Le bradage des terres est une réalité au Burkina Faso. La Sissili et le Ziro sont les provinces où ce phénomène est le plus préoccupant. Pour cerner les enjeux du phénomène, la Coalition des organisations de la société civile pour le développement durable et équitable (CODDE) a réalisé dans les deux localités précitées une étude publiée le samedi 1er juin, lors d’un atelier organisé à Bieha sur le thème : "Journée d’interpellation citoyenne pour le développement local durable de Bieha". C’était en présence du président de la CODDE, Jean-Marie Somda.
Des centaines d’hectares de forêt dont un seul individu fait sa propriété privée, des dizaines d’hectares de forêt détruite avec de grosses machines : c’est le triste constat qu’on fait dans les provinces du Ziro et de la Sissili. "Ils viennent terrasser tous les arbres. Le comble, c’est qu’ils n’y sèment rien. Chaque année, les mêmes personnes qui détruisent cette forêt nous pompent l’air avec les campagnes de reboisement. Je suis écœuré", nous confiait un enseignant originaire de Bieha. Des noms de personnalités du régime en place ont été cités. On nous a parlé d’un gourou qui possède à lui seul 300 hectares de terre. Des familles de migrants, résidant dans la localité depuis des dizaines d’années, se retrouvent sans terre pour la petite agriculture familiale qu’elles pratiquaient. Dans le cadre de suivi des politiques agricoles et la promotion d’une souveraineté alimentaire dans notre pays, la CODDE, avec d’autres organisations de la société civile dont la Fédération Nian Zwè (FNZ), a mis en place une plate-forme dénommée Plate-forme souveraine alimentaire (PF-SA). Sur cette lancée, la CODDE et ses partenaires ont réalisé une étude sur l’état des lieux de l’occupation et de la gestion des terres dans la Sissili (cas des communes de Bieha et Niahouri).
Selon ladite étude, le mode d’acquisition des terrains a évolué. Les jeunes et l’argent ont pris une place importante. Les superficies acquises vont de cinq à des centaines d’hectares. Les demandeurs, familles migrantes et les agro-businessmen, avancent l’exploitation agricole comme argument pour accaparer ces terres. Le défrichement et le dessouchage anarchiques, la destruction de la faune sauvage, l’occupation des espaces classés, l’utilisation de pesticides sans contrôle sont les impacts négatifs constatés sur l’environnemental.
Au plan socioculturel, l’étude répertorie les risques de conflits dans la zone, les pressions de toutes sortes sur les autorités coutumières et l’exode des jeunes. A cela s’ajoutent l’accroissement des conflits éleveurs/agriculteurs, la disparition de la petite exploitation agricole familiale, le sentiment de colonisation de la zone, la tension de conflit frontalier... Sur le plan économique, la CODDE retient l’aggravation de la pauvreté et la baisse de la production céréalière.
Nous sommes assis sur une poudrière
En termes de solution, l’étude appelle les populations autochtones à en prendre conscience, l’Etat à mettre fin à cette pratique et à clarifier les chartes forestières et l’accélération de l'adoption d’un texte pour faciliter la gestion du domaine foncier. Des axes de plaidoyer ont été ébauchés par le rapport. Les échanges ont laissé entrevoir un sentiment d’impuissance et de révolte face à la "force de frappe" de ces agro-businessmen qui se trouvent être souvent des sommités de l’Etat. "Nous sommes assis sur une poudrière. Tout le monde le sait. Le jour où ça explosera, personne ne sera épargnée. J’ai peur pour l’avenir de notre province", prévient un responsable d’association. "Profitant de l’ignorance des indigènes, ils ont partagé notre province et sécurisé leurs superficies avec des titres fonciers. On se réveillera un jour et on se rendra compte que le Burkina Faso ne nous appartient plus", s’alarme un autre. Pour le président de la CODDE, Jean-Marie Somda, ce rapport permet de conscientiser les populations parfois associées à cette fraude. "La terre est devenue une valeur refuge, le nouvel or. Ils défrichent des hectares de terre pour revendre juste le bois", soutient Jean-Marie Somda.
Le maire de Bieha, Oumarou Nacro, a promis que son conseil municipal va s’approprier les travaux de l’étude. Les participants ont souhaité que cette étude soit présentée dans toutes les communes de la Sissili et du Ziro. Une communication faite par Sylvestre Ouédraogo de l’association Yam-Pukri sur l’utilisation des TIC pour la promotion de la démocratie est venue enrichir la journée.