Ces derniers mois, l’installation ou non du Sénat cristallise les débats au sein de la classe politique burkinabè et même de l’opinion publique. Dans cette interview, le député Mélégué Maurice Traoré du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), parti au pouvoir, fait sa lecture de la situation. Il estime que "les détracteurs du Sénat se trompent de combat".
Sidwaya (S. ) : Quel est l’intérêt d’un Sénat pour le Burkina Faso ?
Mélégué Troaré (M. M. T.) : Pour parler du Sénat, il faut parler du parlement dans son ensemble. Traditionnellement, un parlement est composé soit d’une chambre, soit de deux chambres. Il est courant que l’opinion, et même les spécialistes, s’interrogent sur le bien-fondé d’un parlement. Evidemment qu’en matière institutionnelle, c’est un débat sans fin. Si nous posons la question de l’utilité du Sénat, nous devons la poser sur toutes les institutions que nous créons. Les Sénats, habituellement, remplissent quelques questions-clés. C’est cela qui fait leur originalité et en même temps leur utilité. Le premier axe, c’est la fonction de représentation. Le parlement est censé représenter l’ensemble des populations burkinabè. Cette représentation est assurée par l’Assemblée nationale. Mais si nous voulons améliorer cette représentation, on crée une seconde chambre parce qu’elle permet aux sensibilités sociales de s’exprimer et d’être représentées. L’exemple le plus frappant est le cas des Burkinabè qui vivent à l’étranger. Cet axe concerne aussi les collectivités locales. Ces collectivités ont des sensibilités spécifiques, ayant des intérêts spécifiques. Et par le Sénat, l’on permet la représentativité des collectivités locales. Aussi, il existe des personnalités pouvant être d’un grand apport pour la gouvernance du pays mais qui ont peu de chance d’être un jour à l’Assemblée nationale. C’est le cas des universitaires et des chercheurs de grand renom qui, probablement, ne seront jamais à l’Assemblée nationale si c’est le suffrage universel direct qui est appliqué, parce que souvent, ils ne participent pas aux compétitions électorales. La seconde fonction est d’ordre purement parlementaire. Le Sénat permet d’améliorer la production législative. L’idée est que, grâce à une meilleure représentation du corps social, les lois reflètent la société burkinabè. C’est pourquoi il y a le double débat législatif. Il y a une première lecture des lois à l’Assemblée nationale, ensuite le texte est transmis au Sénat. Il y sera discuté et renvoyé à l’Assemblée nationale. Si les deux chambres sont d’accord sur le texte, il est signé et promulgué. Si les deux ne sont pas d’accord, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot. Sauf dans des domaines très précis. C’est-à-dire tout ce qui concerne la décentralisation et les collectivités locales. Ces lois doivent être d’abord déposées au niveau du Sénat, et s’il y a un désaccord entre les deux chambres, le Sénat a le dernier mot. C’est les deux grandes fonctions du Sénat. Naturellement, comme toutes les institutions au niveau du pays, il s’agit de gérer le personnel politique. Il ne faut pas se le cacher.
S. : Qu’est-ce que le Sénat va apporter de plus que l’Assemblée nationale, au Burkina Faso ?
M. M. T. : Au fond, le Sénat permettra d’approfondir la démocratie. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de débat. Moi-même, pendant longtemps, je n’étais pas favorable à une deuxième chambre en Afrique. Non pas tant pour le problème budgétaire. Toutes les institutions coûtent. Mais j’ai toujours estimé que si l’on crée une institution, il faut qu’elle serve à quelque chose. Il faut lui donner un contenu. Ce qui est en cause ici, ce n’est pas l’existence du Sénat mais qu’est-ce que le Sénat fera concrètement en matière de représentation.
S. : Voulez-vous dire que le Sénat fera mieux avancer la démocratie au Burkina Faso que l’Assemblée nationale ?
M. M. T. : L’Assemblée nationale n’a pas de préoccupations spécifiques pour les collectivités locales. L’une des principales fonctions du Sénat sera de prendre en charge la représentation des collectivités locales. C’est une chose qu’une Assemblée nationale ne peut pas faire. Cela est très important.
S. : Selon l’opposition, en dehors du Nigeria, qui est un Etat fédéral, aucun autre pays ne dispose d’un Sénat dans la sous-région. Quel commentaire faites-vous de cette particularité burkinabè ?
M. M. T. : Ce n’est pas un argument. Si l’on veut faire une comparaison, il n’y a aucune raison de se limiter à l’Afrique de l’Ouest. Quand on veut faire une comparaison sur un point favorable à l’opposition, on prend les exemples sur l’Europe. Il faut que nous soyons sérieux. La gouvernance des Etats africains aujourd’hui est de savoir que plus nous avançons dans le processus d’intégration, il faut faire des comparaisons qui tiennent compte de l’Afrique tout entière et non de l’Afrique de l’Ouest seulement. Cela dit, le Togo est sur le point de créer son Sénat. Il y a eu le Sénat sénégalais qui a été créé et supprimé, puis recréé et supprimé de nouveau. Ce n’est pas le bon exemple, parce que dans sa composition, sur 100 membres 60 étaient nommés par le chef de l’Etat. Ce qui était visiblement excessif. Il faut avoir une réflexion rationnelle sur les institutions. Cette réflexion doit être globale.
S. : Le débat qui se mène autour de cette question est-il opportun ?
M. M. T. : Sur le fond, le débat peut être mené. Mais, il n’est plus possible pour une institution, qui est inscrite dans la Constitution, de se demander à quoi elle sert. C’est comme si l’on posait la question pour l’Assemblée nationale. Le débat, tel que nous le menons aujourd’hui aurait dû être mené l’année dernière. L’occasion a été donnée à tout le monde de participer au débat, mais il y en a qui ont refusé de le mener. On ne peut pas recommencer le débat cette année. De toute façon, pour que le Sénat n’existe pas, il faut réviser la Constitution.
S. : Pourquoi faut-il que le président du Faso nomme le tiers (31 sénateurs) des membres du Sénat surtout qu’il a une majorité à l’Assemblée nationale ?
M. M. T. : Je voudrais que vous sachiez que dans beaucoup de deuxième chambre, il y a des membres qui sont nommés. Ce n’est pas propre au Burkina Faso. Il y a même des Sénats, où tous les membres sont nommés. Dans le Sénat du Canada, tout le monde est nommé. Pourtant, c’est un Sénat très puissant. Ici tout le monde vanterait la démocratie canadienne. En Algérie, sur les 144 membres du Conseil de la nation, c’est-à-dire le Sénat, 48 sont nommés par le président de la République. Cela dit, nous pouvons discuter du nombre. Il y a 91 membres et 31 sont désignés par le chef de l’Etat. Mais il faut savoir d’où est venu le chiffre 31. Quand le gouvernement a décidé de créer le Sénat, il a demandé à des consultants dont je faisais partie, d’étudier la question. Nous avons suggéré à la fin de l’étude que le chef de l’Etat nomme 26 membres. Mais nous avions aussi suggéré que les anciens présidents de l’Assemblée soient du Sénat de droit comme dans d’autres pays. Il s’agit simplement de capitaliser l’expérience. Malheureusement, quand la révision constitutionnelle a été faite, cet aspect n’a pas été mis dans le texte. Comme il n’était pas dans le texte, il ne pouvait pas être dans la loi organique. Décision a été prise que les quatre ou cinq anciens présidents de l’Assemblée nationale soient dans les désignations du chef de l’Etat. Mais il faut que dans ce pays nous ne fonctionnions pas sur la base du soupçon permanent. Les gens ne doivent pas soupçonner que le chef de l’Etat va automatiquement choisir les gens qui sont de son bord politique. Je crois qu’il faut lui faire confiance. L’expérience a montré que lorsque Blaise Compaoré a à faire des désignations qui dépendent de lui, généralement c’est équilibré.
S. : Comment se fera l’élection des sénateurs dans les régions ?
M. M. T. : Cette question est de deux ordres. Qui peut être sénateur et qui doit élire les sénateurs ? La constitution prévoit que les sénateurs seront élus au scrutin indirect. Il restait à définir le caractère du scrutin indirect. Le texte, tel que le gouvernement l’a proposé au départ, était que trois personnes de chaque conseil municipal soient désignées pour aller au chef-lieu de la région pour élire les sénateurs. Honnêtement, je pense que pour un scrutin indirect, plus on élargit la base sociale, mieux ça vaut. L’idéal serait que tous les conseillers municipaux puissent participer au vote. Maintenant qui peut être sénateur ? Le texte initial prévoit que les sénateurs soient élus par les conseillers municipaux en leur sein. C’est-à-dire que pour être sénateur, il faut être conseiller municipal. Personnellement je pense que tout citoyen devrait pouvoir être sénateur. Il ne s’agit pas de contredire le gouvernement, il s’agit de regarder ce qu’il y a de mieux pour l’enracinement du Sénat et de sa base sociale. Pour un scrutin indirect, la base est déjà restreinte. Si ensuite pour l’éligibilité on réduit cela aux conseillers municipaux, cela voudrait dire que quelqu’un qui n’est pas conseiller municipal ne peut pas être sénateur. Alors que nous avons des personnalités de très grande qualité dans les villes, les villages et les secteurs. Le débat continue sur cette question.
S. : Le budget de six milliards par an est-il justifié pour le fonctionnement d’un Sénat ?
M. M. T. : La prévision actuelle est en réalité de cinq milliards. Mais personne ne peut dire que ce sera cinq milliards tout le temps. Ces chiffres peuvent s’augmenter. Votre question est pertinente. C’est normal que pour des pays comme le nôtre, nous puissions toujours nous interroger sur le coût des structures. Là où je ne suis pas d’accord, c’est le fait de limiter cela au Sénat. Certaines institutions coûtent autant que l’Assemblée nationale, mais personne ne pose la question du coût. Il y a des gens, ici, qui posent la question de savoir l’utilité de l’Assemblée nationale. Si on résonnait uniquement en termes de coûts, on ne créerait aucune structure. Ce qui est important pour moi, c’est que le Sénat fasse ce que dit la Constitution.
S. : Pour un pays comme le Burkina Faso où les populations ont d’autres préoccupations, est-ce que le Sénat n’est pas une institution de trop ?
M. M. T. : Je ne suis contre aucune institution. Mais quand on veut mener la réflexion, il faut la mener d’une manière globale, mais pas de manière sélective. Ce n’est pas parce que le Sénat vient après les autres dans le temps que la question doit s’adresser au Sénat seulement.
S. : Mais à la création des autres institutions cette question a aussi été une préoccupation
M. M. T. : Je suis entièrement d’accord avec vous. Mais pourquoi vous ne les posez plus ? (Le ton est légèrement monté).
S. : Ces structures ont peut-être été imposées ?
M. M. T. : Vous savez comme moi que c’est l’élite dirigeante du pays qui impose beaucoup de choses. Vous avez déjà posé la question à quel paysan de Kankalaba (son village situé dans la Léraba) pour connaître son opinion sur l’existence de l’Assemblée nationale ? Il vous dira qu’il s’en fout complètement. Il n’en voit pas l’utilité. Si nous raisonnons comme cela, il n’y aura aucune institution. Il ne faut pas se faire des illusions. Les structures coûteront toujours de l’argent. Je ne suis pas pour la profusion des institutions mais ce débat est dépassé.
S. : Peu de Burkinabè, selon le dernier sondage Afro baromètre (23%) sont favorables à la création du Sénat. Comment susciter l’adhésion à une telle institution ?
M. M. T. : Quand le Sénat sera installé, il y a un travail immense à faire. Il faut que le Sénat, par sa propre organisation, soit de qualité. Il faut qu’il soit aussi performant dans ce qu’on lui dit de faire. Il faut un type de rapport très précis avec l’Assemblée nationale. Les deux doivent travailler en tandem. Une fois qu’il sera en place, il faut qu’il tire les leçons des critiques qui se font actuellement. Il doit montrer qu’il est efficace sur le terrain. Il faut aussi créer des rapports très spécifiques entre les sénateurs et les collectivités locales.