Les autorités de la Transition ont organisé une cérémonie d’hommage aux martyrs de l’insurrection populaire et du putsch manqué, le 31 octobre 2015, à Ouagadougou, un an après le départ de Blaise Compaoré du pouvoir. Désormais, cette date devient la Journée nationale des martyrs. Une cérémonie empreinte de solennité et d’émotions.
Les 30 et 31 octobre 2014, le peuple burkinabè, dans son refus de la dictature, mettait fin aux 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré. Le prix de cette victoire a été lourd, l’on a déploré 31 morts et 655 blessés. Un an après, toute la Nation est reconnaissante au sacrifice de ses vaillants filles et fils tombés sur le champ d’honneur pour défendre la démocratie. Ce 31 octobre 2015, l’emblématique Monument aux martyrs, situé au quartier Ouaga 2000, est paré aux couleurs nationales et des banderoles déroulées tout autour portent des messages à l’endroit des héros. « Combattants de la liberté, votre lutte n’a pas été vaine », « Martyrs de l’insurrection et de la résistance, le peuple ne vous oubliera jamais », « Dignes filles et fils du Burkina Faso, tombés sur le champ d’honneur, le peuple burkinabè est fier de vous », affichent les étendards. Les photos des 41 martyrs trônent majestueusement sur des chevaliers du côté sud de l’esplanade. Les premières autorités de la Transition, le président du Faso, Michel Kafando, en tête, le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, les présidents d’institutions, les corps diplomatiques, autorités militaires, religieuses et coutumières, parents des victimes, représentants de partis politiques et d’organisations de la société civile prennent place sur une aile du monument, en face d’une stèle fraîchement érigée à l’honneur des martyrs. A 16 h 00, c’est le début de la cérémonie avec l’observation d’une minute de silence à la mémoire de ceux qui sont morts pour la patrie. Le président de l’Association des blessés de l’insurrection populaire (ABIP), Dramane Ouédraogo, a la primeur des interventions. Les yeux embués de larmes, la voix étreinte par l’émotion, il convoque le souvenir de leur engagement. « Cela fait un an que nous avons décidé de prendre nos responsabilités, celles de nous opposer farouchement à tout esprit de dictature dans notre pays en opposant notre détermination aux armes lourdes des gardes du corps du régime de Blaise Compaoré », déclare-t-il. Il poursuit en disant que pour qu’adviennent l’alternance et le développement du Burkina Faso dans la démocratie, ils ont défendu leurs aspirations et combattu dans l’unité et la dignité. « Aujourd’hui, je suis content de me tenir sur cette tribune et de m’adresser au monde entier et au Burkina Faso au nom des centaines de personnes à qui le bon Dieu a donné une chance de vivre. Je parle des blessés de l’insurrection populaire et ceux du putsch manqué. (…) Nous sommes vivants pour rappeler au monde la violence de la lutte qui a emporté nos martyrs », confie M. Ouédraogo, tout ému. Sans ambages, il a décrit le sort dans lequel se trouvent les blessés une année après et appelle les autorités de la Transition à leur secours. « Oubliés, abandonnés, négligés, nous sommes tristes, frustrés et déçus. Vous, autorités de la Transition, nous pensons que votre silence était dû à une épine que vous avez au pied. Mais nous pensons aussi que depuis le 2 octobre 2015 (NDLR : reedition du général Gilbert Diendéré), vous avez le champ libre et les blessés attendent une action concrète de votre part », souligne-t-il.
« La vérité et la justice, notre forte attente »
Après lui, c’est au tour du porte-parole des personnes décédées de l’insurrection et du putsch manqué, Babou Nébon Bamouni, de prendre la parole. Il salue la mémoire des dignes fils qui ont payé de leur vie pour qu’advienne un jour nouveau au « pays des Hommes intègres ». « La nation entière reconnaît votre sacrifice. Unis dans un destin commun pour un Burkina meilleur, vous avez été baptisés par l’Etat, les martyrs. Chevaliers de notre histoire galopante, de là où vous reposez, par notre voix, la voix de vos familles qui parle en votre nom, accueillez l’hommage que vous rendent le gouvernement, tout le peuple burkinabè ainsi que ses amis en cet instant solennel », affirme-t-il. Et de marteler que la vérité et la justice sont la « forte attente » des parents des martyrs. «La quiétude de tout le Burkina Faso en dépend, car le pays tomberait dans un brouillard chaotique sans l’application du droit, ferment de notre vivre-ensemble. Un an après l’insurrection populaire, seuls cinq dossiers ont connu un début d’instruction, une situation qui nous laisse sceptiques quant à la volonté politique réelle de faire triompher la vérité», regrette Babou Nébon Bamouni. A l’adresse de tous les Burkinabè, il indique que le meilleur hommage aux martyrs est de contribuer vaillamment de façon altruiste à l’édification d’une véritable bonne gouvernance. La représentante des autorités coutumières et religieuses, Bernadette Confé, soutient que c’est un devoir de célébrer la mémoire de ceux qui ont payé de leur vie pour la sauvegarde de la démocratie et de les confier à Dieu. A l’issue de ces interventions, place à l’hommage proprement dit.
Michel Kafando rassure
Avant que le président du Faso, Michel Kafando, n’élève les martyrs du putsch manqué du 16 septembre 2015, à titre posthume, au rang de chevalier de l’Ordre national, le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, égrène leurs noms à l’assistance. « Feu untel, nous vous faisons à titre posthume chevalier de l’Ordre national », déclare le chef de l’Etat devant les proches des martyrs avant d’épingler la médaille sur de petits coussins tenus par ces derniers. La décoration achevée, c’est l’exécution du chant aux morts par la fanfare de la gendarmerie nationale. Dans son hommage, Michel Kafando rappelle le lourd tribut payé par le peuple. « Au total, notre combat pour la démocratie, affiche tristement au tableau 42 martyrs. C’est profondément traumatisés, blessés dans notre chair et dans nos cœurs que nous sommes tous accourus à cette place, devenue légendaire, pour leur rendre un vibrant hommage, pour rendre hommage à ceux-là qui ont payé de leurs vies, pour que nous, les survivants, nous soyons libres. Voici devant nous la stèle qui symbolise à jamais leur supplice et leur mémoire. Voici inscrits sur cette pierre du souvenir, leurs noms et l’épigraphe : morts pour la patrie », laisse-t-il entendre. Pour lui, ceux qui sont tombés en octobre 2014 et en septembre 2015 sont de la race de cette jeunesse burkinabè, à jamais conscientisée, qui a compris que mourir pour la patrie est un idéal pour lequel beaucoup dans le monde ont sacrifié leurs vies. « Ces jeunes soldats accourus de nos régions pour parer le coup d’Etat, ont compris que défendre la patrie est le plus impérieux des devoirs de l’homme. Par conséquent, n’ayons crainte. La jeunesse du Burkina a pris en main son destin, et le martyre de ceux qui sont tombés et qui dorment à présent du repos éternel, est un témoignage éloquent dont s’inspireront pour toujours les générations montantes », explique Michel Kafando. Aux familles, il réaffirme l’engagement du gouvernement à les accompagner.
Cet accompagnement, ajoute-t-il, est déjà arrêté par une décision règlementaire. « Dans le même temps, nous poursuivrons toutes actions, en ce qui concerne les poursuites pénales, mais chacun comprendra les difficultés procédurales qui peuvent occasionner des lenteurs, dans l’avancement des dossiers de cette nature », prévient le président du Faso.
La cérémonie d’hommage prend fin par la visite de la stèle, faite de deux poings, l’un symbolisant la main de l’homme et l’autre celle de la femme.
Karim BADOLO
Des citoyens s’expriment sur la portée de l’hommage aux martyrs
Jean-Baptiste Ouédraogo, ancien chef d’Etat
« Nous ne devons oublier personne. Il faut que les blessés soient pris en charge afin qu’ils ne se sentent pas du tout abandonnés. C’est également notre raison d’être ici à cette journée d’hommage. Je pense que le volet judiciaire va suivre son cours normal. Mais il faut de la volonté politique et un engagement de ceux qui sont chargés des dossiers et tout ira pour le mieux».
Me Guy Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen
« C’est à la fois une cérémonie d’hommage et de souvenir pour nos martyrs. L’hommage, et la stèle qui vient d’être dévoilée, doivent servir en sorte que jamais le peuple burkinabè n’oublie les dates des 30 et 31 octobre 2014 et du 16 septembre 2015. Les Burkinabè doivent se rappeler toujours les sacrifices que certains fils du pays ont consentis pour la démocratie. Ce souvenir doit permettre à chacun de nous de veiller sur les acquis démocratiques dans notre pays. L’hommage que nous pouvons rendre aux martyrs est de faire en sorte que leur mort ne soit pas vaine.
Dramane Ouédraogo, président de l’Association des blessés de l’insurrection populaire (ABIP)
« Nous avons longtemps attendu qu’on s’intéresse aux blessés de l’insurrection populaire. Il n’y a pas de raison qu’on se focalise trop sur ceux qui sont morts, nous aurions pu mourir aussi. Le terme martyr ne signifie pas seulement celui qui est mort. Si on laisse les blessés de côté, lorsqu’il y aura d’autres dérives, les gens n’oseront plus sortir. Mais le président du Faso vient de nous rassurer dans son discours d’hommage que personne ne sera oublié. C’est une lueur d’espoir pour nous ».
Babou Nébon Bamouni, porte-parole des personnes décédées de l’insurrection et du putsch manqué
« Le bon hommage pour celui qui sortira vainqueur de cette élection présidentielle sera d’instaurer une gouvernance de distribution équitable des fruits de la croissance et de faire en sorte que les marchés publics profitent à tout le monde, du petit commerçant au grand opérateur économique. C’est en cela que tous les Burkinabè sentiront réellement que leurs martyrs ont effectivement servi de terreau pour féconder le Burkina nouveau comme l’a dit le président Michel Kafando».
Propos recueillis par Karim BADOLO