Le bicaméralisme version burkinabè avait déjà été expérimenté dans les années 90, mais n'a pas survécu à la révision constitutionnelle de la même année, qui portait suppression d'une de ses composantes qu'était la Chambre des représentants. Un enterrement dans les règles de l'art d'une institution alors perçue comme un garage à récycler un personnel politique laissé au rancart. Dix ans après, coucou, la revoilà ! La défunte institution ressuscite sous la forme d'une Chambre haute, et ce, encore au détour d'un toilettage de la loi fondamentale.
C'est que les travaux du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP), qui se sont déroulés du 23 juin au 14 juillet 2011, et ceux des Assises nationales (7 - 9 décembre 2011) sont passés par là.
Convoqués au lendemain de la crise sociopolitique et militaire qui a secoué le Burkina Faso le premier trimestre de 2011, ces jamborees politiques, boycottés par la quasi-totalité des opposants, sont parvenus à un consensus sur plusieurs sujets parmi lesquels la création d'un Sénat.
En le constitutionnalisant par la nouvelle Loi n°0033/AN/2012, le Burkina renoue donc avec une aventure tentée il y a une décennie, mais qui avait fait long feu.
Et c'est en principe aujourd'hui 21 mai 2013 que le projet de Loi organique y relatif sera examiné à l'Assemblée nationale. Sauf tremblement de terre, ce texte portant organisation et fonctionnement de cette seconde Chambre passera comme une lettre à la poste. Puisque l'opposition, réunie autour de son chef de file, prévoit de quitter, ce soir, l'Hémicycle pour une marche. Direction : le QG du Chef de fille de l'opposition (CFOP) pour une conférence de presse en présence de ses partisans.
Disons-le donc tout net : l'avènement du Sénat pose problème. A ce sujet, soyons également réaliste : si au regard des textes les pro-Sénat ont le droit avec eux, l'opposition, qui le rejette, n'a pas non plus tort.
En effet, dans le contexte qui est aujourd'hui le nôtre, on est en droit de se demander à quoi peut bien servir cette nouvelle institution.
Oui, quelle valeur ajoutée, cette deuxième Chambre va apporter à notre démocratie, qui l'avait déjà testée avec celle des Représentants, même si cette dernière en fait ne légiférait pas ?
On comprend dès lors pourquoi la question de ce projet de Sénat, dont la plus-value démocratique reste encore à prouver, a toujours divisé la classe politique en Afrique.
Au Sénégal, le président Abdoulaye Wade l'a rayé du paysage institutionnel au début de son premier mandat avant de l'instituer de nouveau. Son successeur, Macky Sall, à son tour vient de le biffer. Seul le Cameroun dans l'espace francophone vient de s'en doter.
Il y a 3 bonnes raisons de s'interroger sur l'opportunité de ce Sénat :
- des motifs financiers : certes, on sait que la démocratie dans son entièreté à un prix, mais 36 milliards, c'est cher payé au regard de nos priorités. Or, c'est la somme que va coûter cette nouvelle chambre en 5 ans de fonctionnement. Pour un Burkina Faso qui compte beaucoup sur les subsides de l'aide internationale, l'opportunité d'une telle saignée financière ne nous paraît pas des plus évidentes ;
- des motifs pratiques et politiques : notre démocratie souffre moins de l'insuffisance du nombre d'institutions que de leur dysfonctionnement. Déjà que nombre de Burkinabè posent la question sur l'importance de l'Assemblée nationale, pourtant pierre angulaire de la démocratie, la naissance d'un Sénat vient en rajouter à cet embrouillamini. Car difficile sera de convaincre, malgré toute la casuistique déployée par ses partisans, que cette haute Chambre n'est rien d'autre qu'une trouvaille pour offrir des parachutes dorés à certains caciques du système en manque de postes.
N'aurions-nous pas été beaucoup plus inspirés en fournissant à l'Assemblée nationale de quoi jouer pleinement son rôle, en dotant par exemple chaque député de moyens institutionnels et humains pour un meilleur rendement parlementaire ?
- Enfin la problématique de l'article 37 : à supposer qu'on en vienne à trancher la question par voie parlementaire, le Sénat, dans sa composition, sera à son tour, comme l'Assemblée nationale, une institution acquise.
En effet, les 91 Sénateurs que prévoit la loi organique se composent comme suit :
- 31 sénateurs nommés par le Président du Faso
- 39 sénateurs choisis par les conseillers municipaux, soit 3 par région. Chaque commune désigne 3 conseillers. C'est ce Collège électoral de conseillers qui élit au niveau régional les 3 sénateurs.
- 21 sénateurs sont issus des chefs coutumiers (4 sénateurs), des religieux (4), des syndicats (4), du patronnat (4) et des Burkinabè de l'étranger (5).
Une telle configuration augure un Sénat monocolore, car près de 80 d'entre eux seront redevables soit à leur parti, soit à celui qui les aura faits sénateurs.
C'est dire que ceux là qui se battent bec et ongles pour la non-révision de cet article 37 ont un motif supplémentaire pour ne pas baisser la garde.