Depuis le déclenchement des révoltes populaires contre des régimes dictatoriaux en 2011, à travers ce que l’on a qualifié de printemps arabe, les Africains avaient cru que le glas des pouvoirs à vie et des tripatouillages de Constitutions avait définitivement sonné pour faire place à la «gouvernance du peuple par le peuple et pour le peuple». Dans cette Afrique déjà à la traîne sur le plan du développement économique et social, on ne pouvait que pavoiser à l’idée de voir l’autodafé de Sidi Bouzid en Tunisie et le départ en catastrophe du dictateur Ben Ali du pouvoir, servir de déclic pour tous les peuples bâillonnés et pris en otage par des dirigeants à la fois nombrilistes et incompétents. Malheureusement, après les sueurs froides et les trémolos des hommes dits-forts pendant les semaines qui ont suivi la fuite du Tunisien Ben Ali et la mise aux arrêts de l’Egyptien Hosni Moubarak, le naturel qui consiste à s’arc-bouter au pouvoir en maniant avec maestria les armes de la corruption, de la manipulation et de la répression, est revenu pour ainsi dire en galopant, au grand dam de tous ceux qui rêvaient de la disparition irréversible des « timoniers » de la sphère politique africaine. Certes, quelques rares peuples comme ceux du Sénégal et du Burkina Faso ont su tirer leur épingle du jeu en obtenant , même au prix du sang, l’alternance au sommet de leur pays. Mais ailleurs sur le continent, c’est une véritable stagnation pour ne pas dire carrément un reflux démocratique, notamment en Afrique centrale et orientale. C’est justement dans cette partie du continent qu’on trouve les présidents qui ont le plus duré au pouvoir, et qui, manifestement, comptent y rester jusqu’à ce que leurs marmots soient jugés suffisamment outillés pour prendre la relève. C’est le cas par exemple de Obiang Nguema Basogo et de Edouardo Dos Santos, respectivement présidents de la Guinée Equatoriale et de l’Angola. Ces deux calamités en matière de démocratie sont tous au pouvoir depuis 36 ans, et dirigent d’une main de fer deux pays immensément riches, mais dont les populations ne profitent pas malheureusement, à cause de la cupidité de ceux qui gravitent autour des dictateurs, à commencer par leurs propres familles biologiques. Comment ne pas désespérer du continent quand un dinosaure comme Teodoro Obiang Nguema se fait adouber par son parti politique pour rempiler au terme de son énième mandat actuel qu’il a remporté sans péril et donc sans gloire en 2009 avec, tenez-vous bien, 95.1% des voix. Avec la terreur qu’il a érigée en système de gestion et le pillage systématique des ressources de son pays par son clan familial, on peut affirmer que le septuagénaire président a mis les petits plats dans les grands pour mourir au trône. Toute forme de contestation est considérée par Obiang Nguema comme un crime de lèse-majesté et la démocratie en trompe-l’œil qu’il a instaurée est juste bonne pour avoir la caution des Occidentaux et préparer son fils à lui succéder au cas où la nature ferait ce que les Équato-Guinéens n’ ont pas réussi à faire depuis bientôt quatre décennies, c’est-à-dire le faire disparaître de la scène politique, au propre comme au figuré.
Dos Santos et Obiang Nguema vont entrer dans l’histoire comme ayant été des fossoyeurs de la démocratie
Quant à Edouardo Dos Santos, il semble n’avoir pas réussi à se débarrasser de ses réflexes staliniens qui consistaient à écraser ses contestataires pour pérenniser sa dictature. La longue guerre civile dont il a été l’un des principaux acteurs, a forgé chez ce grand ami de Fidel Castro un caractère volcanique et impitoyable, au point de n’accepter aucune critique contre son pouvoir. Les jeunes rappeurs qui ont eu l’outrecuidance de réclamer une ouverture démocratique dans ce pays fermé, en ont eu pour leur impertinence, car ils ont été conduits au cachot pour mieux méditer sur leur sort. Plus grave encore, un autre activiste du nom de Luaty Beirão, avait été incarcéré avec ses amis pour «crime contre la sécurité nationale», simplement parce qu’on les avait accusés d’avoir lu des textes subversifs, qui dénonçaient la dictature de Dos Santos. Mais «El présidente» peut se permettre de telles excentricités, parce qu’il a pour ainsi dire la chance de pactiser avec des pays comme la Chine et Cuba, qui sont loin d’être des exemples en matière de respect des principes démocratiques et des droits de l’homme. On n’oubliera pas non plus que l’Angola est le deuxième pays producteur de pétrole en Afrique, après le Nigeria, et cette manne pétrolière a suffisamment dopé la croissance économique du pays, suscitant du coup un grand intérêt pour des multinationales comme Total et bien d’autres. Depuis la fin de la guerre civile en 2002, le président Santos semble avoir signé un contrat à vie pour la présidence de son pays, et au regard de son rôle durant la guerre que certains Angolais continuent à qualifier d’héroïque, des soutiens dont il dispose au Conseil de sécurité et du fatalisme qui semble animer les membres de son opposition, rien ne semble pouvoir le contrarier.
En un mot comme en mille, Edouardo Dos Santos tout comme Teodoro Obiang Nguema, vont entrer dans l’histoire du continent comme ayant été des fossoyeurs de la démocratie, et laisseront à la postérité l’image de chefs d’Etat qui ont verrouillé leurs pays respectifs au point de les inscrire sur la liste peu glorieuse des pays les plus pauvres du monde, malgré leurs immenses richesses. C’est simplement dommage non pas seulement pour les Angolais et les Equato-Guinéens, mais aussi pour l’Afrique qui, de par la faute de ses présidents à vie, continue d’être traitée comme la poubelle de l’humanité, après en avoir été, pendant des millénaires, le berceau.
Hamadou GADIAGA