Dr Cyriaque Agnekethom, chef de la division armes légères de la CEDEAO : « Certains leaders politiques pour asseoir leur pouvoir ont créé des milices qu’ils ont armé »
Présent dans la capitale burkinabè dans le cadre d’un programme de formation sous-régional sur la prolifération des armes légères et de petit calibre du 7 au 10 mai 2013 , le chef de la division des armes légères de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a accordé un entretien aux Editions Sidwaya dans lequel il fait un état des lieux de la situation ainsi que les efforts consentis par les Etats pour juguler le phénomène.
Sidwaya (S) : Qu’entend-t-on par armes légères et de petit calibre ?
Cyriaque Agnekethom (C.A) : C’est assez compliqué d’en venir à une définition simple en ce sens que même les Nations unies ont mis plusieurs experts sur la question pour en arriver à quelque chose. Depuis 2007 avec l’adoption d’un instrument international qui va permettre le marquage et le traçage des armes, on est parvenu à un accord qui voudrait que l’on entende par arme de petit calibre, toute arme portable qu’une personne peut manipuler seule. C’est-à-dire une arme individuelle que je peux porter et manipuler sans l’aide d’une autre personne. Toute arme portable dont la manipulation nécessite la présence de deux ou de trois personnes constituerait une arme légère même si certaines armes légères peuvent être utilisées par une personne.
S : Quelle est actuellement l’état des lieux concernant la circulation illicite de ces armes dans la sous région ouest-africaine ?
C.A : Nous n’avons pas de statistiques fondées sur une étude poussée de cette situation pays par pays mais on dit souvent qu’un phénomène peut être mesuré dans ses manifestations. Lorsqu’on observe la situation géopolitique et sécuritaire dans nos régions on note beaucoup de conflits passés qui n’ont pas connu de programme de désarmement. Quand on donne des armes à des individus à la faveur d’une rébellion, à la fin, ceux –ci ne les rendent pas toujours. Certains les gardent et en font leur « gagne-pain ». Ceci accroit directement ou indirectement le niveau d’insécurité dans nos villes et campagnes. Avec cette insécurité, passée une certaine heure on a peur de sortir de chez-soi. Des commerçants s’empressent à d’autres endroits de fermer et de quitter les lieux. Nos agriculteurs qui produisent en campagne et qui veulent venir vendre en ville sont parfois obligés de se faire escortés par des forces de sécurité pour éviter d’être attaqués. Tous ces phénomènes qui se font récurrents nous donnent une impression assez claire que le phénomène est assez préoccupant.
S : A votre avis comment sommes-nous arrivés à cette situation ?
C.A : Il y a des facteurs cumulés, une sorte de sédimentation par vagues successives. Si nous remontons à la guerre froide qui est un repère important, la compétition entre les grandes puissances les avaient conduits à s’armer les unes contre les autres et à armer leurs « satellites ». L’une des particularités du bloc soviétique résidait dans une grosse production d’armes et la capacité d’armer ses adeptes pour défendre la révolution. Dans des pays comme la Guinée, le Bénin ou encore le Ghana il y a eu des concepts de ‘’peuples en armes’’ pour défendre la révolution. Des armes ont ainsi été distribuées à des gens considérés comme des gardiens de la révolution et après, celles-ci n’ont pas été retirées. Il y a aussi le fait que compte tenu de l’instabilité des régimes dans beaucoup de nos Etats, des armes ont été sorties à l’occasion de coup d’Etats et on ne sait plus où elles se retrouvent. En ce qui concerne les populations elles même, le vent de démocratie a eu ceci de malheureux que lors de manifestations d’humeur des commissariats ou postes de gendarmerie reculés deviennent des cibles pour les manifestants. Ils les attaquent et s’emparent souvent d’armes dont on perd plus tard le contrôle. Il y a aussi que certains leaders politiques pour asseoir leur pouvoir ont crée des milices qu’ils arment. A ces facteurs il convient d’ajouter une fabrication artisanale de plus en plus développée par le billais des forgerons. Les services de sécurité vous le diront sans doute, les armes saisies à l’occasion de crimes et délits sont majoritairement de fabrication locale. Quand on prend principalement l’Est du Ghana, l’Ouest du Togo, le Mali ou la Guinée certains vous diront que ce sont des sociétés de castes et que l’activité a des fondements culturels et que c’était pour défendre un empire ou un autre. Aujourd’hui ceci relève désormais du passé. Ce sont ces facteurs mis ensembles quoi expliquent comment nous en sommes arrivés à cette situation.
S : Qu’est-ce qui est entrepris par les pays de la CEDEAO pour faire face à cette situation ?
C.A : Depuis 1998 que les chefs d’Etats ont adopté le moratoire sur l’importation, l’exportation et la fabrication des armes légères, il y a eu beaucoup d’initiatives. Le moratoire a été transformé en 2006 en un instrument juridique contraignant qui est la convention dans laquelle des mesures sont prévues au niveau national et régional. Au plan régional concernant le contrôle des transferts d’armes il s’agit de comment les Etats doivent acquérir les armes dans une vision de cadre législatif et règlementaire. Au plan national il s’agit d’un ensemble de mesures opérationnelles pour freiner l’extension de ce fléau qu’il s’agisse de sensibilisation, d’éducation du public de contrôle frontaliers… Il est également question dans la convention de mesures préventives visant la promotion de la culture de la paix. Il est important que nous sachions qu’il est de notre intérêt que tout problème soit résolu pacifiquement par le dialogue. Il faut par ailleurs œuvre à enlever de la tête de nos jeunes l’idée du recours à l’arme comme moyen de résoudre les différends. Si on réduit la poussée des films violents qu’on voit à la télé en essayant de réguler certains aspects afin d’éviter que les enfants suivent toutes ces scènes de violences on peut juguler le phénomène.
S : A travers la CEDEAO, vous avez été un acteur clé dans la négociation du traité sur le commerce des armes (TCA) adopté le 2 avril dernier par les Nations unies, qu’en est-il et que représente ce texte dans le domaine du commerce des armes ?
C.A : Dans l’histoire de l’humanité on retiendra que le 2 avril 2013 a été une date charnière. C’est la première fois que la communauté internationale (CI) accepte de réguler le commerce des armes. Toutes les activités l’étaient à l’exception de celle-ci. Sous l’égide des Nations unies nous sommes arrivés à un accord dont les négociations ont commencé il y a une dizaine d’années au niveau informel jusqu’à la finalisation à partir de 2010. Le Traité sur le commerce des armes (TCA) a été adopté par les Nations unies à l’issue d’un large vote. Malheureusement nous n’avons pas obtenu de consensus dans son adoption parce que des pays comme l’Iran, la Syrie et la Corée du nord se sont opposés à cela. Il fallu donc passer par l’assemblée générale. Certains pays notamment les trois cités ont voté contre, d’autres se sont abstenus mais la majorité de la CI a voté en faveur du texte. Fondamentalement il s’agit d’établir des normes internationales qui vont guider les transferts des armes. Avant, une structure industrielle dans un pays donné qui fabriquait et exportait des armes le faisait selon ses propres références. Aujourd’hui lorsque l’entrée en vigueur du traité sera effectif il y a des interdictions très claires qui stipulent qu’il est interdit de transférer des armes vers un pays sous embargo sur les armes. Avant, il s’agissait d’une règle tacite mais aujourd’hui elle se retrouve dans un instrument juridique. Le transfert d’armes est également interdit à un pays lorsque ce transfert est contraire aux obligations internationales de l’Etat exportateur. De la même manière lorsque ces armes concourent à violer le droit international, humanitaire, la convention de Genève etc. Le volet sécurité humaine doit être pris en compte. Lorsqu’on n’est pas dans le cas de ces interdictions et qu’on veut opérer des transferts il y a quand même des normes à respecter. Il faut que l’Etat en question puisse partager des informations avec le pays auquel ces armes sont destinées. Il faut analyser la situation sécuritaire dans le pays qui reçoit les armes. Il faut considérer l’ensemble des normes existantes dans le pays importateur. Dans le traité il y a un arsenal de mesures notamment à travers les articles 6 et 7 qui dictent les normes à cet effet et il important d’avoir une idée de ces normes. Un aspect tout aussi important concerne les objectifs du traité contenu dans l’article 1. On a essayé de faire en sorte que le transfert des armes ne soit pas une simple opération commerciale visant à faire des bénéfices. Une place importante est accordée à l’aspect sécuritaire, humanitaire au regard des conséquences de ces armes dans les pays importateurs dues en partie à l’absence de régulation ou au mauvais usage de ceux-ci.