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Anathèmes sur les enseignants du supérieur : un bouc émissaire tout trouvé
Publié le mardi 8 decembre 2015  |  L`Observateur Paalga
Université
© Autre presse par DR
Université de Ouagadougou




Les universités publiques du Burkina Faso souffrent de problèmes structurels qui affectent considérablement les communautés universitaires. Dans les débats sur la question chacun y va de son commentaire en désignant son bouc émissaire qu’on accable de tous les péchés d’Israël. Dans les lignes qui suivent, Vincent Ouattara refuse le faux procès qu’on fait aux enseignants.

La crise du CENOU a son objet que nous n’allons pas expliciter ici. Beaucoup d’organes de presse en font écho. Mais la litanie qui l’accompagne pour égarer tout le monde nous intéresse et interpelle. Le constat est que l’occasion est tout trouvée pour « casser de l’enseignant ». On parle d’une crise, la crise au CENOU, mais ce qui intéresse certains acteurs est l’absentéisme des enseignants dans les universités publiques, le non-respect des obligations pédagogiques notamment, les délibérations, les encadrements et les soutenances.

Dire que ces enseignants n’existent pas c’est tomber dans le ridicule. Mais combien sont-ils pour en faire le plat de résistance des assoiffés de justice ? Les autorités administratives des universités et de tutelle les connaissent depuis longtemps, mais le silence a fait la loi dans ce pays devant des causes justes, donnant ainsi le droit à des citoyens de jeter l’anathème sur tous les enseignants. Le hic est que certains enseignants, pour des intérêts spécifiques, s’inscrivent dans cette perspective mortifère, et avec un plaisir singulier ! Curieux pendant que d’autres corps luttent pour se mettre en épingle !



Educateur broyé par la machine étatique



Il y a quelques temps, ce vocable était déjà en vogue et avait ses animateurs : enseignant gomboiste. Il ne reste que des artistes musiciens pour le prendre dans leurs cordes pour enchanter tout le monde. Le bouc émissaire est tout trouvé pour ne pas voir la réalité en face : le manque d’infrastructures, la responsabilisation des acteurs du système éducatif et, surtout, la dévalorisation de la fonction enseignante. Il faut « casser de l’enseignant » pour le rendre muet, pour qu’il ne parle pas de ses difficiles conditions de travail.

Il est trouvé, cet « homme au pullover rouge », qui est responsable des maux des universités. Quel type d’homme allons-nous former quand l’éducateur est impuissant devant la machine de l’Etat qui le broie et le jette aux enfants de la république ? Quand les enfants de la république, aveuglés par des aînés, manquent tout respect aux éducateurs au nom de leur Vérité ? Quand des acteurs politiques et de la société civile, pour des intérêts spécifiques, engagent le pays dans l’incertitude en hypothéquant l’avenir de la jeunesse ?

Combien d’agents de la Fonction publique vont en retard au travail, sont absents, vendent des produits dans les bureaux qui deviennent des lieux de commerce au détriment des usagers ? Mais est-on en droit de dire que tous les agents sont irresponsables et répréhensifs ? A-t-on le droit de les séquestrer ? Combien de responsables des services courent après les perdiems des ateliers et séminaires « délocalisés » laissant les usagers, insatisfaits, ruminer parfois leur colère ? Qui donc n’aime pas ces attributs instaurés par le régime de Blaise Compaoré pour arrondir son salaire et vivre selon le modèle de l’homme nouveau ?

Les actions doivent être mesurées

Un peu de bon sens fera du bien à tout le monde pour ne pas aller à la dérive. Le combat est long. Le peuple réveillé, ne veut plus être mis à la touche. Magnifique non ! Mais les actions doivent être mesurées, pensées pour ne pas tomber dans le désordre. Les ouvriers, en grève contre le patronat, ne cassent pas les machines qui sont les instruments de travail qui leur donnent du pain.

Les acteurs du système éducatif qui aident à la formation des enfants du pays méritent un peu de respect. Pourtant ils sont de plus en plus stigmatisés. Conséquences : les enseignants et le personnel administratif sont souvent séquestrés (pour l’Université de Koudougou, deux fois cette année). On voit rarement dans les autres structures de l’Etat des parents, des mères pris en otage avec pour chefs d’accusation le manque de bureaux, d’immobiliers ou la non-satisfaction des doléances des travailleurs. Pourquoi les étudiants ne le feront-ils pas puisque l’éducateur est présenté comme le principal responsable des maux des universités ?

Quelle est la réalité ?

Quelques données pour dévoiler la marche des titulaires de doctorat de troisième cycle en quête d’emploi à l’université. Il est recruté par le MESS comme professeur des lycées et collèges !!! Mis à la disposition d’une université, il perçoit un salaire de base de 95 000 FCFA par mois. En plus des indemnités, il se retrouve avec 125 000 F CFA. L’administration universitaire fait examiner sa thèse, conformément à cette vieille pratique que certains approuvent encore parce qu’ils sont passés par là, avant leur nomination au poste d’Assistant. Cela peut prendre des mois. Après donc ce deuxième examen de sa thèse, il est nommé Assistant et peut commencer à percevoir son salaire de base qui est de l’ordre de 170 000 F CFA.

Vous pouvez imaginer les rudes conditions dans lesquelles se trouvent nos aînés après des années dans des salles de classes souvent mal aérées, et obligés de mettre à rude épreuve leurs cordes vocales pour satisfaire des milliers d’étudiants.

Budgets immuables


Pour ne pas connaître le même sort et faire aussi face aux besoins pressants de la vie, des enseignants du supérieur cherchent des vacations dans d’autres institutions ou font la politique du ventre pour se construire de beaux jours. Ceux qui choisissent ce dernier moyen, oublient très souvent les problèmes de leurs confrères. Pour rappeler un extrait de ce film : « Vive Magloire premier, pour les autres, débrouillez-vous ».

Ce qu’on ne dit pas c’est le nombre de ces ouvriers de la république qui sont malades au regard de l’intensité des charges académiques. C’est un bon sujet pour les journalistes en quête d’informations et soucieux d’informer la patrie. Pour l’université de Koudougou, trois de nos collègues ont connu « des crises » et doivent compter sur leurs propres ressources pour se prendre en charge. Ouagadougou a aussi ses cas malheureux, occasionnant ainsi des pertes pour des universités déjà en manque de personnel enseignant.

Les volumes horaires par enseignant dépassent largement le cadre statutaire et vont gonfler les heures supplémentaires qui se perçoivent après moult tracasseries et jacasseries avec un personnel financier qui comprend difficilement le langage des enseignants que celui des fonds communs du Trésor public à partager. Idem pour les frais relatifs aux délibérations et soutenances que les encadreurs attendent des mois avant d’avoir satisfaction. A qui la faute ?

Les présidents d’université et les enseignants deviennent les coupables. L’Etat est muet, alors que les budgets servis sont immuables depuis des années et même réduits. La chanson est que le pays est pauvre, mais il faut laisser certains se délecter aux frais du contribuable, d’autres danser aux ondes des artistes qui ont compris que les noms des personnalités font fortune. Et on continue de dire avec ravissement : La culture est révolutionnée ! L’Etat peut se frotter les mains, parce qu’il a réussi à « casser de l’enseignant » pour ne pas faire face à une de ses missions régaliennes.



Les problèmes sont pourtant connus



Les enfants prennent les autorités au mot pour flageller leurs éducateurs, mais n’oublient pas de réclamer l’amélioration de leurs conditions de vie et d’études. Les enseignants, désespérés, se tournent vers le ministère de tutelle qui œuvre avec ses ouvriers à la recherche d’une solution. Et elle est trouvée : un code de déontologie des enseignants pour les mettre au pas. Pauvres enseignants face à des enseignants qui ne les comprennent pas ou font semblant de ne pas les comprendre.

Les problèmes sont pourtant connus. Il faut passer à l’action que de chanter la même chanson. Nous ne prétendons pas avoir la recette, mais nous croyons qu’il faut construire des infrastructures, valoriser la fonction enseignante, revisiter le système de gouvernance des universités par la prise en compte de la dimension managériale des institutions, donner suffisamment de bourses de troisième cycle pour former des jeunes à même de prendre la relève. Et enfin, l’élaboration de règles consensuelles qui impliquent tous les acteurs : autorités, enseignants, étudiants, parents et acteurs de la société civile soucieux du bon fonctionnement de nos institutions universitaires.

Ces trois dernières années, des efforts ont été faits dans le recrutement du personnel enseignant, mais le constat est la rareté des titulaires de doctorat de troisième cycle. Plus besoin d’apprendre à la république la valeur de l’éducation. Une certitude : le parti qui aura les leviers de commande de l’Etat doit avoir avec les différents acteurs sociaux un consensus autour des questions de l’éducation pour assurer son mandat dans la quiétude.



Vincent Ouattara

Maître de conférences à

l’Université de Koudougou
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