A la tête de l’Alliance des Jeunes pour l’Indépendance et la République (AJIR), Adama Kanazoé a participé à l’élection présidentielle et s’en est sorti avec 1,22% des voix, alors que son parti n’a qu’un an d’existence. En tant que plus jeune des quatorze candidats, et pour avoir devancé de vieux routiers de la politique comme Ram Ouédraogo et Salvador Yaméogo, il est assurément l’une des révélations du scrutin. Dans cet entretien réalisé le 11 décembre 2015 au siège du parti (Zogona), ce ressortissant de la commune de Zitenga, dans la province de l’ancien président Blaise Compaoré (Oubritenga), fait le bilan de la campagne, leçons et budget à l’appui ; revient sur son rôle dans l’insurrection et réfute les accusations d’accointances avec d’autres forces politiques…
Vous avez été révélé au grand public à la faveur du scrutin du 29 novembre. Pouvez-vous nous dire succinctement qui est Adama Kanazoé ?
Vous l’avez si bien dit, j’ai été révélé au grand public pendant les élections. Je suis un jeune Burkinabè de 38 ans, pur produit de l’université de Ouagadougou. J’ai travaillé dans plusieurs multinationales en occupant divers postes, dont celui de DG. Je suis maintenant installé à mon propre compte comme opérateur économique dans divers domaines comme la publicité et la logistique, pour ne citer que ces deux-là. Depuis janvier 2014, je suis à la tête de l’AJIR, ce qui nous a permis de participer aux élections couplées du 29 novembre dernier.
Sous nos tropiques, les jeunes politiciens, en règle générale, s’alignent derrière les anciens. Vous, vous avez choisi de créer et d’animer votre propre parti. Avez-vous, comme on le dit, les moyens de votre politique ?
Il y a une sorte d’amnésie qui s’empare des Burkinabè lorsqu’on évoque certaines questions. Quand le président Compaoré et ses amis prenaient le pouvoir, ils n’étaient pas plus âgés que moi. Ce n’est pas parce que ces anciens partis existent qu’on doit s’en contenter et mettre fin à toute initiative. Tant qu’on a un projet viable pour son pays, tant qu’on a la capacité de trouver de vraies solutions aux problématiques auxquelles nos concitoyens sont confrontés, on a le devoir de présenter à son peuple son offre politique. On n’est pas obligé de se fondre dans le moule des grands partis pour servir son pays.
Vous pouvez avoir des idées à défendre, mais sans moyens vous conviendrez que la tâche n’est pas aisée…
Notre parti fonctionne avec les moyens qui sont les nôtres. Les moyens, financiers, ne sont pas pour nous un facteur bloquant. Même si on ne les a pas, nous ne pouvons pas nous croiser les bras et subir les politiques qui ne sont pas les meilleures. Le principal moyen dans ce domaine, c’est surtout la force de conscientisation du peuple, parce qu’il y aura un moment où ce peuple choisira ses dirigeants non sur la base de leurs moyens mais sur la base de leurs projets. Ce même peuple qui, malheureusement, s’intéresse beaucoup plus à des dons éphémères arrivera, à un moment donné, à faire preuve de discernement dans ses choix. Nous avons les moyens de faire vivre notre parti. Par contre, nous n’en avons pas pour acheter la conscience de qui que ce soit. Et nous n’avons même pas l’intention de le faire.
Notre pays vient de réussir le pari d’un scrutin dont la crédibilité a été saluée par tous les observateurs. Quel bilan faites-vous de la première participation de l’AJIR à des élections ?
Nous voulons d’emblée saluer tous les acteurs du processus, à commencer par la Transition qui a réussi, quoi qu’on dise, son challenge d’organiser des élections libres et crédibles. Nous tenons à saluer la communauté internationale qui nous a accompagnés, ainsi que les acteurs politiques qui ont su faire montre d’une grande maturité et d’un sens élevé du patriotisme. Il y a eu un respect mutuel de la part des candidats, qui ont tenu un langage modéré. Le peuple en est sorti grandi parce qu’il n’a empêché personne de battre campagne. Il a clairement porté son choix sur l’un de ses fils : le président du MPP, Roch Marc Christian Kaboré, qui l’a emporté avec un score sans appel de 53%. Que ce fils du pays soit à la hauteur de la mission qui lui est assignée et qu’il puisse bénéficier du soutien de tous les Burkinabè. Notre souhait est qu’il soit un rassembleur, pour que tout le monde apporte sa pierre à l’édification d’une nation prospère.
Pour notre part, nous avons tiré pas mal d’enseignements de cette participation. Dans la croissance normale d’un parti politique, un an ne suffit pas pour participer à une élection de cette ampleur. Nous y sommes allés parce qu’il y avait des circonstances particulières ; nous étions dans une phase de transition, avec une volonté affichée des Burkinabè de changer après les 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré. Nous avons tous surfé sur la vague du changement. Certains ont parlé de « vrai changement », d’autres de « candidat des insurgés », et l’AJIR a trouvé son angle qui est « le changement générationnel ». Tant qu’à faire, autant changer toute la vieille garde politique par des hommes nouveaux. C’est notre offre politique, qui était accompagnée d’un projet de société défendu vaillamment pendant la campagne. Le peuple a fait le choix de l’assurance, parce que celui qu’il a choisi a une bonne expérience de la gestion de l’Etat, et une bonne maîtrise des rouages de l’Administration. Le peuple nous a envoyé un message, celui de continuer à travailler dur pour mériter sa confiance. Nous en prenons acte et nous ne dormirons pas.
La mobilisation a été forte pour votre meeting de lancement à Ziniaré, le 8 novembre dernier. Ce qui a fait dire à certains de vos collaborateurs que, dans l’Oubritenga, vous n’avez pas d’adversaire de taille. Comment expliquez-vous alors que vous n’ayez eu aucun siège de député dans cette province dont vous êtes pourtant originaire ?
Dans l’Oubritenga, nous avons été victimes de ce que j’ai toujours craint : le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) a mené une sorte de boycott de la présidentielle. Il a appelé la population à voter soit nul, soit pour l’Union pour le progrès et le changement (UPC), et les chiffres l’ont démontré clairement. Pour la présidentielle, l’UPC est devant l’AJIR. En revanche, pour les législatives, l’UPC est derrière l’AJIR. Les votes qui étaient destinés à l’AJIR pour la présidentielle ont été détournés par le CDP. Ensuite, il y a eu une campagne de diabolisation de notre parti, qu’on a confondu avec d’autres forces. Ils ont perturbé l’électorat, qui finalement a redonné confiance au CDP, lui permettant ainsi d’engranger 26000 voix dans la province. Ce parti reste une force politique dans la zone, même s’il décline. Nul doute que c’est la dernière fois que le CDP bat l’AJIR dans cette province où nous sommes sortis troisième. Nous allons poursuivre le travail d’implantation dans tous les villages et hameaux en vue d’être la principale force politique dans la zone. C’est notre destin le plus sûr.
Vous parlez de campagne de diabolisation ; que vous reproche-t-on exactement ?
Je ne veux pas entrer dans les détails, car tout ça est derrière nous. Nous avons trouvé les bonnes approches et les bons angles pour rectifier le tir. Nous allons nous battre dans les cinq prochaines années pour que les gens aient plus conscience de la portée de leur vote. Grâce à cela et à notre travail d’implantation, nous pourrons conquérir un électorat plus grand à l’échelle nationale.
Lors du meeting de Ziniaré, vous avez invité les électeurs de cette province à vous faire confiance comme ils l’ont fait jusque-là concernant le« grand frère » Blaise Compaoré. Est-ce à dire que vous faites partie des admirateurs de l’ancien président ?
Je suis un insurgé. C’est vrai, aujourd’hui, beaucoup ont oublié ce que j’ai fait dans le cadre de l’insurrection, ou du moins feignent de ne pas le savoir. Je constate que le président de l’AJIR a été oublié. J’ai été le coordinateur de la campagne populaire de lutte contre le référendum. J’ai récolté de l’argent pour financer la lutte. J’ai coordonné l’action d’OSC comme le M21, le Balai citoyen… J’ai été de tous les combats. Quand le président Compaoré avait demandé d’ouvrir un dialogue avec l’opposition au sujet de la crise, j’ai été celui qui a pris la parole à Kosyam pour déjouer le piège que le chef de l’Etat avait décidé de nous tendre. J’ai dit que parmi les préalables, avant d’aller au dialogue, on doit souligner dans les termes de références que les points non consensuels restent en l’état. En son temps, j’ai suscité la colère des dirigeants du CDP et on m’a même taxé d’insolence. Du début à la fin, j’ai été de ceux qui ont lutté contre la volonté du président Compaoré de tripatouiller la Constitution. Je n’ai pas de haine pour un Burkinabè, mais si un Burkinabè n’est pas dans le droit chemin il faut le lui rappeler. J’étais le seul chef de parti présent à l’état-major général des Armées le 31 octobre 2014. Les images sont là pour le confirmer. Aujourd’hui, on veut me taxer de…
Attention, dans ce pays, chacun sait ce que chacun a fait. Je suis un insurgé. Un vrai insurgé. J’ai lutté contre Blaise Compaoré et je le ferais si c’était à refaire. Ce que j’ai dit à Ziniaré n’a rien d’extraordinaire. Tous les autres candidats ont fait de même dans leur zone. Les gens, pour des raisons politiques, veulent me coller des étiquettes. Mais le peuple n’est pas dupe et il a retenu mieux de moi.
En tant qu’originaire de l’Oubritenga, quelles relations entreteniez-vous avec l’ancien président, votre « grand frère » ?
Il ne m’a jamais vu de sa vie. Peut-être qu’il m’a vu à la télévision quand je récoltais l’argent qui a servi à le chasser. Je n’ai jamais eu de contact, ni avec lui ni avec les gens du CDP, parce que avant la création de mon parti, je n’avais jamais fait de politique. Je me suis inscrit à l’opposition auprès de Zéphirin Diabré, afin de lutter immédiatement contre Compaoré. S’il m’avait connu, peut-être qu’il m’aurait envoyé quelques milliards (rires).
Certains vous soupçonnent d’être proche des premiers responsables du MPP…
(Il nous coupe la parole) C’est ça, quand ce n’est pas de Blaise Compaoré, c’est du MPP que je suis proche. Ils veulent qu’Adama Kanazoé soit forcément attaché à quelqu’un. Je veux dire une chose à la jeunesse burkinabè : il faut arriver à dépasser cette vision. On n’est pas obligé d’être attaché à un mentor ou à un parrain pour exister. C’est cette mentalité qui fait qu’on est une jeunesse qui n’arrive pas à s’émanciper. Demandez aux uns et aux autres, si on était aussi proche de tout ce monde-là, on n’aurait pas eu du mal à financer notre campagne. Nos collaborateurs n’ont pas battu campagne avec des 4X4, mais des motos.
Parlant justement de la campagne, peut-on savoir ce que vous a coûté cette première expérience ?
Le trésorier est là (il montre du doigt le collaborateur assis à côté de lui). Il peut le confirmer, c’est autour de 117 millions. Nous avons fait une belle campagne. Nous avons fait une caravane qui nous a permis d’être au contact de la population dans les villages les plus reculés, pour connaître leur quotidien. A première vue, nous étions très limités financièrement par rapport aux autres candidats. C’est ce qui explique certaines limites objectives que nous avons connues.
En dépit des maigres résultats, on vous présente comme l’une des révélations du scrutin. Qu’allez-vous faire pour confirmer ce statut lors des échéances électorales à venir ?
Je remercie les électeurs, car il y a 37 000 Burkinabè qui ont voté pour moi. Je ne les connais pas individuellement, mais ils m’ont fait confiance sur la base de ce que j’ai présenté. Adama Kanazoé est au début de sa carrière politique. Il ne va pas s’arrêter là. Nous sommes loin d’être découragés, car cette participation est positive. J’ai gagné en expérience, et j’en suis sorti enrichi en termes d’apprentissage. Je vais capitaliser cette expérience et la faire fructifier. J’ai toujours fait mienne cette pensée de Nelson Mandela : « Je ne perds jamais, je gagne ou j’apprends. » Cette fois-ci j’ai appris, la prochaine fois je gagnerai.
Faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale, le nouveau pouvoir mène une opération de charme à l’endroit d’autres partis, et pense même former « un gouvernement d’alliance populaire ». Seriez-vous prêt à faire équipe avec les nouvelles autorités si elles faisaient appel à vous?
Je l’ai dit au début : 53% des Burkinabè ont choisi un des fils du pays. Il n’y a plus de contestation possible. C’est le président de tous les Burkinabè, et il aura besoin de tous ses concitoyens pour gouverner. J’espère en tout cas que c’est sa façon de voir les choses. Je ne crois pas une seule seconde qu’on peut développer le Burkina Faso en excluant une partie de sa population. C’est pourquoi Adama Kanazoé ou tout autre Burkinabè devrait se mettre à la disposition des nouvelles autorités pour servir partout où son action peut porter fruit.
Avez-vous été approché ?
Nous n’avons eu aucun contact officiel pour l’instant.
Entretien réalisé par
Abdou Karim Sawadogo