Assis sur son célèbre trône aux deux lions, le roi des Mossi de Ouagadougou a répondu pendant une dizaine de minutes, en langue nationale mooré, aux questions de L’Observateur Paalga. A travers Ses réponses parfois sibyllines, Sa Majesté explique l’influence qu’Elle a eue dans la résolution de la crise engendrée par le coup d’Etat du général Diendéré, et prodigue Ses conseils aux candidats à l’élection présidentielle du 29 novembre.
Quel rôle avez-Vous joué dans la résolution de la dernière crise causée par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP)?
Comme la plupart des Burkinabè, ce coup de force Nous a surpris. Au début, Nous ne savions pas de quoi il s’agissait, et ce n’est qu’au deuxième jour que Nous avons appris que c’était un coup d’Etat. Les uns et les autres ont beaucoup réfléchi, Nous tenons à le souligner. A un moment donné, les éléments de l’ex-RSP et de l’autre partie de l’armée ont réalisé que les choses prenaient une très mauvaise tournure, et c’est ensemble qu’ils se sont tournés vers Nous, dans l’espoir de trouver un dénouement pacifique. Ils sont venus le mardi 22 septembre vers 21h, pour que Nous soyons témoin de la signature du protocole d’accord qu’ils avaient eux-mêmes établi. Nous les avons reçus parce qu’ils avaient la volonté de mettre fin à cette situation.
Qu’avez-Vous alors dit aux militaires des deux camps pour qu’ils s’entendent sur un accord?
Dans ces concertations, Nous leur avons rappelé que leur rôle à tous était de défendre l’intégrité du pays et de protéger ses fils, et non le contraire. Ils semblaient d’accord avec Nous. Nous leur avons ensuite demandé de se pardonner mutuellement, car dans toute situation compliquée c’est l’absence de pardon qui mène au désastre. La deuxième fois que Nous les avons accueillis, Nous leur avons répété la même chose, tout en ajoutant qu’ils étaient compatriotes et que ce serait insensé que des militaires de la même Nation s’affrontent. Par la suite, le cardinal (Philippe Ouédraogo, ndlr) nous a rejoints et leur a tenu le même langage. C’est comme cela que ça s’est passé. Notre devoir était de les mettre autour de la même table pour qu’ils trouvent une solution pacifique.
Quelle est Votre priorité dans ce genre de négociations?
La priorité, c’est de promouvoir le vivre ensemble, le respect mutuel, le dialogue. Le dialogue pour trouver un consensus. Car qui dit consensus dit céder du terrain. C’est ce discours qui a réussi à apaiser leurs coeurs.
Avez-Vous craint, à un moment donné, que la situation ne dégénère en guerre civile?
Bien sûr. C’est parce que Nous le craignions que Nous sommes intervenus. Dieu merci, tout s’est bien terminé.
A la fin de la crise, le 27 septembre dernier, Vous avez reçu le Président Michel Kafando et lui avez notamment demandé d’être « plus rassembleur ». Est-ce à dire que la Transition divise les Burkinabè?
Toute autorité qui vient Nous rendre visite reçoit des conseils de Notre part. C’est Notre rôle. Que la personne soit à la tête d’une association, d’une entreprise, d’un parti ou de la Nation entière, Nous lui adressons les même recommandations : être rassembleur et avoir la faculté de pardonner. Etant donné que le chef dirige un groupe d’individus, c’est à lui de tout faire pour qu’il y ait le maximum d’entente. Ce n’est donc pas parce que c’est le président de la Transition que Nous lui avons prodigué ce conseil. C’est simplement Notre mission, et c’est la base d’une bonne gouvernance.
Vous êtes officiellement le roi des Mossi de Ouagadougou. Comment dès lors parvenez-Vous à Vous faire respecter des interlocuteurs d’autres origines ethniques et géographiques qui viennent Vous rendre visite?
A travers l’accueil, le respect, l’écoute. Tous ceux qui sont sur Notre territoire sont Nos administrés au même titre. Vous n’êtes pas Moagha, mais Nous vous avons bien reçu quand même! Notre philosophie, c’est que tout être humain, d’où qu’il vienne, quelle que soit sa race, est l’un des Nôtres. C’est Notre prochain. Nous avons obligation de recevoir quiconque veut Nous rencontrer.
L’élection présidentielle va finalement se tenir le 29 novembre 2015. Avez-Vous reçu tous les candidats?
Certains sont venus Nous voir, mais pas tous.
Quelle influence allez-Vous avoir dans les différents scrutins à venir?
Nous allons faire ce que Nous avons toujours fait, c’est-à-dire sensibiliser les acteurs politiques aux bienfaits du dialogue et du respect mutuel. Nous allons leur demander d’appeler leurs partisans à éviter les provocations et les écarts de langage, afin que le processus électoral aboutisse dans la paix. Ainsi, tout le monde en sortira vainqueur.
Aujourd’hui, peut-on gouverner le Burkina Faso sans l’appui du Mogho Naba Baongo?
Ca, c’est une question qu’il faut poser aux candidats! Nous ne saurions vous dire s’ils auront besoin de Notre soutien ou pas, ou si Nos interventions leur conviennent.
Quel peut-être Votre rôle aux côtés des institutions démocratiques?
Nous constituons un symbole, une tradition dont Nous sommes garants. Avant, Nous étions chargé de la gestion du royaume. Mais aujourd’hui, c’est l’Etat moderne qui remplit cette mission. S’il Nous sollicite, Nous Nous tenons néanmoins prêt à l’aider autant que faire se peut.
Comment voyez-Vous l’avenir du pays après les élections, mais également à plus long terme?
Nous pensons que le futur président doit tout faire pour être respecté de tous, pour être rassembleur. Ceux qui vont diriger le Burkina dans les cinq, dix, 15, 50 prochaines années, ne doivent jamais oublier que si nous avons hérité de ce pays, c’est que des gens, nos ancêtres, nos grands-parents, l’ont bien géré. Il est du devoir de tous les prétendants au pouvoir de le garder bien à l’esprit. Chacun veut que son enfant lui ressemble, et nos aïeux voudraient sûrement que leurs successeurs soient aussi exemplaires que eux l’étaient. Nos futurs dirigeants doivent faire mieux que leurs devanciers. Ils doivent tout faire pour que le Burkina soit cité en exemple.
Propos recueillis par Thibault Bluy, traduits par M. Arnaud Ouédraogo.