Le synode ordinaire qui s’est tenu du 4 au 25 octobre 2015 à Rome sous les auspices du Pape François, a réuni une centaine d’évêques venus de tous les continents. « La vocation de la mission de la famille dans l’Eglise et dans le monde contemporain» était le thème principal de ce synode. Durant trois semaines, les évêques, réunis autour du Pape François, ont ensemble discuté sur ce thème et fait des propositions. Pour en savoir davantage sur ce qui a été discuté et les décisions prises lors de ce synode, nous nous sommes entretenus avec l’évêque du diocèse de Nouna, Mgr Joseph Sama, qui était présent à ce synode. C’était le 27 novembre 2015 au Centre Cardinal Paul Zoungrana de Ouagadougou. La particularité du synode de cette année 2015, le mariage des prêtres ou les scandales de pédophilie dans le clergé, la question sur la communion des chrétiens polygames et les difficultés que l’Eglise catholique rencontre de nos jours en matière de dogmes, sont, entre autres, les sujets qui ont été abordés au cours de cet entretien. Lisez plutôt !
« Le Pays » : Quelle définition peut-on donner du synode ?
Joseph Sama : Selon l’étymologie grecque, le synode veut dire route commune. Le mot synode désigne dans le christianisme, une réunion, une assemblée délibérative d'ecclésiastiques. C’est le Pape Paul VI qui l’a créé à la fin du dernier concile Vatican II pour continuer le dynamisme du mouvement que le synode a apporté dans la vie de l’Eglise. C’est un conseil des évêques du monde entier que convoque le Pape sur des sujets divers.
Dans quel but se tient le synode ?
C’est le Pape qui convoque le synode en proposant un thème, suite à des consultations qu’il fait au préalable. Il y a deux catégories de synode, à savoir le synode ou assemblée générale ordinaire et le synode extraordinaire que le Pape convoque pour traiter de sujets brûlants.
Quelles sont les grandes décisions du synode de cette année ?
Il n’y a pas encore eu de décisions en tant que telles, parce que c’est une assemblée consultative que le Pape a convoquée sur le sujet de la famille qui déterminait la vocation et la mission de la famille dans l’Eglise et dans le monde contemporain. Durant ces trois semaines, nous avons débattu sur les questions de la famille et après réflexion, nous en avons remis les fruits, afin qu’il décide de ce qu’il en fera. Habituellement, à la fin de chaque synode, le Pape produit une lettre d’exhortation historique sur le sujet. Donc, nous espérons que pour ce synode aussi, le Pape va bientôt adresser un message à l’Eglise tout entière pour apporter des éclaircissements aux différentes préoccupations posées. Le thème général était la vocation de la famille mais des réflexions ont aussi été portées sur la question d’observation et la situation concrète de la famille à travers les églises. Car, nous constatons que la famille vit des épreuves. Elle est sur la brèche dans beaucoup de sociétés. La famille se construit autour du couple de l’homme et de la femme qui s’engagent dans le lien du mariage de façon définitive. Ils se promettent respect et fidélité toute la vie, et c’est un mariage aussi monogame. C’est sur ces principes que l’Eglise a toujours fonctionné. Mais nous avons constaté que la famille a connu beaucoup de changements selon les coutumes et les influences de la culture.
« La polygamie est acceptée dans la Constitution burkinabè, mais l’Eglise ne l’admet pas »
Quelle a été la particularité de ce synode par rapport aux précédents?
En tant que pasteur, chacun des évêques a apporté les difficultés que les fidèles rencontrent dans les églises au niveau local. Les pasteurs de l’Europe ont constaté qu’il y a beaucoup de fidèles qui ne suivent plus la règlementation de l’Eglise, beaucoup de couples vivent ensemble sans célébrer le mariage à l’état civil ni à l’église. Il y a aussi beaucoup de divorcés qui ont brisé les liens du mariage à l’église et qui se remarient sans célébrer le mariage sacramentel. Chez nous, en Afrique, il y a aussi une particularité. Par exemple, la polygamie est acceptée dans la Constitution burkinabè, mais l’Eglise ne l’admet pas. Toutes ces choses sont des problèmes que nous avons signalés et soulevés et qui attendent des réponses. C’est-à-dire comment se comporter vis-à-vis des personnes qui ne sont pas en règle avec la loi de l’Eglise.
Qu’a pu dire le synode sur la polygamie des chrétiens et plus précisément sur la communion des chrétiens catholiques ?
Le cardinal a abordé le sujet sur la communion des chrétiens polygames. Il n’y a pas encore de décisions qui signifient que la communion peut être donnée aux polygames. Mais ce qui a été débattu est, comment se comporter vis-à-vis de ces personnes polygames qui vivent cette situation ? Quelle place peut-on donner à ces derniers au service de l’Eglise ? Comment les accompagner car ils restent en porte-à-faux vis-à-vis des dispositions disciplinaires de l’Eglise ? Ils restent chrétiens et fils de l’Eglise à part entière. La question des couples divorcés et remariés a été aussi abordée, car, en principe, l’Eglise ne donne pas la communion à ces couples. Mais nous avons fait des propositions sur comment se comporter envers eux et aussi comment les accompagner.
Avez-vous abordé des sujets comme le mariage des prêtres ou le scandale de pédophilie dans le clergé ?
Ce sujet ne faisait pas partie du thème du synode, mais c’est dans les causeries et discussions que nous avons fait cas de cela. Même avant l’ouverture du synode, il y a eu un grand scandale sur ce fait, car il y a un prêtre portugais qui a déclaré sa situation d’homosexuel, ce qui a fait des gorges chaudes. Mais comme cela ne rentrait pas dans le cadre de cette assemblée, il nous a été rappelé de ne pas nous focaliser sur des sujets autres que celui de la famille qui était l’objet de ce synode. C’est regrettable que des prêtres se retrouvent dans de telles situations, mais ce sont des choses qui arrivent. L’Eglise, dans ces derniers temps, a été secouée dans beaucoup d’endroits par ce phénomène de pédophilie, mais elle s’est engagée fortement à lutter contre cela et à l’empêcher parce qu’il y a une injustice et une violation du respect de la personne et même un abus des enfants qui est même grave, que les lois doivent punir. Donc, l’Eglise aussi s’inscrit dans ce sens pour prendre conscience de la gravité d’un tel comportement et prendre des mesures pour freiner cela et sanctionner les personnes qui se rendent coupables de telles conduites. L’homosexualité a été abordée au synode pour interpeller l’assemblée générale et pastorale en direction des personnes qui vivent dans cette situation. Il existe de plus en plus de gens qui déclarent leur homosexualité au sein de la communauté chrétienne, en Europe surtout. Que faire dans cette situation d’autant plus que le droit de nos Etats tend à accepter cela, à le tolérer et à reconnaître à ces personnes leur droit de vivre ? Dans l’Eglise, nous n’acceptons pas cela, mais faut-il condamner ces personnes ou bien chercher des moyens de les approcher et de les inciter à un changement, une conversion totale ? De plus en plus, nous constatons une déviance dont les racines sont très profondes et dont il faut chercher à comprendre davantage les raisons qui peuvent amener des gens à vivre dans cette situation.
Quelles sont les difficultés rencontrées par l’Eglise d’aujourd’hui en matière de dogmes ?
L’Eglise renferme beaucoup de dogmes. Mais si nous restons dans le domaine de la famille qui était l’objet du synode, c’est la doctrine, c’est-à-dire la foi chrétienne, celle de l’Eglise catholique. Le fond reste, mais c’est peut-être la manière de l’enseigner et d’éduquer les fidèles chrétiens à l’Eglise qu’il faut réviser et voir comment procéder pour instaurer la monogamie pour toute la vie. Car, c’est le fond de l’Eglise catholique. Donc, il faut que cela évolue dans nos pratiques pastorales. Et on a beaucoup insisté sur la clarté des motivations des personnes qui veulent s’engager dans le mariage, car il faut une préparation en amont. Il y a des laïcs qui ont participé au synode et ont souligné cet aspect. Pour être prêtre, il faut prendre au moins 5, 6 ou 7 ans de préparation, mais pour le mariage, cela se réduit à quelques semaines. Donc, il faut davantage donner du temps à la préparation lointaine dans la catéchèse qui peut déjà commencer dès l’adolescence.
La question de l’islamisme pollue les relations entre les religions. Comment l’Eglise perçoit-elle ce sujet ?
Cette question est venue lors des échanges du synode dans le groupe auquel je faisais partie. Les membres de l’Eglise communauté dont étaient présents les évêques de la Syrie, de l’Irak et du Liban, ont évoqué les difficultés énormes qu’ils vivent aujourd’hui à cause de l’intolérance des groupes islamiques, et ont aussi évoqué la destruction de la communauté chrétienne du Moyen-Orient. Or, celle-ci est le premier témoin du christianisme. Mais c’est déplorable de voir comment les communautés chrétiennes sont détruites et bon nombre sont chassées de leurs terres d’origine. Les évêques ont lancé un cri du cœur pour que les chrétiens qui abandonnent leur cadre de vie à cause de l’exclusion des islamistes, soient accueillis afin de sauvegarder leur foi. Car, c’est un patrimoine de l’Eglise entière qu’il ne faut pas négliger ni laisser détruire. Ces derniers ont été compris et ont été portés dans la prière. Mais nous avons été agréablement récompensés quand on nous a informés qu’un évêque de Syrie qui était enlevé avec des fidèles chrétiens, a été libéré par Daesh. C’est pour dire que nous regrettons beaucoup les comportements de certains islamistes car depuis longtemps, des communautés chrétiennes et musulmanes ont toujours vécu ensemble dans la bonne entente, que ce soit en Egypte, en Israël ou en Syrie. Mais c’est regrettable que des groupes viennent aujourd’hui mettre cela en cause avec une telle brutalité. Il y a vraiment un sursaut d’orgueil commun à avoir pour dénoncer ces comportements et appeler davantage à l’accueil des uns et des autres.
Comment l’Eglise catholique explique-t-elle tous ces attentats terroristes qui secouent ces derniers temps la planète ?
Nous n’avons pas d’explication à cela. Nous faisons, comme tout le monde, un triste constat et on essaie de voir et de comprendre ce qui peut amener certains à aller vers de tels gestes d’extrémisme. Beaucoup d’analyses sont menées pour essayer de comprendre la radicalisation de certains jeunes, parce qu’ils sont déçus, et à cause aussi de leurs aspirations qui ne sont pas parfois prises en compte. A cause de la pauvreté, ces derniers se laissent soudoyer par des individus pour des motifs criminels. Nous essayons de voir quelles solutions apporter pour répondre aux aspirations de ces jeunes qui se sentent abandonnés par la société et qui sont des proies faciles pour des gens qui veulent les manipuler. Quoi qu’il en soit, nous condamnons ce que font ces extrémistes. Mais notre foi chrétienne aussi nous amène à ne pas condamner l’Homme, mais plutôt ses gestes. Notre espoir reste toujours d’amener ces derniers vers un changement, à la conversion et à un chemin de retour vers Dieu et vers leurs frères.
« Nous sommes invités aussi à plus de dynamisme et de vitalité dans la charité et dans la vérité »
Comment se porte aujourd’hui l’Eglise catholique face à la poussée de l’Eglise protestante, notamment sur le continent africain ?
Nous constatons comme tout le monde que l’Eglise protestante a un grand dynamisme et nous ne pensons pas qu’il y a un mal en cela si ces Eglises vivent l’Evangile et proposent la bonne nouvelle au monde. Mais cela nous interpelle pour que nous puissions aussi chercher davantage à être vivants et à animer nos communautés pour qu’elles soient vivantes. Le Pape François nous incite vraiment à la joie de l’évangile et à avoir cet enthousiasme de vivre la foi chrétienne et de la proposer au monde. Donc, nous sommes invités aussi à plus de dynamisme et de vitalité dans la charité et dans la vérité.
Avez-vous quelque chose d’autre à évoquer dont nous n’avons pas fait cas ?
Je rappelle que le synode est une démarche très importante et l’Eglise a trouvé cette démarche qui lui permet de se renouveler sans cesse et d’aborder des questions de vie, et d’échanger sur les défis qui lui permettent de progresser. Le synode est une assemblée générale que le Pape convoque en présence des évêques pour discuter de sujets importants. Mais c’est une démarche que chaque Eglise pense s’inviter à mener pour relire la vie et voir les difficultés qui se posent par rapport à la foi, à l’évangélisation, afin de trouver des solutions ensemble. Le Pape François, lors de ce synode, nous a beaucoup édifiés parce qu’il s’est engagé résolument sur cette voie synodale, une voie de concertation pour rechercher un consensus sur la vie chrétienne. C’est une invitation et une interpellation à tous, dans nos Eglises locales, pour suivre le chemin de l’Eglise dans la communion et l’unité. Et comme mission, nous sommes amenés à donner aussi ce témoignage de l’unité de la communion dans les foyers, où sont réalisées la communion et la culture de tout le monde. Alors, le synode est vraiment ce chemin religieux qu’il faut emprunter.
Propos recueillis et retranscris par Valérie TIANHOUN