Le président du Niger, Mahamadou Issoufou, est un homme d’Etat africain qui a montré, depuis son arrivée au pouvoir, qu’il est un homme réfléchi, mesuré et serein. Bref, il s’agit d’un homme qui ne nous a pas habitués jusque-là à des déclarations fracassantes. Or, il y a deux jours, il nous a tous surpris, en faisant une sortie peu diplomatique sur la situation sécuritaire chez son voisin libyen. Rendant hommage aux victimes des attentats djihadistes d’Agadez et d’Arlit, le président nigérien a laissé clairement entendre que tous les soucis sécuritaires de son pays venaient principalement de la Libye, un Etat instable, transformé, selon lui, en épicentre du djihadisme dans la bande sahélo-saharienne. Dans la même veine, il va plus loin en déclarant que les djihadistes qui ont endeuillé le Niger préparaient « parallèlement une autre attaque contre le Tchad », toujours à partir du sol libyen. Piquées au vif dans leur orgueil national, les autorités libyennes ont réagi, avec virulence, aux accusations du président Issoufou. Selon elles, leur pays n’est en aucun cas, « un foyer du terrorisme ». Entre Niamey et Tripoli, le torchon brûle sur fond de contentieux divers qui ne disent pas leur nom. La Libye ne cache pas son agacement et son impatience face à l’entêtement des autorités du Niger à ne pas lui livrer un des fils de l’ex-guide libyen, Mohammar Kadhafi.
Le président nigérien semble s’être laissé emporter par l’émotion, laquelle n’a aucune légitimité publique. Nous le comprenons parfaitement car, la douleur, le chagrin, la désolation qu’inspirent les attentats terroristes sont difficiles à convertir avec des mots justes. Mais avec de telles déclarations, on est en droit de se demander si le président Issoufou ne cherche pas à « minimiser » l’échec spectaculaire des forces de sécurité nigérienne et française, lesquelles ont été incapables de déjouer ces attaques djihadistes. Pourquoi ont-elles baissé la garde ?
Les Libyens ont raison de dire que leur pays ne peut être considéré comme l’unique champ de bataille et le seul enjeu de la guerre contre le djihadisme. Car, s’il existe une grande leçon à tirer de la crise malienne, c’est que le terrorisme djihadiste assaille tous les Etats de la planète, qu’il ignore les frontières et que, face à lui, toutes les approches dites nationales ont montré leurs limites. Face au djihadisme, les modèles sécuritaires et stratégiques des Etats africains postcoloniaux ont volé en éclats. Il faut tout repenser. En Libye, l’erreur stratégique fondamentale qui fut commise par l’OTAN, bras armé de l’Occident, c’est d’avoir sous-estimé la question djihadiste dans le processus dit révolutionnaire visant à renverser le régime Kadhafi. C’est cette erreur que paient actuellement tous les Etats sahélo-sahariens. Cela dit, ce qu’il y a de positif dans les déclarations peu diplomatiques de Issoufou, c’est qu’elles obligent la Libye à accentuer et à fortifier sa politique d’endiguement du djihadisme.
On ne peut le nier, à l’heure actuelle, le sol libyen est tout, sauf sécurisé. De vastes zones du pays, notamment la partie sud, échappent encore au contrôle sécuritaire des nouvelles autorités libyennes. Mais Issoufou ferait mieux de rechercher, avec ses voisins immédiats, puisqu’il ne peut défendre seul ses frontières, une coopération intelligente dans la lutte contre les groupes et mouvements djihadistes. Le Niger doit donc apprendre de ses échecs. Car, tout comme l’homme, un Etat qui perd la mémoire, ne perd pas seulement le passé de son peuple, il perd la temporalité tout entière. Face au djihadisme, il faut cesser de jouer aux annonceurs du pire en faisant confiance à la faculté humaine d’agir, pour dévier, une fois pour toutes, la trajectoire mortifère « naturelle ».
En définitive, si nos Etats semblent impuissants face au caractère inédit et imprévisible du terrorisme djihadiste, c’est que nos dirigeants commencent à se rendre compte, un peu tardivement, que, face à ce mal radical, nous pourrions bien tous nous noyer. Tellement le phénomène djihadiste est complexe et indéchiffrable. Ne restons donc pas attachés simplement à la valeur affective des mots. Restons collés au réel.