«Chez Me Zampaligré ? C’est la maison avec barbelés à droite, vous ne pouvez pas vous tromper», nous indique ce 17 novembre un passant à qui nous demandons notre chemin à l’entrée de la cité AZIMMO de Ouaga 2000. Effectivement, il est difficile de ne pas remarquer cette villa qui se distingue des autres. Pas qu’elle soit d’un luxe insultant, mais d’un charme certain avec sa verdure, son garage à gauche de la cour, sa piscine à droite et une allée conduisant à la terrasse grillagée. La maîtresse des lieux, aux traits métissés, nous accueille le sourire aux lèvres. «Maître est en plein enregistrement», nous informe-t-elle en nous donnant de la place sur la terrasse. «Il a un autre enregistrement après vous et un rendez-vous en ville », nous ajoute Félix, «le chargé de com., visiblement maniaque du temps, alors que c’est notre tour d’être reçu au salon par le candidat à la présidentielle Me Issaka Zampaligré, qui prend place sur le divan du côté de l’abat-jour et du poste radio. En face de nous la télévision est éteinte. Le temps de boire un peu d’eau fraîche que nous sert notre hôtesse et l’entretien peut débuter à côté de différentes photos encadrées du candidat et de son bonnet de chef déposé sur le buffet qui rappellent ses différentes… casquettes.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis maître Issaka Zampaligré, je suis candidat indépendant à l’élection présidentielle au Burkina Faso de cette année 2015. Je suis spécialisé en banque et finance et j’ai beaucoup travaillé dans les banques primaires comme la banque calvaire pendant un certain nombre d’années avant d’être sollicité par la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest, la BCEAO, pour y conduire des chantiers de réformes dont le système comptable ouest-africain, le référentiel comptable SYSCOA, la mise en place des structures institutionnelles d’accompagnement de ce référentiel comptable. Ce référentiel représente les ordres nationaux des experts-comptables ONECCA, ainsi que les conseils nationaux de la comptabilité, de même que le statut général des centres de gestion agréés. Nous pensions à l’époque pouvoir ramener progressivement nos économies informelles dans les secteurs plus formalisés pour que demain nous puissions atteindre ce que nous appelons une justice fiscale vers une justice de développement équilibré. Après ces chantiers, j’ai pris part à l’écriture des textes qui, aujourd’hui, régissent la lutte antiblanchissement et contre le financement du terrorisme avec des pans entiers du système de moyens de paiement de notre sous-région, l’UEMOA. A la suite de la BCEAO, où j’ai passé douze années, j’ai été à la Banque africaine du développement (BAD) pour accompagner des financements de projets dans le département des services juridiques et c’est là que j’avais en portefeuille la plupart des Etats africains noirs d’obédience francophone auxquels j’ajouterais le Cap-Vert et la Mauritanie qui faisaient aussi partie de ce portefeuille. Voilà à peu près comment est-ce que j’ai cheminé jusqu’en 2010 où le premier Cabinet d’avocats français dénommé Fidal m’a recruté avec 1400 avocats dont 260 associés et j’étais membre pour y diriger le desk Afrique. Aujourd’hui, je rends grâce à Dieu parce que j’ai mon propre cabinet à Paris dans le 1er arrondissement, de même qu’au Burkina, je dispose d’un cabinet d’avocats.
Là, c’est le côté professionnel de Me Zampaligré ; et côté jardin ?
Me Zampaligré est marié avec une femme redoutable d’ailleurs qui continue de me torturer. Elle s’appelle Martine Zampaligré, elle est Française originaire de la Guadeloupe. Avec mon épouse, nous avons deux garçons : le 1er s’appelle Alan Zampaligré, il est en première au lycée Marcelin-Bertelot de notre lieu d’habitation en France qui est Saint-Maur-Des-Fossés, et son petit frère, moins âgé, se prénomme Adrien Zampaligré, lui, est en classe de CM1. Nous habitons à La Varenne, Saint Hilaire et il fréquente à l’école primaire des Muriers en France.
Quid de votre expérience politique au Burkina ?
Mon expérience politique a malheureusement commencé trop tôt avec d’énormes souffrances parce que dans les années 1988-1989, à l’entame du Front populaire dans toute sa rigueur de mise à mort d’un processus libérateur de tout un pays, il s’était acharné sur ma personne. C’est ainsi que j’ai passé deux mois entiers dans le sous-sol de la Sûreté nationale. A l’époque, le responsable de cette instance s’appelait Madi Pascal Tapsoba. Et c’est entre les mains de la police que j’ai atterri et je rends grâce à Dieu parce qu’en son temps il y avait plusieurs centres opérationnels. Il y avait des militaires au Conseil de l’Entente qui procédaient eux-mêmes à des enlèvements de nuit et il y avait également la gendarmerie nationale qui faisait les mêmes opérations pour faire taire définitivement la voix de la justice et de la libération que nous avions enclenchée déjà en 1983. C’est dire qu’à l’époque j’étais obligé, lorsqu’une voiture se garait devant la porte, de prendre le mur du voisin et de chez lui je demandais l’identité de celui qui était venu.
Comment et pour quelles raisons avez-vous été arrêté ?
Pour en venir à mon arrestation, une nuit, lorsque je rentrais de mes études, comme il n’y avait pas d’électricité dans la maison familiale, je partais sur ma mobylette que je garais, avec la générosité des gardiens, autour de la SOCOGIB, qui n’était pas encore bâtie, pour errer, lorsque vous avez le ventre un peu rempli, afin d’étudier à la belle étoile à la lumière publique. Un jour, de retour chez moi vers 1h du matin, je suis entré me coucher, quelque temps après ma mère est venue me réveiller pour dire que j’avais de la visite. Très vite, j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. Alors j’ai fait remarquer à ma mère l’heure qu’il était et elle est repartie très vite sur ses pas. C’était une période de haute chaleur et nous dormions tous dehors soit sur une natte soit sur un matelas. J’étais le seul homme de cette famille et lorsque les personnes qui me demandaient ont vu quelqu’un couché, ils ont cru que c’était moi, alors que c’était mon frère Issouf qui faisait ses études en Egypte qui était de passage au Burkina. En entendant ces propos, il a fait semblant et est entré dans la maison comme pour me chercher, et il leur a fait savoir que ma moto est là mais que moi-même, j’étais certainement chez l’un de mes amis en train d’étudier. Du coup, cela a mis fin à leur suspicion et ils ont fait demi-tour. Quand il les raccompagnait à leur véhicule, ces derniers ont prétendu être venus de Tenkodogo et qu’ils avaient une commission à remettre à notre famille. Mais nous savions qu’il n’y avait personne de Tenkodogo pour nous envoyer une commission à cette heure-ci.
L’un d’entre eux a donné le nom de Boureima alors que tout cela n’était que de la mascarade. Juste pour vous dire le climat dans lequel nous avons vécu. Mon passeport m’a été retiré. Après les deux mois passés à la Sûreté, je ne peux pas vous dire aujourd’hui ce qu’on me reprochait parce que les policiers qui m’ont retenu dans le sous-sol m’ont dit que ceux qui avaient demandé de m’arrêter ne demandaient plus après moi mes nouvelles : «Nous allons prendre la décision propre de libération, mais c’est à vous de faire en sorte qu’on ne puisse pas remettre en cause cette bonne décision que nous avons prise.» J’ai répondu favorablement à cela puisqu’un prisonnier ne recherche que la liberté. C’est ainsi que je suis parti de chez eux un soir retrouver ma famille. Jusqu’à ce que je quitte ce pays et revenir travailler à la BCEAO, à la BAD et aujourd’hui au Burkina parce que notre pays est à la croisée des chemins et a besoin de justice personne n’a plus demandé après moi. De ce fait je m’engage à concourir et à incarner cette justice.
Après tout ce temps, n’avez-vous pas cherché à faire la lumière sur cette affaire ?
Non. Ce que j’ai subi à l’époque par rapport à ce que d’autres Burkinabè ont vécu, moi j’ai eu la chance que Dieu m’ait préservé. Si j’avais été pris cette nuit, peut-être que vous ne n’auriez pas connu Issaka Zampaligré, né le 15 juillet 1965. D’autres n’ont pas eu les mêmes chances, les Chériff (NDLR : Cheriff Sy) ont été bastonnés, son père a dû envoyer le réanimer. Certains écoliers ou universitaires ont connu le même sort. Ce jour-là je suis parti pour acheter un médicament, je suis revenu trouver que les militaires étaient passés et toute l’université avait été bastonnée. J’ai juste eu le temps de prendre ma P50 et de disparaître au quartier Zogona où nous habitions.
Et depuis, vous n’en avez pas eu d’échos ?
Je pense qu’eux-mêmes ne pouvaient pas le dire puisqu’ils disent que ceux qui leur avaient dit de m’arrêter ne sont plus revenus. C’est ce que la police m’a fait savoir et les faits sont vérifiables. Il y avait les autorités de la police à l’époque, puisque je vous ai donné un nom. Malheureusement, je déplore que le monsieur ait disparu, c’est lui qui était aux commandes des opérations, il s’appelait Tapsoba Madi Pascal. D’autres personnes comme les Tapsoba Kouka Pierre, qui m’avaient retiré le passeport, eux, sont encore vivants. Moi, je vous dis ce que j’ai vécu. Je n’avais rien fait, ils n’ont jamais dit pourquoi j’ai été enterré pendant deux ans alors que ma vocation, c’était d’étudier et de pouvoir réussir à l’école de droit à ce moment, mais personne n’en a parlé. Je pense que ceux qui ont subi des affres en ce moment-là étaient plus nombreux, il y en a qui ont disparu, on ne sait pas ce qu’ils sont devenus et où est-ce qu’ils ont été enterrés. Ce que j’ai subi était le moindre mal. Mon sort était quand même beaucoup plus reluisant que celui de bien d’autres Burkinabè. Aujourd’hui, ce que je souhaite, c’est que nous puissions tourner la page pour que nos enfants ne puissent pas connaître ces moments de ténèbres, mais c’est un processus qui s’était engagé comme ça et je le déplore aussi parce que peut-être que pendant la révolution d’autres personnes ont subi le même sort, et je ne peux pas vous dire que ce que j’étais en train de subir était bon ou pas, c’était le climat général, une façon de gouverner qui existait peut-être bien avant. Moi, je vous dis qu’aujourd’hui ce qui va être important pour nous : c’est comment on peut tourner le dos à tout ce qui n’était pas bon et reconsidérer le Burkina comme une seule et même famille parce que nous aurions eu le mérite d’installer la justice au cœur de nos modes de régulation sociale. Je pense que hier c’était hier, demain disons nos maux, mettons le doigt sur ce qui n’était pas bon, essayons aussi à la même occasion de dire ce qui est bon dans ce que nous avons fait hier et essayons de consolider les acquis parce que c’est comme ça qu’on va avancer par palier, par étape. Dans mon projet de société par exemple, je préconise une réforme institutionnelle majeure qui part de la constatation que seul le Moro Naaba nous a permis de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous sommes retrouvés lors du coup d’Etat du 17 septembre 2015. Aucun article de l’Etat moderne, de l’Etat républicain, aucun mécanisme, aucune institution n’a permis de dire à nos braves militaires qu’ils n’avaient pas le droit de se battre en pleine ville avec des armes chèrement acquises à la sueur de nos fronts. Un homme a pu le faire mais depuis cette libération, je vous lance le défi de trouver dans un de nos textes quelque chose qui parlera de ces personnes-là. On ne va pas continuer à les garder dans l’anonymat. Voilà une valeur positive que nous devons sacraliser. C’est aussi cela l’Africain, notre altérité.
N’est-ce pas là plutôt le chef du village de Bampèla que vous êtes qui plaide pour leur cause ?
Non, en acceptant depuis Paris de revenir succéder à mon père, j’avais à dessein de normaliser notre situation. J’en avais marre que des Burkinabè continuent de s’asseoir sur deux chaises. Ce sont ces mêmes chefs traditionnels que vos pouvoirs successifs en 27 ans ont permis d’asseoir. Les votes, les semblants de votes, pour dire à l’Occident que nous sommes aussi comme eux, nous sommes démocrates, vous nous donnez de l’argent parce que le président Mitterrand avait dit au discours de la Baule : point de démocratie, point de multipartisme, point d’aide. Moi, je dis qu’on peut se regarder dans une glace et dire la vérité sur nos modes de régulation sociétale.
Et par normalisation, entendez-vous un statut particulier des chefs traditionnels ?
Je pense qu’on ne peut plus continuer à ignorer formellement le statut des chefs traditionnels dans ce pays-là, nous ne pouvons plus continuer à assister à la coexistence de deux ordres. Déjà le mode occidental de l’Etat et son dispositif juridique, tout se passe en dehors de ce monde-là, tout se passe en dehors du droit. Le droit n’intervient que de manière conjoncturelle lors des crises entre les personnes, les relations interpersonnelles et aussi de manière collective sinon le reste est fait ailleurs. Les gens s’entendent, font des affaires et vivent leur vie normalement. Tout se passe en dehors du droit. Mais il y a une chose qu’il faudrait maintenant reconnaître : nous avons atteint les limites de la supercherie, de l’hypocrisie. Nous allons maintenant dire qui nous sommes, nous allons faire en sorte que la meilleure des règles, le meilleur des systèmes soient instaurés dans notre pays. On ne peut être en ville, celui qui est citoyen moderne incarnant l’Etat républicain, incarnant l’Europe, l’Occident, et le soir nuitamment se retrouver dans le village en train d’implorer les chefs traditionnels parce que leurs valeurs, leurs traditions nous sont d’une aide. C’est de l’indignité.
Doit-on comprendre que si vous êtes élu au soir du 29 novembre prochain, vous allez déposer votre bonnet de chef ?
Je ne pense pas que le bonnet de chef, je le porte. Je ne le porte même pas. Je vais vous faire une révélation : Boigny était le chef traditionnel de son village. Pareil pour Gérard Kango. C’est parce que nous n’avons pas le courage d’aller jusqu’au bout de nous-mêmes en affichant tout dans la transparence. La gouvernance républicaine de demain sera transparente. Nous allons dire à l’Occident qui nous sommes. Les valeurs positives que nous acceptons, nous allons les reconnaître. Demain, ne comptez pas sur moi par exemple pour instaurer une loi sur l’homosexualité. Je suis de ceux qui pensent qu’il y a deux façons de mal préparer l’avenir. D’abord par l’accumulation des dettes et ensuite ne pas savoir investir dans les secteurs productifs, moteur de l’économie. Je le dis avec la mort dans l’âme quand je constate que le Burkina Faso, qui est le premier producteur de coton, a accepté fermer en un jour un fleuron de notre économie que représentait Faso Fani en mettant à la ruine et à la mort 1000 employés. Ce serait peut-être une justice si nous reprenons le processus inverse d’industrialisation qui va nous permettre d’arriver au marché de la mondialisation, ne serait-ce que sur le plan interne. Nous n’allons pas continuer à demeurer des consommateurs. Cela n’a pas d’avenir et c’est pour cela que notre jeunesse manque d’emplois. C’est parce que nous sommes très endettés qu’aujourd’hui nos geôliers, les banquiers, nous disent comment il faut marcher parce qu’eux ont investi, ils ont non seulement besoin de recouvrer leurs créances mais aussi ils nous savent irresponsables. Ils savent que nous sommes à l’endroit où la rentabilité de l’investissement est plus élevée même s’il y a une grande partie de la population qui gît dans la misère. Voilà pourquoi nous n’avons pas la possibilité d’embaucher au secteur public et au privé. Aussi tout simplement parce que nous n’avons pas su imposer des systèmes de passation des marchés où au moins 70% de nos ressources servent notre économie réelle. Pour moi, ça ne veut pas dire grand-chose d’utiliser la voie de l’emprunt pour faire rayonner son économie en faisant en sorte que la somme que vous empruntez au débiteur soit la somme qui serve à nourrir votre économie.
Justement, vous avez plusieurs casquettes ; en plus vous avez également ajouté le bonnet rouge de chef avec pour nom «la promesse de Dieu s’accomplit toujours». Est-ce une promesse de Dieu que votre candidature à la Présidentielle ?
Je ne sais pas. J’ai écouté mon cœur tout simplement.
Vous avez dit que vous étiez candidat «par devoir», que doit-on comprendre par là ?
Par devoir parce que notre situation interpelle chaque fils du pays. Vous auriez pu faire la même chose. Tous ceux qui sont indignés, qui recherchent un chemin, le renouveau, la renaissance, une solution de demain pour que le vivre-ensemble, le partage, redevienne le critère de nos vies, et non pas l’argent, tous ceux qui savent que le Burkinabè a besoin de dignité et de liberté avaient le même devoir.
Mais on ne peut s’empêcher de se demander ce que diable vous êtes venu chercher dans cette galère…
Je suis né ici. Et si Dieu en a décidé ainsi, il avait ses raisons. J’ai beaucoup de foi. C’est le Burkina qui m’a donné la chance de vivre. Moi, je me suis consacré à beaucoup de pays tout en ayant mon cœur et cette présence au pays. Chacun de nous devrait se mettre debout maintenant pour dire que nous voulons vivre. Il n’y a aucun bonheur pour moi d’être dans un palais, dans une situation confortable, si au Burkina il n’y a pas de vie décente. Tout mon effort va servir à quoi ? Envoyer de l’argent à ma famille comme je l’ai toujours fait. Est-ce que ça va suffir ?
A ce sujet, on a vu par le passé des Burkinabè vivant en Europe rentrer au pays et se présenter à des élections pour servir de pions à d’autres candidats afin de préparer leur retour au pays ; qu’est-ce qui nous prouve que ce n’est pas également votre cas ?
Oh ! Vous savez, si je voulais être Premier ministre au Burkina Faso, je l’aurai été puisque ce sont mes collègues qu’on est venu chercher à la BCEAO pour en faire des ministres d’Etat, des Premiers ministres, etc.
On vous l’a proposé ?
Non, on ne me l’a pas proposé mais on ne pouvait même pas me le proposer. Vous savez, ils savent qui est Zampaligré. Tous ceux qui ont été à la BCEAO et qui sont toujours vivants le savent, même Charles Konan Banny le sait. On ne pouvait pas le faire, mais j’ai toujours traité les gens avec la même grâce et la même compassion parce qu’ils sont tous des Burkinabè.
On ne peut pas condamner les gens parce qu’ils sont des autorités. Ce qu’on peut faire, c’est leur indiquer le bon chemin. Nous avons aujourd’hui la preuve que les œuvres de ces derniers n’étaient pas bonnes. On ne va pas, au moment de ramasser les copies d’une épreuve d’examen, demander de remettre en route de nouvelles épreuves.
Tout se passe comme si aujourd’hui on découvrait ce qui se passait dans ce pays. Or, tout ce qui se passait ici a eu des noms, des mains, des cœurs, des esprits des intelligences qui l’ont conçu et qui l’ont mis en œuvre. Ce n’est pas juste de penser que quand le roi a pensé qu’il était temps de changer de serviteurs autour de la table c’était le moment de revêtir la toge de l’opposition. Ce n’est pas crédible et tout le monde le sait.
Votre programme est intitulé : «Ensemble pour un Burkina de justice, d’équité et de prospérité inclusive» ; oui mais avec quels moyens ?
Nous avons des moyens. Il nous suffit de réduire le train de vie de l’Etat et de consacrer peu de ressources aux dépenses inutiles.
Est-ce que mettre en location le palais de Kosyam comme vous l’avez récemment préconisé est vraiment l’une des solutions les plus pertinentes pour réduire le train de vie de l’Etat ?
C’est un des moyens aussi. Je ne veux pas afficher une prospérité grandiloquente qui impressionne et qui séduise mes compatriotes. Je veux montrer la réalité économique de notre pays. Vous savez, cette maison (sa propre maison située à la cité AZIMMO de Ouaga 2000) est un trop grand luxe pour moi comparativement à la situation économique difficile de nos populations dans leur large majorité. 95% des Burkinabè n’ont même pas de quoi manger chaque jour régulièrement. Vous pensez que mon souci sera de leur montrer que nous ne sommes plus pauvres ? Non. Disons la vérité aux gens, revoyons le train de vie de l’Etat, identifions les postes prioritaires de survie de nos populations afin que demain, s’il y a 100 F CFA dans les caisses de l’Etat, chacun puisse avoir même si c’est 1 F CFA. Même s’il faut revendre ces cravates et ces vestes-là et faire des économies au niveau de l’Administration. Quand on gagne 100 FCFA, on ne peut pas dépenser 200 FCFA. Je ne suis pas de ceux qui vivent dans les nuages. L’état de contentement, c’était cela aussi le Burkinabè.
Une question d’actualité, c’est la crise universitaire. Que proposez-vous pour résoudre définitivement cette crise ?
Vous êtes perdu si vous pensez qu’il faut agir toujours dans le court terme parce que vous aurez à subir et non à agir. La communauté scientifique et universitaire qui regorge d’autant de compétences parce que les diplômes sont grandiloquents me dira dans un délai très réduit comment elle pense résoudre cette crise parce qu’ils sont payés pour ça. Cette même communauté universitaire me dira dans un délai très réduit quel type d’adéquation devrions-nous faire entre étudier et avoir de l’emploi. Je leur demanderai également pourquoi on ne mettrait pas dans chacune de nos régions un lycée technique professionnel parce que je sais que quand on a un métier on ne manque jamais d’emploi. Je leur demanderai comment ils ont pu penser et concevoir que l’on puisse transmettre le savoir à 1000 étudiants dans une salle. Où est-ce qu’ils ont appris ça ? Pas en Occident en tout cas, le berceau qui les a formés. Je veux leur dire enfin qu’il ne faudra plus mentir, il ne faudra plus se contenter de l’enseignement théorique parce que l’immersion de cette jeunesse-là dans la vie active, dans l’entreprise, se passe déjà à l’école. J’ai mis dans mon projet de société un cas qui est le cas du Costa Rica ou du Ghana à côté où justement on a une possibilité d’articulation heureuse entre former quelqu’un et la production qui est le seul moyen de vivre dignement. Le système éducatif actuellement qui a des difficultés, ce n’est pas ça la question. La véritable question est est-ce que ce système même modifié, articulé autrement à la convenance des étudiants et des professeurs, permettra d’atteindre l’objectif que nous poursuivons. Avant, on pouvait ne pas avoir de diplômes et avoir du travail mais aujourd’hui même s’il est bien articulé en termes d’acquisition de connaissances, les gens sont chômeurs, comment vous allez faire pour qu’ils retournent dans leur village puisque vous n’avez pas de charrues dans les villages pour les contenir, vous n’avez pas doté ces villages d’aucun moyen qui permette l’amorce de la modernisation de cette agriculture ? Vous appelez des gens devenus adultes et qui sont en ville, qui ont l’accoutumance d’un certain mode de vie et qui n’ont plus leur place en ville. Ils vont devenir des délinquants, des criminels et c’est comme ça que nous allons être détruits.
Pour revenir à la justice, c’est l’un des gros chantiers qui attendent le futur président. Vous nous avez conté votre histoire, les dossiers de crimes économiques et de sang qui dorment dans des tiroirs ne se comptent plus, le justiciable burkinabè n’a plus confiance en notre système judiciaire. Maître, avec quel bâton magique vous allez résoudre tous ces maux ?
Il n’y a pas de bâton magique. Il y a seulement à se souvenir de la formation de juristes qu’ils ont et de l’obligation qu’ils ont de travailler parce qu’ils perçoivent un revenu. Un délai leur sera accordé et les décisions que ces magistrats rendront seront rendues publiques. Il n’y a pas besoin de magie pour ça. Si vous avez un salaire à L’Observateur Paalga, vous avez l’obligation de travailler, c’est ce qui vous a amenés chez moi ce matin. Il n’est pas normal que les gens perçoivent des doubles revenus et ne fassent même pas leur travail, nous allons être ferme dessus. Nous connaissons les textes, on va dire mais vous avez pu rendre cette décision sur quelle base puisqu’on va voir ce qu’ils ont produit. On va pouvoir mesurer les performances des uns et des autres. C’est ça la justice sociale, on ne va pas entretenir des gens qui sont des serpents dans nos nids. C’est aussi simple que ça.
On est à l’heure des pronostics. Quel score vous pronostiquez personnellement au soir du 29 novembre ?
Moi, je veux être ce président qui va arriver soit le 29 soit après le 29. C’est ce que je souhaite. Les statistiques, on n’en a même pas ici. Nous n’avons pas d’appareil statistique. Vous savez, tout ce que vous entendez comme chiffres mirobolants, vous savez qui nous transmet ça ? C’est le FMI parce que notre appareil statistique n’existe pas, parce que tout est faux. Mais, on peut informer l’opinion par d’autres façons. Que chacun continue de se chatouiller pour rire mais aujourd’hui le peuple burkinabè a les yeux ouverts et est debout et nous n’allons pas rester en position couchée. Rappelons-nous que ce n’est pas les seuls véhicules de l’ancien régime qui seront brûlés, nous ne serons pas épargnés si nous n’avons pas de solutions pour cette jeunesse ; si nous ne restaurons pas l’égalité, la justice sociale, le même fléau frappera chacun d’entre nous, quel que soit le président qui arrivera.
Si vous êtes élu, les 100 premiers jours, à quoi allez-vous vous atteler ? Votre villa sera-t-elle la nouvelle présidence du Faso ?
Moi, je demeurerai ici, je ne déménagerai pas d’ici dans cette maison qui est ouh la la, beaucoup plus vaste pour moi. On a tout ici, notre maison est bien, qu’est-ce qu’elle a ? On peut aller recevoir les gens qui viennent de l’étranger quelque part d’autre, dans les maisons de la République. On ne va pas avoir des systèmes de vie artificielle où on se chatouille soi-même. Les gens sont pauvres, ils cherchent à manger, ils n’y arrivent pas, le président doit incarner cette réalité-là en vivant modestement. C’est ce que je pense et c’est ce que je propose aux Burkinabè.
Hyacinthe Sanou,
Mireille Bayala
&
Pélagie Bassolé (stagiaire)