monsieur Roch Marc Christian Kaboré à la barre ». Alors seulement ses traits commencent à se dérider. Il se lève et répète le serment que vient de lui lire le président Kambou, contraint de s’y reprendre à deux fois tant les acclamations sont vives.
Ainsi adoubé, le chevalier Roch se rassoit dans un soupir de soulagement. « Vous cessez désormais d’être le chef d’un parti pour être le président de tous les Burkinabè pour les cinq années à venir », déclare solennellement le chef des sages. Message reçu. Le nouveau maître de Kosyam, après avoir enfilé le collier de Grand Maître des Ordres burkinabè et savouré son premier Ditanyé en tant que chef de l’Etat, prononce pendant une vingtaine de minutes un discours aux accents rassembleurs (voir p.).
Les convives défilent alors sur scène pour le féliciter, des chefs d’Etat aux ambassadeurs en passant par les représentants des organisations internationales et les principaux responsables de la Transition. La file est encore longue quand le directeur du protocole interrompt la séance pour enjoindre aux hôtes de regagner la salle des banquets. Roch Marc Christian Kaboré s’offre un dernier bain de foule pour sortir du palais des Sports. Il y était entré simple citoyen, il en est ressorti président. La salle se vide, les portes s’ouvrent. Et notre ouverture magique se referme.
Thibault Bluy