Elévation du Premier ministre Zida au grade de général, « cadeaux » de fin de Transition, honoraires présumés exorbitants… Dans ce grand entretien qu’il nous a accordé jeudi 17 décembre 2015 à son cabinet, Maître Guy Hervé Kam, avocat à la Cour et porte-parole du mouvement « Le Balai citoyen », n’occulte aucune polémique et revient sereinement sur le scrutin historique du 29 novembre, avant de tirer les enseignements de la Transition et de dévoiler ses projets pour renforcer la démocratie au Burkina.
On n’a pas beaucoup entendu le Balai citoyen au cours de la campagne. Cette discrétion était-elle fortuite ?
Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’on n’a pas trop entendu le Balai citoyen pendant la campagne. Nous étions présents à travers notre opération « Je vote et je reste », qui demandait aux électeurs de ne pas rentrer chez eux une fois leur devoir civique accompli. Tous les Burkinabè, et pas seulement les militants du Balai, étaient invités non seulement à assister au dépouillement, mais aussi à photographier et à publier les résultats avec leur téléphone, afin qu’il n’y ait aucune fraude ni contestation infondée. Les rapports qui nous sont revenus des 5 000 observateurs de la CODEL (Convention des organisations de la société civile pour l’observation domestique des élections) présents sur le terrain ont montré une importante mobilisation. Modestement, je pense que nous avons contribué au bon déroulé du scrutin, malgré les quelques problèmes logistiques que nous avons constatés.
Quelle était votre ligne de conduite pour ces élections ?
Nous avons considéré que pour ces élections de sortie de crise, il était important que chacun reste dans son rôle. En tant qu’Organisation de la société civile (OSC), nous n’avons pas voulu soutenir ni nous opposer à un candidat. Nous avons plutôt concentré nos efforts sur l’intégrité du scrutin et veillé à ce que tous les candidats suivent les préoccupations des Burkinabè, exprimées à travers les résultats de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes (CRNR). Nous avons voulu laisser les candidats en contact avec le peuple, en organisant des débats citoyens pour qu’ils puissent échanger avec lui. De ce point de vue-là, nous avons été très présents. Trop présents même pour certains, qui craignaient effectivement que notre initiative ne fasse le jeu d’un parti au détriment d’un autre.
Le scrutin historique du 29 novembre a officiellement scellé la fin de la Transition. Aujourd’hui, quel bilan tirez-vous des 13 derniers mois écoulés ?
Une chose fondamentale avait été demandée aux acteurs de la Transition : faire les réformes nécessaires pour mettre le pays sur le chemin d’une vraie démocratie. De ce point de vue-là, de nombreux chantiers ont été lancés. C’était vraiment le plus important de les mettre en branle. Les gens peuvent ne pas être satisfaits aujourd’hui, mais les effets bénéfiques se feront ressentir à long terme.
N’y a-t-il tout de même pas eu quelques couacs ?
Oui, il faut reconnaître qu’il y a eu quelques tâtonnements. Mais y a-t-il une œuvre humaine parfaite ? Personnellement, je ne jette la première pierre ni sur le gouvernement, ni sur le Conseil national de la Transition, pour la simple et bonne raison que ce sont des gens qui sont venus de divers horizons, sans un programme politique. Il a fallu que tout le monde se batte pour mettre les réformes sur les rails, mais en lieu et place, qu’avons-nous tous fait pour ou contre la Transition ? On a vu les travailleurs sortir avec les bulletins de salaire pour réclamer des augmentations, d’autres exigeant que telle ou telle loi soit votée tout de suite. Il y a eu beaucoup de troubles sociaux qui ont fait que la Transition n’a pu véritablement commencer à travailler qu’en mars-avril. Chacun voulait que ses difficultés soient réglées pendant l’année, alors qu’il fallait plutôt s’attaquer aux changements structurels pour garantir à tous les Burkinabè une égalité de chances. Si tout le monde veut qu’on solutionne ses problèmes en un an, il y a de fortes chances que finalement on ne solutionne les problèmes de personne. Ce que je note, c’est qu’une des faiblesses de la Transition a été l’égoïsme individuel des Burkinabè.
Selon vous, l’esprit de l’insurrection a donc été respecté…
Il a été respecté, puisque aujourd’hui les Burkinabè prennent en charge la question de la vie publique. Pendant toute la Transition, les populations sont restées aux aguets et ont critiqué les décisions qui auraient pu mettre à mal l’esprit de l’insurrection, contraignant souvent les autorités à revenir sur leurs propositions. C’est notamment ce qui a permis au CNT de faire passer près de 80 mesures que nous estimons satisfaisante exception faite des lois sur la presse et le statut des militaires, qui ont donné lieu à quelques discussions. De cette vigilance permanente naîtront le changement et des choix de gouvernance vraiment qualitatifs.
Quel rôle a été celui du Balai citoyen durant ces 13 mois de Transition ?
Dès le début, nous avions dit que nous allions veiller au grain, jouer un rôle de sentinelle. Je pense que c’est ce que nous avons fait à tous les niveaux, que ce soit sur la question des émoluments des députés du CNT, de l’action du gouvernement ou de la résistance contre le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) en février, en avril, en juin, où le Balai était à l’avant-garde aux côtés des autres OSC.
« Personne n’a élevé la voix lorsque Djibril Bassolet a été nommé général pendant sa période de disponibilité »
Revenons un peu sur les débuts de la Transition. Pour certains, Yacouba Isaac Zida, que peu de gens connaissaient avant son apparition à l’état-major le 31 octobre 2014, est un peu votre création. Vous feriez même partie de son « shadow cabinet » (gouvernement de l’ombre en français, ndlr). Quels rapports entretenez-vous réellement avec le Premier ministre?
Nous l’avons dit, et je répète ici que, comme la plupart de nos camarades, je n’ai connu Zida que le 31 octobre 2014. C’était d’ailleurs peut-être mieux ainsi, parce que nous aurions sûrement été plus réticents si nous avions su qu’il était du RSP, et il n’aurait pas pu jouer le rôle qu’il a joué. La seule vérité, c’est que le chef d’Etat-major général des armées de l’époque, le général Nabéré Honoré Traoré, nous a proposé quelqu’un de consensuel pour représenter l’armée et porter sa voix à la population. On nous a demandé de l’accompagner, et nous l’avons accompagné pour qu’il parle au peuple insurgé. Puis l’histoire s’est accélérée et il a pris les rênes du pouvoir. Une fois aux affaires, il aurait pu choisir de rester avec ses frères d’armes du RSP et ses anciens proches du CDP, mais il a décidé de se ranger du côté du peuple et c’est une chance. Concernant cette histoire de « shadow cabinet », c’est archi-faux. Nous avions dit que nous ne voulions pas participer au gouvernement. Ce n’était pas pour après faire partie d’un quelconque « shadow cabinet ».
On vous sent néanmoins proche du Premier ministre. Combien de fois vous voyez-vous par semaine ?
Je ne saurais vous dire combien de fois nous nous sommes entretenus. Je l’ai vu souvent avec le Balai comme à titre personnel, pour lui dire ce que je pensais de ses décisions lorsque des problèmes se sont posés. C’est ça aussi, notre rôle de sentinelle ! Il s’est trouvé un à deux mois sans que l’on se voie, mais depuis le coup d’Etat, nous nous sommes rencontrés très assidûment, puisque je suis son conseil dans l’affaire du putsch manqué. Je suis également l’avocat des deux autres ministres retenus en otage, René Bagoro et Augustin Loada.
Depuis quelques semaines, on a l’impression que les autorités de la Transition veulent « s’auto-cadeauter » avant de partir. Quelle a été votre réaction par exemple à la promotion du lieutenant-colonel Zida au grade de général de division, pour ne pas dire de la division, critiquée même par le chef d’état-major général des armées ?
Je crois que la Transition a aussi engendré la facilité de la critique. Djibril Bassolet a été nommé général pendant sa période de disponibilité, et personne, personne au Burkina, n’a élevé la voix pour s’en offusquer. Le lieutenant-colonel Zida est désigné par l’armée pour conduire la Transition ; toute l’armée lui fait allégeance, il rend le pouvoir au président Kafando, devient ministre de la Défense et Premier ministre, risque sa vie plusieurs fois pour mener la barque de la Transition à bon port, c’est-à-dire aux élections crédibles et transparentes du 29 novembre 2015. Dans ces conditions, est-ce que c’est usurpé de l’élever au grade de général? Chacun peut faire son commentaire mais pour moi, franchement, ce n’est pas volé.
Sauter quatre grades d’un coup, c’est tout de même un peu gros…
Ce que je note, c’est qu’il y a une irresponsabilité de beaucoup de gens sur la chaîne. La loi qui a permis cela a été proposée par l’armée elle-même. Qu’elle dise aujourd’hui avoir été instrumentalisée, j’en ai la chair de poule. Je me rappelle que nous avions fait des observations sur ce texte lorsqu’il était à l’étude au CNT. La hiérarchie militaire avait été reçue et n’avait pas bronché. Ce n’est que maintenant que les langues se délient, alors que le Président Michel Kafando n’a fait qu’appliquer ce que la loi lui permet.
Que pensez-vous des augmentations de salaires (ou relectures de contrat) que se sont accordés certains membres du gouvernement avant de quitter leurs fonctions ?
Je ne sais pas si ce qui se dit dans la presse est vrai, mais quand j’ai lu ça, moi-même j’étais un peu choqué. J’ai alors appelé certains des premiers concernés, c’est-à-dire les ministres non-fonctionnaires, qui m’ont expliqué que leur rémunération avait été alignée sur celle des autres membres du gouvernement. Ce qui n’était pas normal. Ce qui s’est donc passé, c’est que leur situation a juste été régularisée en leur permettant de négocier leur salaire. Je ne connais ni les montants ni le nombre de ministres concernés, mais pour moi ce n’est pas possible de leur demander de travailler de leur poche. Il faut être sérieux. Nous avons un confrère au gouvernement (Me Salifou Dembélé, ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi), et quand on regarde la rémunération ministérielle, aucun avocat ne laisserait son cabinet si c’est cette somme qu’il doit percevoir.
Sur une autre polémique, la communauté Facebook Balai citoyen a cependant mis en ligne un texte pour critiquer les nominations de plusieurs ministres à des postes d’ambassadeurs…
Je ne peux me prononcer que sur le principe, parce qu’il faudrait sonder les reins et le coeur du Président pour savoir s’il a procédé à ces nominations de bonne foi, ou simplement pour récompenser un service rendu. Sur le principe, ça ne pose aucun problème de gouvernance. Maintenant, il faut reconnaître que ça peut paraître gênant que des ambassadeurs, qui sont censés représenter le chef de l’Etat, soit nommés juste avant que le nouveau président ne prenne ses fonctions. Bien sûr que Michel Kafando avait le pouvoir de le faire, mais à sa place, je ne l’aurais pas fait. Et à la place des ministres en question, je n’aurais pas accepté.
Vous-même, comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que vous alliez être décoré le 11 décembre, ainsi que les deux membres-fondateurs du Balai citoyen, Sams’K le Jah et Smockey ?
J’avoue que lorsque le chef de l’Etat nous a proposés à la décoration, nous avons eu une discussion sérieuse pour savoir s’il fallait accepter ou pas. D’un côté, nous pensions que nous n’avions fait que notre devoir et que ça ne méritait aucune distinction particulière. Mais d’un autre côté, nous nous sommes finalement dit qu’à travers nos personnes, c’est l’œuvre de toute la jeunesse et du peuple burkinabè qui serait magnifiée et nous avons accepté.
Il se murmure que le Premier ministre a alloué un milliard de francs CFA aux Organisations de la société civile. Qu’en est-il au juste, et quelle fraction de cette cagnotte serait revenue à votre organisation ?
Ces murmures ne sont pas exacts, parce que ce que nous-mêmes nous avons entendu, ce n’est pas un milliard qui a été donné aux OSC, mais 1 milliard 700 millions rien qu’au Balai citoyen ! Nous ne savons pas ce que les autres ont reçu, mais quand j’ai appris ça, je me suis demandé, tout simplement, sous quelle forme le montant avait été versé. Par virement ? En liquidité ? Quelqu’un m’a dit que c’était bien en espèces. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire remarquer que 1,7 milliard, ça représentait 200 kg ! On en rigole, mais avec le recul, je me dis que ça faisait partie de cette stratégie de manipulation visant à décrédibiliser les voix qui défendaient la Transition. A un moment donné, certaines personnes ont voulu nous mettre des bâtons dans les roues ; créer un divorce entre la population et nous. C’est toute une mise en scène qui a conduit au coup d’Etat.
Votre association n’a-t-elle donc rien touché ?
Rien du tout, car l’intégrité pour nous n’est pas une simple proclamation, c’est une valeur partagée. Personnellement, je n’en ai jamais fait un problème car ma conviction est que la vérité finit toujours par rattraper et vaincre le mensonge. Tenez, le Balai citoyen a organisé plus d’activités avant l’insurrection qu’après. A l’époque, personne ne demandait où on trouvait l’argent. On fait maintenant moins d’événements, et il se dit qu’on a reçu 1,7 milliard, alors qu’il n’y a jamais eu le moindre soupçon de preuve en ce sens. Au-delà de ces délations, ce qui me déçoit par-dessus tout dans cette affaire, c’est que la plupart des gens qui en parlent ne cherchent pas à nous combattre parce que nous sommes des vendus, des traîtres. Non, au contraire, ils nous demandent de partager avec eux ! Ça nous montre bien toute l’ampleur du combat qu’il reste à mener, afin que les mentalités changent. Il faut que les gens répugnent ceux qui prennent ainsi l’argent sans raison.
Dame rumeur dit également que vous auriez touché des honoraires astronomiques pour défendre le nouveau code électoral devant la Cour de justice de la CEDEAO. Pouvez-vous nous dire exactement combien vous avez perçu ?
En tant qu’avocat, j’ai un devoir de confidentialité dans chaque contrat. Mais les chiffres avancés ne sont pas secrets et vous pourrez les trouver au niveau du Trésor. Bien sûr, nous avons demandé des honoraires, mais ils n’ont aucune commune mesure avec ce que nous réclamons à nos clients ordinaires. C’était avant tout un acte d’engagement, et nous n’avons demandé qu’un montant dérisoire. Je n’ai donc pas compris pourquoi il s’écrivait dans les journaux, y compris le vôtre, qu’on a perçu des sommes exorbitantes, qu’on aurait voyagé en classe affaires, qu’on a dormi dans des grands hôtels, etc… alors qu’au moment où je vous parle, nous n’avons même pas encore été payés. Nous avons travaillé avec des cabinets d’avocats au Nigéria, avec des consultants spécialisés en France, et ces personnes-là réclament toujours leur argent (il en veut pour preuves les derniers courriels échangés, qu’il nous montrera plus tard sur son téléphone, ndlr). Je me suis alors demandé comment quelqu’un pouvait mentir autant, parce que ceux qui connaissent Maître Kam savent que même quand je vais voir ma mère à Bobo, je voyage en classe affaires. Mais si je prends un vol affaires pour aller défendre le gouvernement, là ça devient un problème national. Je pense finalement que c’était à dessein et que cela faisait aussi partie de la stratégie de déstabilisation de la Transition.
En revanche, en tant que juriste, vous avez dû apprécier l’exhumation des dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo, enterrés sous le régime de Blaise…
Il y a effectivement eu des avancées significatives dans ces deux affaires sensibles. Beaucoup de gens semblent encore insatisfaits, mais personnellement j’avais déclaré au début de la Transition que si ces dossiers étaient jugés pendant l’année, ce seraient de mauvais procès. Il fallait les ressortir du placard et les instruire. Or, une instruction judiciaire sérieuse prend du temps. Je considère que beaucoup d’éléments sont allés dans ce sens, et qu’il ne faudrait pas maintenant mettre le frein à main.
Dans ces deux cas d’espèce, n’avez-vous pas constaté une forme d’immixtion du pouvoir exécutif dans les prérogatives de la justice, alors que tout le monde crie à l’indépendance de la magistrature?
Vous savez, c’est toujours la question. Les populations elles-mêmes mettent généralement la pression sur le pouvoir politique pour qu’il interfère dans le judiciaire et après elles crient à l’immixtion. Mais quand je regarde le procès Norbert Zongo, en tant que juriste, je n’ai aucun élément pour dire qu’il y a eu immixtion. Certes, les réouvertures ont été décidées par l’exécutif, mais il en avait le droit.
Dans un autre dossier, celui de l’enquête sur le coup d’Etat, pensez-vous que le Premier ministre a été bien inspiré de s’exprimer sur les fameuses écoutes Soro-Bassolet, alors que l’affaire est toujours entre les mains du juge d’instruction militaire ?
Il y a quand même beaucoup de choses étonnantes qui se passent dans cette affaire. Au-delà du terrain judiciaire, on a l’impression que la défense joue également sur la place publique, comme souvent lorsque les arguments ne sont pas très bons en matière purement juridique. J’ai écouté les propos du Premier ministre. Tout d’abord, je note qu’il est chef du gouvernement et lui-même victime de la tentative de coup d’Etat. Ensuite, on lui demande simplement s’il pense que les enregistrements sont authentiques, et il confirme. Il ne faut pas exagérer : il donne son sentiment, comme chacun de nous peut le faire. Maintenant, si les avocats de Djibril Bassolet pensent que ce n’est pas le cas, ils doivent le démontrer par des voies de droit, car la voie de la presse n’est d’aucun secours dans une procédure judiciaire.
« Une marche doit faire changer une loi »
Le Balai citoyen avait été créé en grande partie pour empêcher la modification de l’article 37. Ce but aujourd’hui atteint, quelle est désormais votre mission ?
En réalité, nous avions trois objectifs : rendre effective l’implication consciente et responsable des populations dans la gestion des affaires publiques ; rendre effective la redevabilité des gouvernants ; et rendre effectif le principe de l’alternance. Compte-tenu du contexte, ce dernier objectif a pris le dessus sur les deux autres. Maintenant qu’il est accompli, nous nous sommes déjà organisés pour que les populations, à tous les niveaux, s’intéressent à la gestion du bien public et exigent que le pouvoir rende des comptes. Ce sont, en réalité, les deux chantiers les plus importants qui nous attendent aujourd’hui.
Dans les cinq ans à venir, quels moyens comptez-vous mettre en place pour jouer votre rôle de contre-pouvoir ?
Depuis bien avant la fin de la Transition, nous travaillons sur notre plan d’action des cinq prochaines années. Nous nous organisons pour re-mobiliser nos cellules dans tous les quartiers du Burkina, et ainsi former des points focaux qui seront nos relais. Pour nous, il n’est plus question de fermer les yeux et de les rouvrir un jour pour voir qu’il y a danger. Tous les jours, il faut que tout ce que font les gouvernants soit su et surveillé, au niveau local comme national. Si cette conscience citoyenne existe, les risques de dérives seront amenuisés.
Par quels canaux la population peut-elle ensuite exprimer son mécontentement? On imagine mal qu’elle entre en insurrection à chaque fois qu’elle n’est pas d’accord…
Notre espoir le plus ardent est que le Burkina en ait définitivement fini avec les insurrections. Cela voudrait dire que les institutions démocratiques jouent désormais leurs rôles, et permettent d’éteindre les feux. C’est parce qu’elles n’ont pas fonctionné que le mouvement populaire d’octobre 2014 est survenu. Notre rôle, c’est de les faire marcher, et faire comprendre aux dirigeants vomis qu’ils ne peuvent plus les manipuler et se maintenir au pouvoir à l’insu du peuple. Nous disons aux électeurs que ce sont eux qui ont fait rois les députés, donc ce sont en réalité eux les rois. Ils doivent alors pouvoir s’exprimer par des manifestations populaires qui font réellement évoluer les positions. Le président Compaoré avait dit que ce n’est pas une marche qui va faire changer une loi. C’est cet état d’esprit-là qu’il faut changer. Une marche doit faire changer une loi. Et si ce n’est pas le cas, les élections doivent faire changer les personnes qui refusent de modifier la loi.
La CODEL dont vous êtes membres a également prévu de mettre en place un « présimètre ». En quoi cela va-t-il consister ?
Durant la campagne, nous avons essayé de recenser toutes les promesses des candidats, qu’elles soient formulées dans les programmes ou lors des meetings. Nous en avons fait une synthèse, que nous allons mettre à profit pour vérifier à chaque échéance si le parti élu a bel et bien tenu ses engagements. Par exemple, s’il a promis de construire une route l’an prochain, de réduire le chômage d’ici deux ans ou encore d’améliorer les infrastructures de santé dans les cinq prochaines années, nous allons contrôler si ces objectifs ont été atteints en temps voulu, et nous l’interpellerons si ce n’est pas le cas. En bonne démocratie, s’il s’avère que les annonces étaient fantaisistes, le peuple ne devrait pas renouveler sa confiance en 2020.
Sous prétexte de « conscience citoyenne » et de « devoir de vigilance », les Organisations de la société civile ont investi le champ politique et ne semblent pas prêtes à le quitter. Dans ces conditions, leur dénomination a-t-elle encore un sens?
Nous sommes toujours des Organisations de la société civile, pour la simple et bonne raison que, à l’inverse des partis politiques, notre objet n’est pas de conquérir ni d’exercer le pouvoir politique. Nous nous intéressons seulement, comme le veut l’étymologie du mot citoyen, au champs et aux questions politiques. C’est donc un faux débat, parce que s’intéresser pour une OSC à la modification de l’article 37, aux questions de gouvernance ou aux élections, ne fait pas de ces associations des partis politiques.
Le directeur de campagne du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), Salif Diallo, souhaite un gouvernement d’union nationale, intégrant notamment des représentants de la société civile. Le Balai citoyen serait-il prêt à y participer ?
Avant de se poser cette question, il faut déjà s’interroger sur la nécessité d’un gouvernement d’union nationale, après les élections légitimes que nous venons de connaître. Il peut certes arriver qu’en situation de crise, on mette en place un tel gouvernement pour satisfaire un programme déterminé, comme ça a été le cas avec la Transition. En revanche, dans une démocratie normale, le parti qui a remporté les élections gouverne, ceux qui ont perdu s’opposent, tandis que la société civile surveille. Elle soutient ou dénonce quand il le faut, mais elle doit toujours se tenir à l’écart. Pour gouverner, la formation victorieuse doit donc se constituer une majorité politique, et elle en a aujourd’hui les moyens.
Ne seriez-vous pas tout de même tenté par un poste de ministre de la Justice ?
Non, j’avoue qu’un tel poste ne m’a jamais tenté. Je me sens autant utile pour le pays dans ce que je fais maintenant que dans un gouvernement.
Entretien réalisé par
San Evariste Barro
Thibault Bluy