C’est dans une véritable ferveur et globalement dans un calme olympien que les Burkinabè ont accompli, hier, leur devoir de citoyens à l’occasion des élections couplées, présidentielle et législatives. Ce double scrutin, considéré par tous les analystes comme le plus ouvert et le plus transparent de l’histoire du Burkina Faso, est venu consacrer la fin d’une période de Transition politique enclenchée depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, et la chute suivie de la fuite de l’inamovible président Blaise Compaoré. Les Burkinabè sont allés voter en masse pour non seulement refermer la page de l’ancien régime, mais aussi et surtout pour exprimer leur foi en la démocratie qu’ils ont vaillamment défendue et restaurée. Quoi de plus normal et de plus légitime donc pour un peuple qui a consenti trop de sacrifices et payé un lourd tribut en termes de perte en vies humaines (plus de 50 martyrs et des centaines de blessés en l’espace d’une année), que d’exprimer son engouement et son entrain à l’heure du choix de celui qui présidera aux destinées du pays durant les 5 prochaines années. Ce d’autant que depuis la chute en janvier 1966 du premier président de ce pays, Maurice Yaméogo, c’est la première fois que l’on voit un scrutin se dérouler sans un président sortant. Un scrutin largement ouvert s’il en est, et qui donne au citoyen le sentiment fort et profond que sa voix compte dans la construction du destin du Burkina Faso ; toute chose qui le revalorise dans toutes ses dimensions.
Au regard de l’ambiance bon enfant et sans précédent dans laquelle se sont déroulés les votes, on peut dire avec fierté qu’on s’achemine vers la fin heureuse de cette longue et laborieuse marche vers une véritable démocratie, entamée depuis l’effondrement du système monopolistique de Blaise Compaoré. A la fermeture des bureaux de vote, hier à 18h, en effet, nombreux sont ceux qui ont poussé un soupir de soulagement, d’autant que des prédictions alarmistes avaient annoncé une fin chaotique, voire tragique de la Transition, en faisant état de risques de perturbation et de sabotage que « certains éléments incontrôlés » de l’ancien régime et leurs soutiens extérieurs supposés auraient pu entreprendre. Si ces prophéties apocalyptiques ont réussi à alourdir le climat sociopolitique pendant toute la durée de la campagne électorale et même avant, c’est parce que des actes allant dans ce sens ont été posés par les caciques du système Compaoré, à commencer par le tristement célèbre Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Dans le hit parade des éléments déstabilisateurs de la transition, en effet, il y a évidemment ce putsch foireux perpétré le 16 septembre dernier par l’homme-lige de Blaise Compaoré, le Général de brigade Gilbert Diendéré. Mais face à la résistance du peuple burkinabè et aux condamnations tous azimuts des amis et partenaires du Burkina, les « négationnistes » du RSP et leurs soutiens civils ont fini par jeter l’éponge ; certains ont été mis aux arrêts, d’autres, certainement les plus athlétiques d’entre eux, ont réussi à se réfugier dans l’un des pays voisins du Burkina.
Le président qui sortira des urnes sera l’otage du peuple insurgé
C’est dire que le double scrutin organisé hier, a été le couronnement de ce qu’on pourrait assimiler à une véritable course d’obstacles au cours de laquelle certains champions de la démocratie et de la légalité républicaine se sont particulièrement illustrés. Si la médaille d’or revient à l’ensemble du peuple burkinabè, on pourrait tout de même faire une mention spéciale au Président de la Transition, Michel Kafando, et à son Premier ministre, le désormais Général de division Yacouba Isaac Zida, pour avoir choisi de se ranger du côté du peuple plutôt que de celui des « forces du mal ». On ne saurait occulter le rôle éminemment déterminant du président du Conseil national de la Transition, Chérif Sy, qui a courageusement appelé à la résistance, au moment où la bande de Diendéré sévissait contre la population civile au lendemain du putsch du 16 septembre dernier. Et que dire de la contribution du Mogho Naaba Baongo, dont le palais a toujours été le point de convergence de toutes les âmes. Et puis, il y a son arbre à palabres sous lequel bien des décisions salvatrices pour le pays, ont été prises. On pourrait également féliciter les OSC pour leur réactivité à chaque fois que la Transition a été parasitée par des nostalgiques d’une époque révolue, et saluer les leaders politiques pour leur maturité et leur patriotisme, eux qui ont accepté de mettre en sourdine, même pendant la période de campagne, leurs habituelles querelles picrocholines afin de garantir à la Transition, une fin en apothéose. Ajoutons enfin, à ce tableau d’honneur, l’armée burkinabè, qui à non seulement réussi à désarmer pacifiquement ses frères d’armes du RSP, mais également à sécuriser le pays pendant toute cette période sensible de campagne électorale et d’organisation du scrutin.
En un mot comme en mille, on peut dire que le Burkina Faso, qui cristallise l’attention de toute la communauté africaine et internationale depuis plus d’un an, est en passe de réussir l’exploit copernicien de déboulonner un système aux multiples ramifications, et d’organiser, en un temps relativement court, des élections que même les esprits les plus contestataires reconnaissent comme faisant partie des plus démocratiques jamais organisées sur le continent. Mais malgré ces lauriers et l’organisation presque parfaite de ce double scrutin du dimanche, les Burkinabè doivent garder, pour ainsi dire, la tête sur les épaules et se rappeler toujours qu’il reste d’énormes défis à relever, au nombre desquels l’acceptation des résultats par tous les candidats en compétition, et la prise en compte par les futurs dirigeants, des aspirations du peuple. Car, le président qui sortira des urnes, même paré de sa légitimité exemplaire et sans précédent, ne sera ni plus ni moins que l’otage de ce peuple insurgé, de plus en plus exigeant et regardant sur la gouvernance du pays. C’est sans doute conscient du travail titanesque qui attend le futur locataire de Kosyam qu’un citoyen burkinabè, clairvoyant et avisé, a lancé cette boutade : « malheur à celui qui sortira vainqueur de ce scrutin présidentiel du 29 novembre 2015 ». A bon entendeur, salut !
Hamadou GADIAGA