La Guinée, toujours dans la tourmente, compte ses morts. Selon des sources hospitalières, samedi dernier, l’on en dénombrait quinze, depuis les échauffourées commencé jeudi 23 mai 2013 entre les jeunes de l’opposition et la police. Pouvoir et opposants affirment brandir depuis lors le foulard blanc pour que les affrontements cessent, mais rien à faire : le sang appelle le sang.
Armes blanches et armes de poing sont les outils les plus usités dans cette furie meurtrière. Début avril tout semblait pourtant réuni pour faire taire les vieux démons, avec la décision de l’opposition d’annuler les manifestations qu’elle avait prévues. A l’époque, le porte-parole du gouvernement s’était même permis une comparaison avec le Vatican, espérant que très bientôt, sortirait de la cheminée de la Primature guinéenne «la fumée blanche de la réconciliation».
Et soudain, boum ! Est revenue en surface une grosse pomme de discorde, à savoir la date de la tenue des élections législatives, le 30 juin 2013, signée par décret présidentiel. Pour l’opposition, sa promulgation par le chef de l’Etat est venue remettre en cause des discussions déjà entamées, et sa suppression reste un préalable à la reprise de tout dialogue. Côté pouvoir, c’est un niet catégorique qui est opposé, les pro-Condé arguant du fait qu’on ne revient pas sur une telle décision comme on revient sur l'achat d'une paire de chaussures achetée au marché Madina de Conakry.
Jusque-là, sur une centaine de partis, seulement 12 ont fait acte de candidature aux prochaines législatives. C’est vrai que les 9 000 euros (soit plus de 5 millions de F CFA) comme caution par prétendant à la députation ne sont pas pour encourager des candidats qui, crise oblige, sont loin d’être des Crésus tropicaux.
Les positions campées des principaux acteurs ne sont pas pour provoquer la grande mobilisation et ramener la paix au pays. De l’irrédentisme de mauvais alois du pouvoir en place, à commencer par Alpha Condé, parlons-en : concernant la date des élections, il ne fait l’objet d’aucun doute que les délais ne sont pas tenables. Pourquoi le locataire du palais de Sekhoutoureya s’arcboute-il donc à sa décision ? L’acceptation de la plate-forme matricielle des opposants signifierait-elle une déculottée pour lui ? Sa position jusqu’au-boutiste n'est pas de nature, loin s'en faut, de décrisper la situation.
L’opposition guinéenne n’est pas non plus exempte de tout reproche, elle qui semble, depuis, avoir jeté son dévolu sur la stratégie du pourrissement. Une position autrement plus confortable que celle de celui qui préside aux destinées du pays. Une annulation du décret présidentiel amènera-t-elle Cellou Diallo et Cie à mettre balle à terre ?
Rien n’est moins sûr, car, c’est à croire qu’il y a une grande dose de mauvaise foi dans l’agissement des membres influents de l’opposition, qui consiste à jouer aux parangons de vertus, tout en œuvrant à rendre la nation ingouvernable. Certes, il y a à redire sur les conditions de l'élection d'Alpha Condé, qui est loin d'être un Nelson Mandela de la communication et des règlements à l’amiable, mais à trop tirer la corde, l’irréparable pourrait arriver. La nette impression qui se dégage est qu’aucune des forces antagonistes ne veut aller à l’élection. Le pouvoir s’entête dans le déni de l’évidence, et l’opposition reste partisane du pourrissement, comptant sur les morts qui s’entassent et sur l’émotion de l’opinion internationale.
C’est d’autant plus rageant que ce bang-bang ne concerne que les politiciens. Pour le citoyen lambda, le combat est ailleurs : la survie quotidienne. Les coupures d'électricité et les pénuries d'eau ? Certainement qu’Alpha Condé ou Cellou Diallo n’en ont pas été beaucoup affectés.
Les habitants n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Et pourtant, le pays de Cocagne, cité d’abondance et de générosité dans l’imaginaire européen, aurait été la Guinée que ça n’aurait révolté personne. Gâtée par Dame Nature, ouverte sur la mer, riche de son sol et de son sous-sol, la patrie du Bembeya Jazz avait tout pour rendre heureux ses habitants. Mais voilà que la politicaillerie est passée par là.
Faut-il voir par là quelque manifestation de cette malédiction gaullienne lors de la fracassante rupture du cordon ombilical avec la France en 1958 ? Beaucoup se remémorent en effet cette cinglante phrase de Sékou Touré crachée à la face d’un général De gaulle atterré : «Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage». Et le héros de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale dépité de lâcher : «Vous voulez l’indépendance, prenez-la» !
Après le départ des Français, la Guinée s’est tournée vers l’Union soviétique, ensuite la Chine, avant le retour à la case départ qu’est la France. Mais l’interdit semble avoir été consommé. Et bonjour les dégâts. Succéderont à l’auteur du fameux «Non» le général Lansana Conté, qui passait le plus clair de son temps à l’ombre de son fromager, Moussa Dadis Camara, abonné aux déclarations d’éclat, l’intérimaire général Sékouba Konaté, adepte du farniente pressé de refiler la patate chaude à son éventuel successeur, et, enfin, le Pr Alpha Condé, qui peine à avoir une stature d’homme d’Etat.
Il est où le grand sorcier du village qui chassera les vieux démons ?