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Situation nationale : Le Sénat de la discorde
Publié le samedi 25 mai 2013   |  Journal du Jeudi


Le
© Sidwaya par DR
Le Burkina dispose désormais d’un Sénat


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L’adoption, cette semaine, de la loi organique instituant le Sénat comme «deuxième chambre» du Parlement constitue un véritable test pour la classe politique burkinabè. Depuis plusieurs jours, les différents états-majors étaient en ébullition. Jamais les positions n’avaient été aussi tranchées entre les partis politiques. Avant même le vote du 21 mai dernier, on savait qui était «pour», qui était «contre» et pourquoi. La discorde autour du Sénat est allée jusque dans les rangs de ce qui était considéré jusque-là comme la majorité présidentielle.
Même au sein du gigaparti au pouvoir, on n’a pas assisté à l’assurance habituelle qui précède jusque-là l’adoption d’une loi dans une Assemblée nationale acquise à sa cause. Non seulement le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) y dispose d’une majorité confortable de 70%, mais il devait pouvoir encore compter sur deux alliés importants, la coalition des partis de la mouvance présidentielle et l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA).
Pour cette fois, c’est la seconde force politique qui met le jeu de l’alliance à mal. Le parti de l’éléphant n’a pas voté pour le Sénat. Mieux, il l’a fait savoir en début de semaine, soit quarante-huit heures avant le jour du vote. Une décision qui n’est pas vraiment une surprise, mais plutôt une confirmation.
En effet, à l’issue du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) auquel il a participé contrairement aux partis dits de «l’opposition radicale», l’ADF/RDA s’était clairement inscrite contre tout projet de modification de l’article 37 de la Constitution, limitant le mandat présidentiel à un et un seul bail.
En décidant de voter «contre le sénat», le parti de l’éléphant reste logique avec lui-même. Et cautionne ainsi l’idée selon laquelle le Sénat peut éventuellement être utilisé pour déverrouiller la limitation. Une situation qui lève un coin du voile sur la persistance de la discorde de l’ADF/RDA et du CDP. Du moins, sur cette question du mandat présidentiel. Toutefois, le «parti de l’éléphant» ne veut pas faire d’amalgame sur son positionnement politique au Parlement. Contrairement à ses homologues de l’opposition des groupes parlementaires UPC -Union pour le progrès et le changement- et de l’ADJ -Alternance démocratie et justice-, il a participé à la séance du 21 mai. Le député-maire Gilbert-Noël Ouédraogo et ses camarades n’ont donc pas fait dans le boycott, mais seulement dans l’opposition au Sénat.
Force est de constater que c’est l’une des premières fois que le CDP se trouve «lâché» par un allié de taille -au propre comme au figuré- à l’occasion du vote d’une loi aussi stratégique que celle du Sénat. Ceci explique pourquoi le bureau exécutif national du giga-parti s’est vu obligé de publier un communiqué aux formules musclées pour appeler à la mobilisation de ses militants autour de la loi organique du Sénat. En tout cas, ce n’était pas le triomphalisme auquel on était habitué jusque-là. C’est tant mieux, si le parti présidentiel peut aussi paniquer au point de descendre jusque dans l’arène médiatique pour négocier le soutien de ses propres députés et militants pour le vote de la loi organique du Sénat. C’est la démocratie burkinabè qui gagne.
La discorde va certainement continuer entre le CDP et les partis alignés derrière le chef de file de l’opposition. On le sait, Zéphirin Diabré et ses camarades ne sont pas allés par quatre chemins pour dire tout le mal qu’ils pensent du Sénat. Non seulement ils sont contre le Sénat, mais ils ont poussé le bouchon jusqu’à boycotter la séance parlementaire du 21 mai. Mieux, ils prévoient de battre le pavé pour continuer à manifester leur désapprobation par rapport à l’institution du Sénat. Un combat perdu d’avance?
Il est évident qu’avec ou sans la présence des députés de l’UPC et de l’ADJ à l’hémicycle, la loi est passée. On pourrait même reprocher à ces deux organisations d’avoir fui le débat de mardi dernier pour aller plutôt manifester dans la rue. En plus, les jeux étaient faits à l’avance. Pour avoir déjà boycotté les travaux du CCRP deux années plus tôt, l’opposition ne pouvait rien pour arrêter le processus irréversible de mise en place du Sénat. Mais au regard de la discorde que ce vote a suscitée entre le CDP et l’ADF/RDA, d’une part, et entre le CDP et l’opposition de l’autre, on peut dire que l’institutionnalisation du Sénat constitue en elle-même un enjeu politique qui mérite toute la levée de boucliers à laquelle on assiste.
A l’instar de l’ADF/RDA qui n’a pas manqué l’occasion de clarifier sa position tout en renonçant au boycott, l’opposition est dans son rôle en maintenant la pression, même après le vote de la loi. A partir du moment où toutes les manifestations prévues peuvent se dérouler sans violence, et dans le cadre républicain prévu à cet effet, il n’y a pas de raison de se priver de cette action politique. Car, de toute évidence, la forme originelle du Sénat ne semble pas rencontrer l’assentiment de tout le monde, même au sein du parti au pouvoir. Il y a de sérieuses réserves autour de cette nouvelle expérience de bicaméralisme dans laquelle s’engage le pouvoir en place. Si l’on part du principe que le Sénat a besoin d’être amélioré aussi bien dans sa loi organique que dans son fonctionnement, on trouve du sens aux manifestations de l’opposition.
C’est au parti au pouvoir, qui va visiblement faire un passage en force, de convaincre désormais que derrière la mise en place du Sénat, il n’y a pas d’agenda caché de déverrouillage de l’article 37, de transmission ou de conservation hégémonique du pouvoir, ou de prise en otage des institutions de la république par un clan.

F. Quophy

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