Après son adoption, suite aux décisions consensuelles des assises nationales sur les réformes politiques (CCRP) tenues du 7 au 9 novembre 2011, un projet de loi portant organisation et fonctionnement du Sénat sera soumis à l’examen des députés burkinabè, ce mardi 21 mai 2013, à l’Assemblée nationale. Mais, alors que l’adoption de ce projet de loi se peaufine au sein de l’hémicycle, plusieurs voix se sont déjà élevées et continuent de le faire pour dénoncer cela, notamment au sein de l’opposition politique avec les groupes parlementaires Alternance, démocratie et justice (ADJ) et Union pour le progrès et le changement (UPC). Plus récemment, c’est un autre parti, l’Alliance pour la démocratie et la fédération-Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA), ancien parti proche du président du Faso, par un communiqué en date du 17 mai dernier, annonçait son intention, du moins sa volonté manifeste de voter contre ce projet de loi.
Toutes ces sorties et autres déclarations s’inscrivent dans l’ordre normal des choses, serait-on tenté de dire. En effet, dans quel pays d’Afrique et du monde a-t-on déjà vu une opposition soutenir ou faire l’apologie du parti gouvernant ? Un, deux… même les Etats-Unis qui sont reconnus pour la qualité de leur démocratie, les républicains ne se sont-ils pas opposés à la réforme de l’assurance maladie, bien qu’étant conscients de son importance ? Alors de ce fait, l’opposition est bien dans son rôle et le parti au pouvoir dans le sien, à savoir faire passer un projet de loi qui lui tient à cœur, surtout si cela s’inscrit dans l’intérêt des populations, comme ce fut d’ailleurs le cas au pays de l’Oncle Sam.
Mais, à la différence du pays de Georges Washington, il y a lieu de se poser la question de savoir si ce projet de loi portant organisation et fonctionnement du sénat qui est en passe d’être adopté, ce mardi à l’hémicycle, s’inscrit dans l’optique de l’approfondissement de la démocratie. En effet, dans un contexte marqué par la vie chère et des revendications tous azimuts –il ne faut nullement occulter ; les récentes grèves des syndicats de la santé et de l’éducation-, la création d’une seconde chambre était-elle nécessaire ? Non, assurément ! D’autant que la majeure partie des Burkinabè (52%), du moins selon une étude menée par le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), s’est prononcée contre la mise en place effective du Sénat contre seulement 23% d’opinions favorables. Mais après tout, ce n’est qu’un sondage -qui d’ailleurs ne prend en compte qu’une partie des 16 millions de Burkinabè- pourrait-on se défendre.
Mais dans la pratique, le Sénat, il ne faut nullement avoir peur de l’affirmer, est une chambre qui fera à coût sûr perdre des plumes au budget de l’Etat, lui-même déjà maigre. En tous les cas, ce serait la plus triviale des lapalissades que de dire que cette seconde chambre, avec ses 91 membres, dévorera le budget national qui lui-même ne suffit pas à offrir aux Burkinabè, un minimum de bien-être. Combien de villages ont un centre de santé et une ambulance ? Combien de villes et de rues dans les deux capitales sont éclairées ? Des questions dont la réponse risque de se faire beaucoup attendre ! Or, pendant ce temps, ce même Etat qui a, près de 36 milliards de francs CFA sur les 5 ans –semble-t-il, à injecter dans une chambre dont l’opportunité et la pertinence restent toujours à démontrer, n’a pu trouver mieux que de confier la plus que noble mission de sauvetage de la nationale des hydrocarbures au bord du gouffre aux populations. Des populations qui, elles-mêmes, avaient déjà des difficultés à supporter leurs propres fardeaux. Cela, par l’augmentation des prix du gaz butane et de bien d’autres produits dits de première nécessité. Alors qu’il y a seulement quelques mois, ce même gouvernement avait adopté une politique d’austérité qui ne disait pas son nom, toute chose qui l’avait conduit à réduire de façon plus ou moins considérable ses dépenses –c’est selon-, notamment par la prise de notes règlementant les “présentation de vœux“, les perdiems et même une note sur l’utilisation des véhicules de service et de fonction. Mais, l’on se rend bien compte aujourd’hui que le gouvernement a amorcé un retour aux anciennes pratiques.
S’il est vrai que la démocratie et la paix ont un coût, faut-il pour autant sacrifier le bonheur du peuple pour y parvenir ? La question reste posée. En plus, dans la sous région, aucun autre pays, hormis le Nigéria qui d’ailleurs est un Etat fédéral n’a de Sénat. Le Sénégal qui s’y était naguère engagé a dû se rendre à la dure et triste réalité. Du reste, le Burkina Faso avait eu l’amère expérience d’un bicaméralisme en dissolvant purement et simplement la 2e chambre en 1992 pour des raisons budgétivores. Mais diantre! que se passe-t-il alors que les mêmes raisons sont toujours valables ? Certes, la mise en place du Sénat est devenue une question constitutionnelle et se dresser contre celle-ci pourrait-être perçu comme un crime. De ce fait, l’opposition aurait dû s’y prendre un peu plus tôt, notamment lorsqu’elle avait été invitée à participer aux assises sur les réformes politiques, en 2011. La chose ayant déjà été adoptée, est-ce opportun de s’y opposer aujourd’hui et de continuer à refuser d’y participer ? Bien malin qui pourra le dire. Car, la logique aurait voulu que les partis de l’opposition soient là pour défendre leurs opinions, et surtout voter contre ce projet de loi ; mieux, participer -si d’aventure ce projet de loi venait à être adopté- à la composition du Sénat. Ne dit-on pas qu’on combat mieux un adversaire de l’intérieur ? Toutefois, la position de l’opposition pourrait être comprise dans la mesure où, selon les textes, le tiers des membres composant cette seconde chambre, soit 52 sénateurs sur les 91 que devrait compter le Sénat, sont nommés par l’exécutif, donc par le seul président du Faso. Le sénat risque donc d’être monocolore, d’autant que la jeunesse qui constitue pourtant la majorité de la population sera d’office écartée -lâge minimum pour en faire partie étant fixé à 45 ans-La seule solution semble celle adoptée par l’opposition.
Pourtant, les valeurs démocratiques, par principe, imposent qu’une loi ou un article soit modifié si la révision de celle-ci va dans le sens de l’amélioration de l’existence même du peuple. Alors, le Sénat s’inscrit-il dans cette logique ?
Telles que les choses se présentent, l’on risque de se retrouver avec une chambre où seuls sont présents les militants du Congrès pour la démocratie et le progrès et ses alliés. Est-ce là ce qu’on appelle démocratie ?
Attention à ne pas lutter pour la mise en place d’une chambre mort-née ! .