C’est dans la salle polyvalente du Palais de Kosyam que l’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire des Etats- Unis au Burkina Faso, le Dr Tulinabo Mushingui, a été décoré de la médaille d’Officier de l’Ordre national, l’une des plus prestigieuses distinctions de notre pays. Le diplomate américain a reçu sa distinction des mains du Premier ministre burkinabè Yacouba Isaac Zida, en guise de reconnaissance et de récompense pour les services qu’il a rendus au Burkina Faso dans le cadre de sa mission. Sauf erreur ou omission, c’est bien la première fois qu’un diplomate étranger reçoit une si haute distinction dans notre pays, avec en prime une quasi-unanimité sur la justesse de l’acte, que beaucoup ont d’ailleurs trouvé très en-deçà du « truly wonderful job » (extraordinaire travail) que ce diplomate de carrière et natif de la République démocratique du Congo a abattu pour le peuple burkinabè, depuis son accréditation en 2013. Tulinabo Mushingi est, aussi longtemps que remonte notre mémoire, l’un des rares ambassadeurs à avoir sillonné les villes et les villages du Burkina Faso, avec une déconcertante simplicité et une facilité d’approche qui n’a pas manqué de séduire les populations visitées. Beaucoup ont trouvé en cet homme plus qu’un représentant d’un lointain pays. Ils ont vu en lui un Burkinabè ordinaire, ne rechignant pas à déguster du « gonré » local ni à esquisser des pas de « binon », comme pour dire, à la suite de madame Bisa Williams alors ambassadeur des Etats-Unis au Niger, que « le diplomate doit aller au contact des populations s’il veut véritablement développer une coopération fructueuse, basée sur la confiance et l’amitié réciproques ». Là où très peu de Burkinabè ont vu une bonne dose de populisme doublé d’ingérence dans la gestion de nos affaires domestiques, la majorité de nos concitoyens ont salué la simplicité effarante et l’entregent d’un homme qui est tout de même le représentant de la plus grande puissance du monde, et qui, de ce fait, aurait pu regarder de haut nous autres Burkinabè, encore balbutiant sur le chemin du développement et de la démocratie. Au lieu de cela, l’ambassadeur américain a souvent usé de l’humour caustique bien de chez lui pour inviter les Burkinabè et notamment les acteurs politiques à faire preuve de sagesse, afin de préserver la paix et la sécurité qui ont longtemps été les principaux atouts de notre pays. Mais à chaque fois qu’il s’est agi de donner son point de vue sur le fonctionnement de la démocratie burkinabè, Tulinabo Mushingui ne s’est pas embarrassé de circonlocutions diplomatiques, loin s’en faut ! Il s’est plutôt montré ferme vis-à-vis des fossoyeurs de la démocratie, comme on l’a remarqué en 2014, au moment où les débats sur la révision de l’article 37 faisaient rage.
On ne peut passer sous silence le rôle des pays amis et partenaires du Burkina
Il était l’un des rares diplomates accrédités dans notre pays, pour ne pas dire le seul, à avoir sans détour critiqué les velléités de révision de la Constitution aux fins d’ouvrir un boulevard à Blaise Compaoré pour une autre série de mandats présidentiels . Ceux qui applaudissent à tout rompre les autorités de la Transition pour avoir eu la lucidité d’honorer l’ambassadeur affirment sans ambages que le Burkina Faso serait aujourd’hui encore en train de compter ses morts, s’il n’y avait pas eu cette touche américaine qui a galvanisé la résistance et semé le doute dans l’esprit de ceux qui tentaient, par des subterfuges et même par la force, de s’imposer à la volonté populaire. Dans cette entreprise de « dédiabolisation » de la scène politique burkinabè rendue possible par le courage et la persévérance de la jeunesse clairvoyante et avisée du Burkina, on ne peut ou on ne doit pas passer sous silence le rôle des pays amis et partenaires du Burkina, dont les Etats-Unis d’Amérique qui ont été à la pointe de l’offensive diplomatique contre le Front républicain qui tenait à la « falsification » de la Constitution, et contre les putschistes de septembre dernier. Evidemment, Mushingui a agi dans bien des cas, convenances diplomatiques obligent, de concert avec la France, pour ne pas donner raison à ceux qui critiquent la « trop grande agitation » du diplomate yankee qui pourrait finir par faire ombrage au représentant de l’ancienne puissance colonisatrice.
En somme, si cet ambassadeur du peuple a bien mérité sa médaille, on ne peut s’empêcher de souligner qu’il a bénéficié pour cela de circonstances favorables, notamment du silence des autorités contre la volonté desquelles il s’était bruyamment élevé. Le régime de Blaise Compaoré peut se targuer de n’avoir pas convoqué, encore moins expulsé ce diplomate qui allait bien au-delà de ses missions classiques, en dénonçant même le « lenga » que certains lui avaient proposé en contrepartie de la non modification de la Constitution. Le Sénégalais Abdoulaye Wade ou le Congolais Joseph Kabila auraient purement et simplement exigé son départ pour avoir fouiné son nez dans la politique intérieure de leurs pays respectifs. C’est donc grâce à ce champ libre que lui a peut-être imprudemment laissé le régime déchu que Tulinabo Mushingui alias Sidpawalemdé, du surnom de « cracheur de vérité » que lui a donné le Premier ministre actuel du Burkina, a pu s’illustrer pendant les périodes de turbulences qu’a traversées notre pays, au point de bénéficier de cette reconnaissance hors saison de la nation, puisqu’il n’est pas en fin de mission. Espérons que cet honneur fait à Mushingui constituera un déclic pour tous ces diplomates timorés et aux discours convenus, afin qu’ils prennent résolument le parti des peuples et non celui des dirigeants.
Hamadou GADIAGA