En attendant la confirmation du Conseil constitutionnel suite à l’examen d’éventuels recours, le Burkina Faso se lève ce 1er décembre 2015 avec un nouveau président. Candidat du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), Roch Marc Christian Kaboré est en effet déclaré vainqueur du scrutin historique de dimanche dernier avec 53,49% des voix.
Il caracole en tête des quatorze prétendants au fauteuil présidentiel — son poursuivant immédiat, Zéphirin Diabré de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), n’est crédité que de 29,65% — tandis que le reste de la troupe traîne loin derrière, en dessous de 5% des suffrages exprimés. Le nouveau chef de l’Etat entrera donc dans son costume tout neuf de président du Faso avec une légitimité appréciable et une souveraine légalité, après avoir prêté serment et été investi dans ses fonctions, ainsi que le prescrit la Constitution.
Mais on peut d’ores et déjà saluer la belle unanimité avec laquelle les résultats provisoires de l’élection présidentielle du 29 novembre dernier, proclamés dans la nuit du 30 novembre par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), ont été accueillis par divers candidats à cette compétition. Une unanimité et un fair-play qui consacrent la victoire de Roch Marc Christian Kaboré dès le premier tour de ce scrutin tant attendu. Et qui soulignent bien que les Burkinabè sont déterminés à écrire une nouvelle page de l’histoire politique de leur pays.
La meilleure image de cette adhésion au verdict provisoire des urnes proclamé par la Ceni reste sans conteste le geste élégant de Zéphirin Diabré, appelant son adversaire d’hier pour le féliciter pour cette victoire, qu’il a personnellement saluée sur son compte Twitter, avant de faire le déplacement au quartier général de la campagne de Roch Marc Christian Kaboré. Et tout cela, avant même que la Ceni ne mette finalement fin, peu après minuit, au faux suspense qui régnait depuis l’après-midi. Incontestablement, dans son honorable défaite, Zéphirin Diabré a signé là la toute première sensation forte de l’après-élection. Un signal fort qui augure de l’ère nouvelle qui s’ouvre désormais pour le pays, au sortir de la transition, ouverte depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ayant mis un terme au régime du président Blaise Compaoré.
Viendra sans doute très vite le temps des comptes et mécomptes, mais en attendant, au lendemain de ces élections couplées — présidentielle et législatives —, dont on attend toujours du reste de savoir quelle sera la configuration du nouveau parlement burkinabè, on peut — et on doit — légitimement saluer l’exceptionnelle prouesse du Burkina Faso et des Burkinabè, qui ont donné, en l’espace d’un an, une éloquente leçon de démocratie, de mobilisation et de détermination à l’Afrique, voire au monde. Une éloquente leçon ? Non, plusieurs leçons qui mêlent réalisme, patriotisme, esprit de sacrifice…
C’est pourquoi le succès de cette élection présidentielle est d’abord et avant tout celui du peuple burkinabè. Ce succès porte en effet sa marque pleine et entière au regard du rôle majeur qu’il a joué pour que prospère un ordre nouveau dans ce pays. Sa quête de l’élargissement des espaces de liberté et du mieux-être, qui reste permanente, devrait achever de convaincre qu’il restera vigilant, jaloux de sa liberté et de sa démocratie retrouvée. En effet, est-il besoin de le rappeler, le peuple burkinabè aura payé un lourd tribut dans sa ferme volonté à esquisser les voies du changement.
Acteur majeur du processus électoral, la Ceni a accompli, pour sa part, un travail remarquable. En dépit des quelques ratés enregistrés çà et là au cours de la journée électorale du 29 novembre, l’instance de gestion du scrutin a tout de même gratifié le Burkina d’une élection globalement satisfaisante, crédible et transparente. Cerise sur le gâteau, elle a relevé le défi de proclamer les résultats seulement vingt-quatre heures après le vote. Une prouesse qui lui vaudra bien des fleurs à l’étranger, pour une expertise qui comptera certainement dans des processus électoraux africains.
Et pourquoi ne pas saluer enfin les quatorze candidats, qui ont animé une campagne assez correcte, et notamment celui d’entre eux qui obtient au final le ticket d’entrée à Kosyam ? Même si l’on peut déplorer les scores obtenus par le gros de la troupe, dont la contribution à l’expression plurielle des idées n’est guère négligeable, les résultats de cette élection soulignent aussi sans doute le travail de fond accompli par le Mouvement du peuple pour le progrès de Roch Marc Christian Kaboré et de ses compagnons, depuis leur rupture de ban d’avec l’ancien parti au pouvoir.
Ministre, Premier ministre, président de l’Assemblée nationale, Roch Marc Christian Kaboré, 58 ans, aura assumé toutes les hautes fonctions de l’Etat, avant d’accéder à présent à la magistrature suprême de son pays. Un parcours qui lui confère déjà «une véritable carrure d’homme d’Etat», selon le constat d’un diplomate en poste à Ouagadougou, peu avant l’élection.
En confirmant son statut de grand favori du scrutin qu’il vient de remporter haut la main, dès le premier tour, le nouveau chef de l’Etat sait qu’il a du pain de la planche et qu’il ne bénéficiera probablement pas d’une quelconque période de grâce. Des attentes sociales très fortes, une jeunesse en quête d’emploi, une construction démocratique à parachever… les chantiers sont si nombreux et si pressants pour celui qui incarnera à la fois l’après-Blaise Compaoré et l’après-Transition, dans un contexte où tout est devenu important et urgent. Sans compter que les méandres d’une géopolitique régionale et africaine complexe, avec notamment ses défis sociopolitiques et sécuritaires. C’est à peine si certains ne regardent pas le Burkina Faso comme une bête curieuse qui tente le diable là où des arguties juridiques et/ou des subterfuges politiques continuent d’anesthésier, voire d’euthanasier la limitation des mandats présidentiels.
De ce point de vue, la longue immersion du nouveau président élu dans le système politique peut constituer un atout, s’il sait s’entourer et jouer la carte du rassemblement, tout en évitant les erreurs d’hier. Car, et il le sait incontestablement, aucun faux pas ne sera pardonné à celui qui avait assuré, dans une interview au magazine panafricain Notre Afrik que «notre objectif est de gagner l’élection présidentielle et d’obtenir une majorité confortable à l’Assemblée nationale».
Si l’affaire est dans la boîte pour l’élection présidentielle, il reste à savoir, dans les heures à venir, ce qu’il en est de la «majorité confortable à l’Assemblée nationale». Là-dessus, les choses sembleraient plus corsées et il faudra sans doute, au MPP, batailler ferme pour mettre en cohérence sa parole électorale et ses actions présidentielles: «rendre accessible la santé pour tous, renforcer la protection sociale des travailleurs, endiguer les inégalités sociales, engager une gestion durable des ressources naturelles, créer des emplois pour les jeunes, mettre en place une éducation pour tous». Entre autres…
Certes, il faut encore attendre de voir le nouveau Burkina en marche, lorsque le président de la Transition aura transmis le flambeau du pouvoir au nouveau président élu et que les derniers actes de la Transition auront tourné la page de ces treize mois chauds et intenses. Il faudra attendre les premiers gestes, les premières décisions du nouveau chef de l’Etat, ausculter la marque qu’il imprimera d’emblée à son mandat, à la gouvernance générale du pays… Pour sentir davantage le souffle du vent nouveau. Pour s’apaiser des douleurs du passé et projeter l’avenir avec espoir. Mais dans cette attente, le Burkina Faso, «pays des Hommes intègres», n’a-t-il pas déjà vaincu la fatalité?
Par Serge Mathias Tomondji