En marge de la campagne officielle et de la rhétorique convenue des meetings, les débats politiques battent leur plein dans les services, les marchés et les quartiers. Tout juste une semaine avant le scrutin législatif et présidentiel de dimanche prochain, nous avons voulu prendre la température à l’ombre d’un manguier de Gounghin (Ouagadougou). Bilan : du thé, des idées, et beaucoup de gr(a)in à moudre !
Le décor est simple. Une table, un banc, quelques chaises pour s’asseoir. Un petit réchaud au charbon, un service à thé, un jeu de cartes pour se divertir. Et surtout un indispensable manguier pour se protéger du soleil. Bref, un « grin » comme il y en a tant dans la capitale. Plusieurs amis s’y retrouvent presque tous les jours de la semaine, « surtout le dimanche », pour bavarder et débattre de « sport, d’actualité sociale ou de politique». « Les échanges sont parfois houleux, mais toujours sans agressivité ! », assure en chœur cette petite douzaine de joyeux trentenaires.
En ce dernier week-end de campagne avant les élections couplées de dimanche prochain, le sujet de discussion est tout trouvé. « C’est le scrutin le plus ouvert de l’histoire du pays, et pourtant j’ai l’impression d’être sous-informé, » débute Nordine, chemise rayée et chapeau blanc posé sur son crâne parfaitement rasé. « Pour moi, ce choix c’est un peu comme jouer au PMUB, avec toutes les chances de miser sur un tocard. Alors je n’imagine même pas ce que cela peut donner pour le paysan qui ne sait ni lire ni écrire », s’inquiète celui qui passe le reste de la semaine à enseigner dans une école de Sabou.
« Pour aller dans ton sens, je dirais même qu’il y a un double analphabétisme : il y a ceux qui sont illettrés, mais il y a aussi ceux qui n’ont pas accès aux outils numériques pour s’informer en détails sur les programmes », complète Soumaïla, salarié d’une ONG danoise qui oeuvre pour l’éducation et la bonne gouvernance. Ironie de la situation, le jeune homme sort alors son smartphone pour montrer la photo d’un leader religieux en adoration devant une affiche à l’effigie d’un candidat. « C’est comme ça que tous les fidèles que vous voyez derrière lui vont voter pour le parti en question! » s’emporte-t-il. Premier intermède pour servir le thé.
« On va voter seulement pour accomplir notre devoir civique »
Une fois les verres descendus, seules la mousse et les idées restent. Soumaïla reprend son téléphone et commence à lire les priorités d’un des favoris de l’élection à venir. « Comment, comment, comment ? » interroge son public après chaque déclaration. « Tout cela, c’est de la dissertation, du verbiage ! Lors des meetings, chacun raconte sa vie et il n’y a aucun fond. De la musique, des grosses voitures, du brouhaha… Ce n’est pas un programme ça! On va voter seulement pour retrouver la stabilité et accomplir notre devoir civique », se désole David, qui a troqué son hebdomadaire tenue de fonctionnaire pour un long bazin marron.
Chacun y va alors de sa critique du système scolaire, de la corruption, des mentalités… Mais aussi de sa proposition pour faire bouger les lignes. « Il n’y aura aucun développement sans l’alphabétisation de masse, l’éducation et la santé. Thomas Sankara a montré que c’était possible. Le sous-développement, ce n’est pas une question de moyens, mais c’est avant tout dans la tête », résume Soumaïla, prenant l’exemple du six-mètres derrière lui : «si chaque maison s’équipe d’une ampoule au néon, toute la rue sera éclairée et les voleurs ne pourront plus profiter de l’obscurité pour commettre leurs méfaits. Il n’en coûtera à chacun même pas 1000 FCFA d’électricité par mois. Il ne faut pas attendre que les autorités installent l’éclairage public pour régler ces problèmes ! » développe ce riverain de Pissy. Second intermède pour servir le riz gras, partagé « en famille ».
« Nous savons désormais que nous sommes la première force du pays »
Cette fois-ci, les bouches n’attendent pas de voir le fond du plat en étain pour alimenter le débat. «Vous savez qu’au Danemark, l’école est gratuite? Et comme les Danois paient 50% d’impôts, ils peuvent par exemple se plaindre quand l’état des routes ne leur convient pas», ajoute encore Soumaïla, nourrissant une approbation unanime.
« Le changement va venir ici », conclut David. «Ce ne sera pas avec le prochain président, mais depuis l’insurrection populaire les esprits sont en veille. On l’a vu avec le coup d’Etat avorté de septembre. Le dirigeant qui ne prendra pas en compte les aspirations du peuple sera automatiquement chassé. Les jeunes représentent aujourd’hui 75% de la population burkinabè, et nous savons désormais que nous sommes la première force du pays.»
Ces chantres du changement sont-ils engagés dans des partis? « Pas les partis! » Des organisations de la société civile? « Tu parles, mais les OSC ne t’écoutent pas ». Non, aujourd’hui ils leur préfèrent les réseaux sociaux. Et surtout l’ancestral arbre à palabres, où naissent et s’affûtent toujours leurs arguments.
Thibault Bluy