Laurent Gbagbo reste un dur à cuire. Jusque dans les geôles de la Cour pénale internationale, il continue de résister et de mettre à mal les accusations dont il est l’objet.
L’ex-président ivoirien vient en effet de marquer un point, à la fois dans son dossier judiciaire, mais aussi dans son bras de fer à distance avec Alassane Ouattara. En déclarant ne pas avoir suffisamment de preuves pour entamer un éventuel procès contre Gbagbo, la Cour met dans l’embarras le procureur, Fatou Bensouda. Certes, le dossier Gbagbo a été ficelé par son prédécesseur Luis Moreno Ocampo, mais la Gambienne a pris les affaires en main depuis sa nomination. Elle est donc la dépositaire du dossier Gbagbo. Elle doit se démener pour trouver les fameuses preuves supplémentaires à charge, d’ici le 15 novembre.
Ce nouveau contretemps est un revers pour le parquet, dont le travail a été jugé insuffisant.
Il met à nu une réalité : le transfèrement de Gbagbo à La Haye s’est fait dans la précipitation. Peut-on dès lors accuser la CPI de collusion avec le pouvoir de Alassane Ouattara pour éloigner au plus vite un adversaire redoutable ? Les partisans de Gbagbo ne manqueront pas de le relever, eux qui vouent aux gémonies cette CPI. Paradoxalement, par sa décision, la CPI affiche son impartialité dans ce nouvel épisode du feuilleton judiciaire sur la crise post-électorale ivoirienne. Elle montre aux yeux du monde et surtout de ses détracteurs que seul le droit est de règle une fois les barrières de La Haye franchies. Ici, les travers des justices corrompues, à l’image de celles existant en Afrique, n’ont pas droit de cité. La technique est en effet bien connue sur le continent noir : la justice est très souvent instrumentalisée pour réduire au silence les adversaires politiques. Si tel était le dessein inavoué de Alassane Ouattara, c’est qu’il n’a rien compris à la CPI. Mais si le transfèrement de Gbagbo obéit effectivement à une nécessité judiciaire, alors il lui faudra faire valoir les preuves de ses accusations. Une tâche sans doute complexe, à l’image de la crise ivoirienne elle-même. Mais, il faudra bien au pouvoir et au procureur de la CPI, convaincre les juges, d’ici le 15 novembre. S’ils n’y arrivent pas, il faudra envisager, ne serait-ce que la liberté provisoire pour l’ex-président ivoirien.
Au-delà des déboires judiciaires de Gbagbo, une certitude demeure : la vérité et la justice doivent se faire sur le pogrom infligé au peuple ivoirien après la présidentielle contestée de 2010. Ce sont, en plus du pardon, les piliers de la catharsis devant mener à la réconciliation nationale. Tout porte à croire cependant que la voie choisie par le gouvernement de Alassane Ouattara n’a pas encore porté les fruits escomptés. La ‘’déportation’’ de Gbagbo et l’emprisonnement d’autres caciques du régime déchu restent en travers de la gorge de bien des Ivoiriens. Malgré tout le tapage autour de la réconciliation nationale, la fracture demeure béante entre partisans des deux plus farouches adversaires politiques que la Côte d’Ivoire ait connus : Gbagbo et Ouattara. Cela se traduit sur le terrain par les attaques armées visant à déstabiliser le pouvoir en place. Sur le plan politique, le parti de Gbagbo continue de vivre en marge des institutions, en refusant de participer aux scrutins. Il continue de s’inscrire donc dans une logique de déni du pouvoir de Alassane Ouattara. La Côte d’Ivoire ne peut pas se permettre cet antagonisme persistant entre ses populations, au risque de voir ses efforts de reconstruction nationale anéantis. Alassane Ouattara ne peut pas faire comme si de rien n’était, comme s’il était à la tête d’un pays sans problème de cohésion nationale. Certes, l’attitude radicale, voire extrémiste, de certains « frontistes » est aussi source de blocage. Ils sont peu nombreux, les partisans de Gbagbo à avoir admis la défaite de leur champion. Pire, ils sont encore plus rares ceux qui se sont pris de compassion pour les milliers de victimes de la crise post-électorale. C’est à peine s’ils ne versent pas dans le négationnisme en refusant d’assumer leur part de responsabilité dans l’hécatombe ivoirienne.
Il faut leur reconnaître cependant de profiter d’une situation créée par le pouvoir lui-même, celle de ne voir le mal que chez les autres. La faiblesse de la démarche de réconciliation promue par Alassane Ouattara, c’est d’occulter les dérives de son propre camp. En dehors de l’arrestation récente du chef milicien Amadé Oueremi, du reste un second couteau, personne d’autre n’a été inquiété par la justice ivoirienne. Dans de telles conditions, il ne faut pas s’attendre à un geste de bonne volonté des pro-Gbagbo .