Dans quelques jours, le Burkina vivra au rythme de la campagne électorale pour le scrutin du 29 novembre prochain. Le premier calendrier électoral , on le sait, avait connu un chamboulement suite au coup de force du général Diendéré. Les choses étant revenues à la normale, tout porte à croire que rien ne viendra entraver la bonne date. A la CENI (Commission électorale nationale indépendante), les préparatifs vont bon train. Dans un entretien qu’il nous a accordé récemment, le président de ladite structure, Barthélémy Kéré, nous parle de 4100 nouveaux majeurs nés du putsch qui se sont ajoutés à la liste initiale, des moyens déployés et surtout pour des élections transparentes.
Le coup d’Etat est intervenu à quelque 4 jours du démarrage de la campagne électorale ; à quel stade de l’organisation étiez-vous concrètement ?
Nous étions en train de préparer les kits par bureau de vote pour engager le déploiement du matériel. La petite difficulté qu’on avait était liée à la saison des pluies qui ne nous facilitait pas la tâche dans l’installation d’un certain nombre de pilonnes en vue de la transmission des résultats par Vsat. Et là le retard ne concernait que deux pilonnes. C’est pourquoi chaque fois qu’on posait la question sur le niveau de préparatifs nous répondions systématiquement que nous étions prêts depuis le 11 octobre. Nous n’avons pas voulu nous engager dans une polémique, qui ne nous concernait pas outre mesure.
Parlant de polémique elle s’est invitée pourtant au sein de votre institution au sujet de la nouvelle date des élections ; qu’en est-il exactement ?
Après le coup d’Etat, il fallait relancer les choses, et certaines personnalités, semble-t-il, voulaient profiter de la situation pour s’accorder « un lenga » (NDLR : bonus en langue nationale mooré) pour prolonger la transition. En tant que CENI, la question nous avait été posée de savoir à quelle date on pouvait raisonnablement, au plan technique, organiser le scrutin. Certains collègues ont sauté pieds joints dans la polémique pour se demander si le gouvernement ne voulait pas prolonger la durée de la transition. Evidemment la majorité au sein de l’institution a dit que c’est une affaire qui ne nous concerne pas. En tant qu’organe technique, sinon organe conseil, la CENI donne les informations au gouvernement qui, par la suite, prend les décisions qui s’imposent. Pendant le coup d’Etat nous avons pris des mesures pour sécuriser les serveurs. Il fallait alors les réinstaller et s’atteler à la relance de la formation des membres des bureaux de vote. Il n’y avait donc pas matière à polémique même si certains d’entre nous avaient menacé de démissionner au cas où les élections seraient repoussées à une certaine date (Ndlr : il s’agit notamment d’Abdou Karim Sango). Nous sommes restés sereins, car si quelqu’un démissionne, la composante dont il relève le remplace et le travail continue. Nous menons des discussions démocratiques pour identifier la meilleure manière d’assurer notre mission en répondant aux attentes de la classe politique pour un scrutin transparent, crédible et dont les résultats seront acceptés par tous.
Après la crise, la machine électorale n’a-t-elle pas été difficile à redémarrer puisque votre élan a été coupé entre- temps ?
Non parce que nous étions fins prêts depuis octobre. Mis à part la réinstallation du serveur comme indiqué tantôt, on n’a pas eu de problème majeur.
Finalement la classe politique s’est accordée pour le 29 novembre, date qui a été entérinée par le gouvernement ; comment vont les préparatifs dans cette perspective ?
Nous sommes en train de faire des réajustements qui ne pouvaient pas être faits quand la date n’était pas encore connue. En effet nous avons identifié dans notre fichier 4100 nouveaux majeurs à la date du 29 novembre. Dans la mise à jour du fichier, en accord avec les acteurs politiques et le gouvernement, nous avions décidé de prendre en compte les citoyens qui allaient être majeurs jusqu’au 31 janvier 2016, date des élections municipales. Nous avons pris un arrêté pour publier la liste de ces nouveaux majeurs. Par la suite nous avons identifié 2717 bureaux de vote dans 320 communes où ces nouveaux voteront. Si nous avons publié ces listes, c’est à l’intention des partis politiques, des candidats indépendants, de la juridiction de contrôle et des citoyens. S’il y a des contestations elles seront examinées. Autre réajustement, c’est le troisième arrêté pour confirmer la liste des candidats aux élections législatives.
Pour les 4100 nouveaux électeurs, y a-t-il eu une session de rattrapage pour qu’ils s’inscrivent sur la liste, ou quel procédé a-t-on utilisé ?
Comme nous avions dans notre base de données la liste des électeurs qui seraient majeurs le 31 janvier 2016, pour ne pas avoir à faire une mise à jour du fichier en vue des municipales, nous n’avons fait que lancer la requête à la machine pour qu’elle nous sorte la liste des nouveaux majeurs à la date du 29 novembre. C’est ça aussi le miracle de la biométrie qui nous permet d’ajouter ces personnes aux 5 512 516 électeurs que nous avions, ce qui porte le nombre désormais à 5 516 616 électeurs.
Ça c’est pour prouver que vous êtes vigilants et méticuleux ?
Ce n’est pas une vertu particulière que nous avons, c’est la biométrie qui permet tout cela. Les gens sont enrôlés avec des documents administratifs sur la base de leurs empreintes digitales. Malheureusement je trouve que les partis politiques ne cherchent pas réellement à bien s’en informer alors qu’à l’occasion de chaque enrôlement nous leur expliquons ce que c’est que le fichier électoral, qui est tenu avec rigueur.
L’organisation internationale de la Francophonie a audité le fichier pour conclure à sa fiabilité.
On sait que certaines denrées électorales sont périssables ; qu’est-ce que vous avez éventuellement perdu du fait du putsch et du report du scrutin ?
Le report ne nous a pas causé de dégâts particuliers. Nous aurions eu des inquiétudes si le report avait atteint trois mois parce que ça aurait joué sur la qualité de l’encre indélébile.
Est-ce à dire que le budget ne connaîtra pas de modifications dues au report ?
Concernant les questions d’impression, ça a un impact mais il n’est pas majeur. Si le constat contraire est fait, on en parlera au gouvernement. Cela dit, les questions de sécurité du processus électoral seront réajustées en fonction des réalités actuelles. Nous avons une commission qui est dirigée par le chef d’état-major de la gendarmerie assisté par le directeur général de la police. L’incidence de ce volet sécuritaire ne va pas forcément toucher le budget de la CENI, mais celui du ministère de la Défense.
Il y a eu des élections récemment dans la sous-région, notamment en Guinée et en Côte d’Ivoire au cours desquelles les CENI locales ont été mises à l’index comme responsables du cafouillage qu’il y a eu. Est-ce qu’on peut dire que notre CENI à nous va nous conduire à des élections libres, transparentes et aux résultats acceptés par tous ?
C’est une question du futur que vous posez, je propose qu’on attende la fin des élections pour l’aborder. En tous les cas, ce n’est pas à la CENI de juger, c’est à vous, les journalistes, et à l’opinion de le faire. Mais il faut que les gens fassent attention, une élection ne s’apprécie pas seulement le jour du scrutin. Elle s’apprécie dans la phase préélectorale, pendant et après les élections. C’est la raison pour laquelle la CENI est restée sereine pendant tout le débat qu’il y a eu autour des prétendues fausses cartes d’électeurs jusqu’à ce que les autorités compétentes aient donné les résultats de leurs investigations. Cette rumeur reste une rumeur et ne repose sur aucun fondement. Evidemment, la question de la fraude concerne la CENI, mais il serait absurde qu’elle s’en rende coupable. S’il y a fraude, c’est elle qui en est la première victime. Nous voulons être jugés sur comment nous avons géré les opérations électorales et les résultats. Sur ce dernier point vous savez que nous disposons d’un délai d’une semaine pour publier les résultats et on peut même demander au Conseil constitutionnel de nous accorder un délai supplémentaire. Mais nous allons tenir le pari de publier les résultats au jour J+1, c’est-à-dire le 30 novembre. Il faut que la classe politique, à travers ses délégués dans les bureaux de vote, soit très active. Les procès-verbaux seront récupérés dans les bureaux de vote et acheminés dans les 368 centres communaux de compilation des résultats. Avant cela, chaque délégué a droit à la feuille de résultats. Les partis politiques sont aussi tenus de suivre la compilation des résultats bureau par bureau dans tous les centres communaux. La CENI va en dépit de cela, par souci de transparence, scanner tous les procès-verbaux des bureaux de vote et les mettre en ligne sur son site. Cela va permettre à chacun, calculatrice en main, de faire ses propres compilations. Nous voulons un contrôle effectif par tous, de sorte que personne n’ait le moindre doute sur les résultats. Je rappelle qu’à partir des centres communaux les résultats seront transmis au siège par VSat. Les procès-verbaux seront validés l’un après l’autre jusqu’au 368e. C’est un défi, mais nous avons réuni les moyens de le relever avec l’appui de partenaires comme le Gouvernement des Etats-Unis et l’Union européenne.
Vous mettez la main au feu qu’avec cette armada de techniciens et de logistique le risque de fraude est nul ?
Notre souhait c’est que si d’aventure des gens s’hasardaient à vouloir frauder, ils aient forcément des problèmes. Je ne sais pas comment ils vont faire, c’est pourquoi j’attire l’attention de chaque électeur, de chaque parti politique, de chaque organisation de la société civile sur la nécessité d’être vigilants ensemble. En tout cas pour notre part, nous travaillons à verrouiller tous les aspects des élections pour que tous les standards soient observés.
Entretien réalisé par Abdou Karim Sawadogo