Fin de cavale pour un ancien tortionnaire tchadien. Mahamat Djibrine, connu sous le sobriquet épouvantable de « El Djonto », a été alpagué le 14 mai dernier au Tchad. Il est accusé de tortures et de centaines d’assassinats d’opposants politiques entre 1982 et 1990, sous le règne du tout-dévoué dictateur Hissène Habré. Ce n’est ni plus ni moins qu’une opération de salubrité publique si l’on sait que l’arrestation d’un tel personnage apportera du baume au cœur des victimes dont près de 90 % d’entre elles reconnaissent avoir subi la furie de l’homme. En attendant son extradition prochaine vers le Sénégal où doivent être jugés, en principe, tous les responsables des crimes commis sous la dictature Habré, on ne peut que se réjouir de cette interpellation inattendue d’un homme qui, depuis plus de 20 ans, coulait des jours paisibles au Tchad. Mais pourquoi l’avoir arrêté maintenant, est-on tenté de se demander ? Bénéficiait-il d’une protection quelconque ? En tout cas, il est difficile de convaincre l’opinion publique que, pendant plus d’une vingtaine d’années, le président Idriss Déby Itno ne savait pas que « El Djonto » était un bourreau recherché par la Justice. Comment ne pas en douter, d’autant plus que l’homme qui vient d’être arrêté a occupé des postes de hautes responsabilités sous le régime de Déby ? Et la cerise sur le gâteau est qu’il a même été envoyé, en 2005, par le Tchad, au sein de l’opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). A dire vrai, il existe beaucoup de zones d’ombre dans ce qu’il convient d’appeler « l’affaire El Djonto ». Si fait que l’on est tenté de se demander si la situation sociopolitique actuelle au Tchad n’y est pas pour quelque chose. Peut-être Déby a-t-il soupçonné l’homme de conspirer contre lui et a donc décidé de le lâcher. Une hypothèse beaucoup plus plausible si l’on sait que El Djonto, au regard des postes qu’il a occupés, peut constituer une grave menace pour le régime de Déby, tant l’homme maitrise tous les rouages sécuritaires. Seulement, on en est à se demander si Déby lui-même ne prend pas un grand risque en livrant un homme avec qui il a collaboré pendant une dizaine d’années. Car, faut-il le rappeler, le président Déby lui-même fut chef d’état-major sous le règne de Habré. Donc, les deux hommes, Habré et El Djonto se connaissent bien ; chacun sait qui a fait quoi et pourquoi. Sans doute assistera-t-on à des révélations fracassantes quand viendra le moment pour tous les bourreaux de répondre, à la barre, des faits qui leur sont reprochés. De toute évidence, on espère que d’autres arrestations se poursuivront et que, sous l’instigation continue de la société civile, d’autres présumés bourreaux seront débusqués avec le temps. Car, rien ne dit d’ailleurs qu’il n’existe pas d’autres ex-tortionnaires dans le régime actuel qui bénéficient de la couverture sans faille du président Déby. Il faudra donc aller jusqu’au bout !
