Le 29 novembre dernier, le Burkina Faso a organisé avec brio les élections couplées-présidentielle et législatives- qui mettent fin à la transition politique amorcée depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Si au niveau du scrutin présidentiel le candidat du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), Roch Marc Christian Kaboré, a été élu au 1er tour avec 53,49%, au niveau des législatives, le désormais parti au pouvoir obtient 55 députés. Sous la barre de la majorité absolue donc. Bilan à chaud des élections, analyse de la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale et les jeux d’alliances en perspectives ont, entre autres, été les sujets abordés dans cet entretien avec le Pr Abdoulaye Soma, agrégé des facultés de droits, président de la Société burkinabè de droit constitutionnel et par ailleurs conseiller spécial du Premier ministre, Isaac Yacouba Zida.
Fasozine: Quel bilan à chaud pouvez-vous dresser du scrutin couplé du 29 novembre dernier qualifié d’historique ?
Pr Abdoulaye Soma : Le premier élément du bilan, c’est le caractère historique de ce scrutin. Il est vrai que s dans notre histoire politique, nous avons déjà organisé des élections couplées. Mais c’est la toute première fois qu’on couple la présidentielle et les législatives. Et cela a été une réussite. Deuxième chose : ces élections se sont passées à l’issue de la Transition qui s’était fixé comme objectif principal de réussir ce scrutin. Donc, la tenue effective de ces élections dans un climat apaisé est une réussite et une des réussites de la Transition. En plus, nous avons eu une élection présidentielle à un tour. On se disait qu’au regard de l’équilibre qui se manifestait dans le forces politiques et au sein de la société on aurait un deuxième tour. Et les dispositions budgétaires avaient déjà été prises pour financer le deuxième tour. Mais pour une Nation qui est éprouvée sur le plan financier et économique avec la Transition, avoir déjà un président au premier tour, se sont de sacrées économies. Voilà les enseignements qu’on peut tirer de ces élections couplées.
Roch marc Christian Kaboré a été élu dès le premier tour alors que ses camarades et lui ont longtemps frayé avec le régime Compaoré…
On peut décoder le message qui a été envoyé par le peuple à la classe politique. Le peuple a dit préfère faire confiance à l’expérience. Le peuple a donné le pouvoir à ceux qui ont déjà tenu les rênes du pouvoir, qui ont déjà disposé de l’appareil politique et administratif d’Etat en pensant que cette expérience peut permettre de faire face aux défis énormes auxquels le Burkina Faso est confronté à ce moment. C’est pourquoi Zéphirin Diabré a perdu les élections au premier tour. Il est vrai qu’il a une puissance politique mais il n’a pas encore disposé de l’appareil politique et administratif d’Etat. Le peuple a joué la méfiance, la prudence, en attendant d’expérimenter une plus large participation de l’UPC à la gouvernance politique du pays.
Comment peut-on analyser la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale où le MPP, avec ces 55 députés, n’a pas la majorité absolue ?
C’est une configuration qui confirme la tendance à la bipartition de la scène politique burkinabè. On voit que dans cette configuration, il y a deux grands partis politiques qui se dégagent, le MPP et l’UPC (Union pour le progrès et le changement, Ndlr). Comme on sait que le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, ex parti au pouvoir) n’a pas pu participer à l’élection présidentielle, on n’a pas pu mesurer le poids du CDP à cette élection pour faute de candidat.
Le poids réel du CDP se mesure à ces législatives. Premier enseignement à tirer : tendances à la bipartition. Ce qui est une très bonne perspective parce que, quand les choses se posent de cette façon, on a des occasions d’une plus grande maturité démocratique. La deuxième leçon c’est l’éclatement de la représentation nationale. En même temps que beaucoup de partis politiques sont représentés, il y a aussi de grandes formations politiques qui se dégagent et qui sont au nombre de trois.
Nous commençons à entrer dans les caractéristiques des grandes démocraties. Lorsqu’on adopte la représentation au proportionnel comme système électoral, on aboutit à une représentation multiple de formations politiques avec, à la clé, une présence massive de deux à trois partis politiques. Ce qui est notre cas. Ces résultats nous mettent dans des dispositions de construction d’alliances pour la formation d’une majorité parlementaire qui peut soutenir un gouvernement pendant une législature.
Comment expliquez-vous que les électeurs puissent désigner le candidat du MPP dès le premier tour sans lui donner la majorité absolue pour gouverner ?
C’est un message codé que le peuple a voulu envoyer. Il peut se résumer ainsi : « D’abord nous vous faisons confiance en vous donnant le pouvoir. On vous élit à la magistrature suprême, à la présidence du Faso. Le peuple a donné le pouvoir suprême au MPP mais la dynamique politique de notre société a changé. Une formation politique ne doit plus disposer de toute la latitude pour gouverner, donc nous vous envoyons une majorité relative à l’Assemblée ce qui vous contraint en entrer en composition avec d’autres formations politiques pour pouvoir disposer de la majorité parlementaire pour former un gouvernement qui ratisse un peu large dans la société burkinabè et dans l’arène politique ». Ce qui va amener à une sorte de gouvernance de concordance, de consensus et de consultation. Et quand on parle de consultation c’est le début de la démocratie.
Le CDP malgré tout -gel des avoirs, emprisonnement ou exil de dirigeants, exclusion, etc., obtient 18 députés à la surprise générale. Quelle analyse faite vous de ce score de l’ex parti au pouvoir ?
Ce qui explique cela est que la caractéristique du vote au Burkina Faso -et dans une large mesure dans les sociétés africaines- est individuelle. Le citoyen vote plus par proximité personnelle d’un candidat que par proximité idéologique. L’analphabétisme existe beaucoup et les électeurs n’ont pas la capacité d’aller absorber les projets de société des différentes formations politiques et d’avoir un arbitrage entre leurs projets de société. Et de fonder leur vote sur cet arbitrage. Ensuite, ce score s’explique aussi par l’ancrage populaire du CDP, c’est-à-dire que ce parti a duré au pouvoir et a réussi à asseoir un maillage social au sein de la population. Cet appareil n’a pas été détruit car il n y a eu aucune opération de déracinement du CDP. Par conséquent, le nouveau CDP a pu profiter de ce maillage traditionnel qui existe pour rebondir. Ce qui explique ce score étonnant du CDP.
Avec cette Assemblée multicolore, comment se feront les alliances ?
Les alliances sont devenues indispensables dans la configuration actuelle de notre Parlement. Les alliances vont se faire sur la base de deux choses. La première, ce sont les accointances idéologiques et la deuxième chose, ce sont les accointances personnelles. Du point des accointances idéologiques, on s’attend logiquement à ce que les formations politiques d’obédience sociale ou sociale-démocrate se regroupent et à ce que les formations politiques d’obédiences libérales se regroupent. Au-delà de ces paramètres, il y a un deuxième paramètre qui est déterminant, c’est celui des accointances personnelles. Le processus de modification de l’article 37 (qui limite le nombre de mandats présidentiels, Ndlr), l’insurrection, la Transition, ont contribué à rapprocher ou à désunir certaines personnes qui ont un pouvoir de décision dans leur formation politique. On a vu la manifestation de ces unions ou désunions lors des campagnes électorales. Nous avons des chefs de formations politiques qui ont clairement exprimé l’impossibilité pour eux et leur formation politique de travailler avec certaines personnes et partis politiques. Ces types d’affirmations vont aussi entrer en ligne de compte dans la possibilité de former des alliances. Si on met ensemble ces deux paramètres, on se rend compte de la difficulté à former des alliances. (…) Notons également qu’en politique, les décisions ne répondent pas toujours à des logiques rationnelles. Mais attendons de voir.
Au vu des éléments que nous avons abordés et du bon déroulement des élections, selon vous quel est le message véritable que le peuple burkinabè a voulu envoyer au reste des pays africains ?
Le premier message : le pouvoir appartient au peuple, la souveraineté appartient au peuple. Et le peuple burkinabè l’a démontré en récupérant son pouvoir des mains du CDP et de Blaise Compaoré par l’insurrection. (…) Il l’a également confirmé à travers sa réaction face au coup d’Etat. Deuxième message : la démocratie est devenue obligatoire en Afrique. Il faut désormais gouverner en tenant compte des aspirations fondamentales du peuple. Et quand on ne tient pas compte de cela, on ne pourra jamais gouverner ni rester au pouvoir. Il y a en somme une sorte de contrôle et de suivi de l’exercice du pouvoir par le peuple. Et ce pouvoir, il l’a exercé pendant la Transition et après la Transition.