Ironie de l’Histoire ! C’est grâce à un des pires «ennemis de la Révolution» que le célèbre dossier Thomas Sankara a connu des avancées significatives.
Il a beau laisser transparaître, par opportunisme ou par conviction, sa fibre sankariste, le président de la Transition, Michel Kafando et, au-delà de sa personne, toute sa famille ont souffert le martyre et subi les foudres de la Révolution d’août quand la chape de plomb s’était abattue sur le Burkina Faso.
Contraint à un long exil, M’Ba Michel doit son retour au bercail et la réhabilitation de sa carrière à Blaise Compaoré, celui-là même qui a fait tomber celui qui ne voulait pas sentir «l’intellectuel petit bourgeois Michel Kafando», aujourd’hui épris de justice pour Thomas Sankara.
Il faut dire que M’Ba Michel ne s’est pas contenté de proclamer son sakarisme.
En effet, l’Histoire retiendra que c’est sous son magistère que l’affaire «Thomas Sankara», enterrée vingt-sept ans durant, a été exhumée et propulsée à un rythme digne d’une voiture lancée à une vitesse Turbo.
Retour sur les coups d’accélérateur donnés sous la présidence Kafando :
Premier acte : dans son discours d’investiture le vendredi 21 novembre 2014, le président de la Transition donnait le ton : «Au nom de la réconciliation nationale, j’ai aussi décidé, par le fait du prince, que les investigations pour identifier le corps du Président Thomas SANKARA ne seront plus assujetties à une décision de justice, mais seront du ressort du Gouvernement. D’ores et déjà, aujourd’hui même, cette autorisation est accordée». Une annonce qui avait choqué les puristes du droit qui voyaient là une grave immixtion de l’exécutif dans les affaires de la justice. N’empêche, un boulevard venait donc de s’ouvrir pour le plus emblématique des crimes de sang dans notre pays.
Deuxième acte : l’exhumation effective des corps présumés de Thomas Sankara ainsi que de ses douze compagnons d’infortune à des fins d’expertises médico-légales.
Troisième acte : l’inculpation du général Gilbert Diendéré pour «complicité» d’assassinat du héros de la Révolution d’août.
Quatrième acte : l’annonce hier lundi 21 décembre 2015 de l’émission, par la justice militaire, d’un mandat d’arrêt international contre l’ancien président Blaise Compaoré. Hasard de calendrier ou signe d’une obsession pour le symbolisme, le 21 décembre est la date anniversaire de la naissance du charismatique chef du CNR, et c’est encore à la date d’hier que les résultats des tests génétiques ont été rendus publics, lesquels concluent à des «ADN indétectables» (Lire page 21).
La délivrance de cette «notice rouge» contre Blaise Compaoré est de loin l’avancée la plus retentissante, même si par une sorte de cercles concentriques l’étau judiciaire se resserrait autour de l’exilé d’Abidjan. On n’avait pas besoin d’être dans le secret de l’instruction pour connaître la cible ultime des tirs de la justice militaire.
M’Ba Michel a fini donc sa part de boulot, et c’est avec le sentiment du travail accompli qu’il va quitter le palais de Kosyam le 29 décembre prochain.
Promesses judicaires tenues par les autorités de la Transition, en tout cas sur celui du dossier Sankara par ces profonds sillons qui viennent d’être tracés.
Au nouveau pouvoir désormais de les emprunter. Et c’est là que le bât peut blesser. Car s’il y a bien un Burkinabé qui se trouve être dans l’embarras suite à l’émission de ce mandat d’arrêt international, c’est bien le président élu, Roch Marc Christian Kaboré.
Si d’aventure, la chose ne poursuivait pas sa lancée, pour une raison ou une autre, on pourrait y voir de la mauvaise foi, quelque manœuvre dilatoire de la part de ceux qui «ont dîné avec le diable» et contribué à asseoir son pouvoir après les événements tragiques du 15 octobre. Certains d’entre eux n’ont-ils pas sillonné le monde à grands renforts de missions d’explications pour justifier l’assassinat de «Sankara le renégat», pour reprendre l’expression jadis en vogue ?
La gêne de Roch sera d’autant plus grande que son parti, le MPP, vient de contracter avec les sankaristes du l’UNIR/PS un mariage de raison pour assurer au parti au pouvoir une majorité confortable à l’Assemblée nationale. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la décision de la justice militaire «emprisonne» le futur hôte de Kosyam.
Mais il n’y a pas que Roch Marc Christian Kaboré qui sera embêté par ce mandat d’arrêt. S’il y a un autre chef d’Etat qui s’en trouve être pris à la gorge, c’est bien le président ivoirien, Alassane Ouattara. C’est bien lui qui a offert gîte et couvert à celui qui fut son mentor et a contribué à le faire roi. Un grand dilemme pour ADO donc, ainsi écartelé entre le sentiment, bien humain, de ne pas livrer un ami et allié de longue date, et la crainte de se mettre à dos un «pays frère».
Le célèbre «wanted» sera-t-il sacrifié sur l’autel des bonnes relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ou bénéficiera-t-il de la souveraine protection du locataire du palais de Cocody ?
La cérémonie d’investiture du 29 novembre apportera un début de réponse à la question.
En effet, parmi les chefs d’Etat annoncés pour l’événement, il y a Alassane Ouattara dont la venue avait même été confirmée par un communiqué du gouvernement. Mais avec ce qu’on sait désormais, «notre frère» Ouattara va-t-il être de la partie ?
Alain Saint Robespierre